L’astronomie spatiale : prouesses et menaces 

L’astronomie spatiale : prouesses et menaces 

Dossier : L'espace | Magazine N°807 Septembre 2025
Par Anne-Marie LAGRANGE (X82)

L’astronomie spatiale, en s’affranchissant des effets perturbateurs de l’atmosphère terrestre, ouvre l’accès à des domaines spectraux inexplorés et améliore considérablement la qualité des données. Grâce à des missions emblématiques, auxquelles la France et l’Europe participent activement, elle a offert une vision inédite de l’Univers. Pourtant, l’avenir de ces programmes est aujourd’hui incertain face aux contraintes budgétaires. Avec l’émergence de nouvelles puissances spatiales comme la Chine et l’Inde, l’espoir réside dans des coopérations internationales par-delà les tensions géostratégiques.

L’astronomie a toujours progressé au rythme des innovations instrumentales, depuis les premiers dispositifs de repérage et de cartographie des objets célestes jusqu’aux télescopes géants au sol, équipés d’instruments et de détecteurs toujours plus performants. Au XIXe siècle, les astronomes commencent à analyser la composition chimique du Soleil, des étoiles et des nébuleuses, ainsi que leur dynamique. Au siècle suivant, ces progrès permettent de mettre en évidence des phénomènes fondamentaux, tels que l’expansion de l’Univers (Hubble, 1929), la nucléosynthèse stellaire ou encore les effets relativistes. 

Les limites de l’observation au sol

Malgré ces avancées majeures, une partie du cosmos reste inaccessible à l’observation depuis le sol, en raison des propriétés de l’atmosphère terrestre. Opaque à la majeure partie du rayonnement électromagnétique – notamment les rayons gamma, X, UV, IR (infrarouge) thermique –, elle ne laisse passer finalement que le domaine visible, le proche infrarouge et une partie du domaine radio. Autre problème majeur, la turbulence atmosphérique dégrade la netteté des images optiques obtenues au sol, même avec les plus grands télescopes, et, en l’absence de correction en temps réel (optique adaptative), limite la résolution spatiale des images à celle obtenue avec un télescope d’une dizaine de centimètres.

On rappelle que la résolution spatiale est la capacité à distinguer deux objets célestes angulairement proches ; elle est en théorie égale à 1,22*lambda/D, où lambda désigne la longueur d’onde d’observation et D le diamètre du télescope (critère de Rayleigh). En s’affranchissant de ces limitations, les instruments spatiaux délivrent des résolutions proches de la limite de diffraction de leur miroir primaire. 

L’émergence de l’observation depuis l’espace

L’avènement de l’astronomie spatiale, dans les années 1960, coïncide avec la montée en puissance des agences spatiales – la Nasa (1958), l’Agence spatiale soviétique, puis l’ESA (1975). Des missions majeures, dédiées à l’étude du Soleil ou des planètes du système solaire, telles que les pionnières Voyager et Viking, et toutes celles qui ont suivi ont profondément transformé notre compréhension des surfaces planétaires, des atmosphères, des satellites naturels et des comètes. Plus récemment, la mission Juno (Nasa) a fourni des informations inédites sur l’intérieur de Jupiter. Ces prouesses techniques ont nourri également des ambitions liées à la colonisation spatiale – mais on s’éloigne là du cadre de l’astronomie. 

Le ciel à travers le spectre électromagnétique

L’ultraviolet est le premier domaine exploré depuis l’espace, avec Copernicus (Nasa), puis IUE (International Ultraviolet Explorer, Nasa-ESA), qui révélera grâce à des spectrographes haute résolution la présence de centaines de raies d’éléments neutres ou ionisés dans les atmosphères des étoiles, dans le milieu interstellaire jusque-là très méconnu, et même de quelques galaxies proches, permettant de sonder la composition chimique de ces objets, de déterminer des paramètres physiques importants. Ces missions ont permis aussi de détecter les premières exocomètes (comètes en orbite autour d’étoiles autres que le Soleil). Ces premières exocomètes ont été trouvées par notre équipe, dirigée par Alfred Vidal-Madjar (X61), à la fin des années 80. Le téléscope IUE, grâce à son adaptabilité et à l’expertise des ingénieurs ayant su compenser des défaillances critiques (comme les gyroscopes), a fonctionné pendant 18 ans, bien au-delà de sa durée nominale.

Les rayons X et gamma détectent les phénomènes ou les objets les plus violents et énergétiques : supernovæ, pulsars, trous noirs, GRBs (GRB = gamma-ray bursts = sursaut de rayons gamma), etc. Dès les années 1960, des instruments embarqués sur des ballons et des satellites militaires identifient des sources gamma d’origine cosmique. Les États-Unis lancent les télescopes X Einstein (1978) et Compton Gamma-Ray Observatory (1991). L’ESA lance à son tour le satellite gamma INTEGRAL (2002-2025) et les satellites UV EXOSAT (1983-1986) et XMM-Newton lancé en 1999, ce dernier étant encore opérationnel. Le téléscope Chandra (1999), fruit d’une collaboration internationale, apporte(ra) des informations déterminantes sur la croissance des trous noirs supermassifs, l’activité des étoiles jeunes et les ondes de choc générées par les explosions des supernovæ (cf. figure 1). 

	Fig. 1 : image UV du reste de la supernova Cassiopée A par le téléscope Chandra. Chaque couleur trace un élément chimique (silicium en rouge, soufre en jaune, fer en violet). L’explosion de l’étoile est survenue à la fin du xviie siècle. Ces éléments présents dans le système solaire ont été produits par des explosions d’étoiles.
Fig. 1 : image UV du reste de la supernova Cassiopée A par le téléscope Chandra. Chaque couleur trace un élément chimique (silicium en rouge, soufre en jaune, fer en violet). L’explosion de l’étoile est survenue à la fin du xviie siècle. Ces éléments présents dans le système solaire ont été produits par des explosions d’étoiles. © Nasa / CXC / SAO

L’infrarouge

À l’autre extrémité du spectre, ou presque, l’infrarouge révèle les astres froids. Le satellite américano-anglais-néerlandais IRAS (1983), équipé de photomètres, effectue une cartographie à très basse résolution du ciel en infrarouge. Il révèle plus de 500 000 sources. Un des résultats les plus remarquables est la découverte des disques de poussière autour d’étoiles proches, premiers signes de formation planétaire. IRAS marque le début d’une longue série d’observatoires spatiaux infrarouges, ISO (ESA, 1995-1998), Spitzer (Nasa, 2003-2020), Herschel (ESA-Nasa, 2009-2013), WISE (2009-2013), qui bénéficient progressivement des développements des détecteurs infrarouges (mono puis bidimensionnels).

Ces télescopes délivreront des images de plus en plus profondes et fines du ciel infrarouge, dans et hors de notre Galaxie. Le téléscope James Webb, lancé fin 2021, est optimisé pour des observations en IR. Il permet, grâce à une sensibilité inégalée, d’étudier aussi bien les atmosphères d’exoplanètes autour d’étoiles proches que de découvrir des exoplanètes très froides, indétectables depuis le sol (figure 2) et de sonder les objets extragalactiques les plus lointains. Le satellite européen Euclid lancé en 2023 cartographie une partie du ciel visible et infrarouge pour tenter de reconstruire l’évolution de notre univers au cours des dix derniers milliards d’années sous les effets de la matière noire et de l’énergie noire. 

	Fig. 2 : première exoplanète découverte par le James Webb Space Telescope. C’est aussi l’image de la planète la plus légère imagée, avec une masse semblable à celle de Saturne dans le système solaire. La température à la surface de la planète (indiquée par #CC1) est estimée à 320 K.
Fig. 2 : première exoplanète découverte par le James Webb Space Telescope. C’est aussi l’image de la planète la plus légère imagée, avec une masse semblable à celle de Saturne dans le système solaire. La température à la surface de la planète (indiquée par #CC1) est estimée à 320 K. © JWST / ESO / A.-M. Lagrange

Enfin, dans le domaine des micro-ondes, une série de satellites américains, COBE (1990-1993), WMAP (2001-2010), puis européen Planck (2009-2013), a cartographié les anisotropies du bruit de fond diffus cosmologique, fossile de la formation de l’Univers (figure 3). Les données ont permis de conforter le modèle cosmologique standard et de mieux contraindre ses paramètres fondamentaux. 

	Fig. 3 : carte du ciel micro-onde, montrant de très petites fluctuations de température, vestiges de l’Univers très jeune (quelque 350 000 ans).
Fig. 3 : carte du ciel micro-onde, montrant de très petites fluctuations de température, vestiges de l’Univers très jeune (quelque 350 000 ans). © ESA et la collaboration Planck

Observatoires spatiaux, observatoires de précision

La finesse des détails des images délivrées par Hubble (2,5 m de diamètre), une fois corrigée des aberrations optiques découvertes après son lancement, a dépassé largement celle des images obtenues dans le domaine optique avec les plus grands télescopes au sol (10 m de diamètre). Il a notamment révolutionné de nombreux domaines de l’astronomie, en particulier la formation des systèmes planétaires (figure 4) et la cosmologie (figure 5). Le téléscope James Webb (6,5 m de diamètre) permet un nouveau bond en termes de sensibilité et de résolution spatiale. Parmi ces récents résultats, la détection de molécules de plus en plus nombreuses, de nuages dans les atmosphères des exoplanètes, des images d’exoplanètes froides, non détectables depuis le sol (figure 2), et de nouvelles contraintes sur la constante de Hubble, un paramètre fondamental de la loi décrivant l’expansion de l’Univers. 

L’astronomie spatiale : prouesses et menaces 
Fig. 4 : disque de poussières observé par Hubble autour de Beta Pictoris dans le domaine optique. Ce disque âgé de vingt millions d’années abrite au moins deux planètes. Les poussières représentent les restes de la formation planétaire. © Nasa, ESA, D. Apai and G. Schneider (University of Arizona).
	Fig. 5 : champ ultra-profond Hubble. Cette image montre 10 000 des galaxies les plus lointaines observées par Hubble dans une partie du ciel correspondant à la surface d’un carré de 1 mm de côté vu à une distance de 1,40 mètre.
Fig. 5 : champ ultra-profond Hubble. Cette image montre 10 000 des galaxies les plus lointaines observées par Hubble dans une partie du ciel correspondant à la surface d’un carré de 1 mm de côté vu à une distance de 1,40 mètre. © Nasa / ESA / H. Teplitz et M. Rafelski (IPAC-Caltech), A. Koekemoer et Z. Levay (STScI Space Telescope Science Institute), R. Windhorst (Arizona State University).

La stabilité des instruments spatiaux permet des mesures astrométriques d’une précision inatteignable au sol. Spécificités européennes, les satellites Hipparcos (1989-1993) et Gaia (2013-2025) ont révolutionné la cartographie stellaire. En mesurant la distance et les mouvements propres de plus d’un milliard d’étoiles, Gaia permet de reconstruire la structure et l’histoire dynamique de notre Galaxie, et de recalibrer les distances cosmologiques avec une précision jamais atteinte. Il devrait aussi révéler des milliers d’exoplanètes dans les années à venir. Enfin, la photométrie ultra-stable offerte par l’espace est devenue essentielle dans la détection des exoplanètes.

Le satellite français CoRoT (Cnes, 2006-2014) a été pionnier dans ce domaine. Les satellites américains Kepler (2009-2018) et TESS (lancé en 2018) ont permis d’identifier des milliers de planètes ou de candidats planètes. Le satellite européen PLATO sera lancé en 2026 et étendra encore les détections d’exoplanètes en photométrie des transits. Couplées à la spectroscopie spatiale avec le téléscope James Webb ou le futur télescope de l’ESA Ariel (2029), ces missions permettent l’analyse fine des atmosphères exoplanétaires, ouvrant la voie à une astrobiologie observationnelle. 

Quel avenir pour les observatoires spatiaux ? 

Les résultats accumulés en cinquante ans d’astronomie spatiale sont considérables : des lois physiques confirmées, des objets nouveaux découverts, des structures cosmologiques révélées. Ils ont aussi soulevé de nouvelles questions, notamment en cosmologie et en exoplanétologie, et ont amené les astronomes à identifier de nouveaux objectifs, comme la détection des ondes gravitationnelles avec le satellite européen LISA (lancement 2035), l’imagerie des exoTerres et la recherche de signatures de vie sur des exoplanètes avec le télescope américain Roman (Nancy Grace Roman Space) prévu pour un lancement en 2026 ou comme le projet Nasa à l’étude HWO (Habitable Worlds Observatory), futur téléscope.


“Des lois physiques confirmées, des objets nouveaux découverts,
des structures cosmologiques révélées.”

L’astronomie spatiale a largement démontré ses spécificités uniques et sa complémentarité avec l’astronomie au sol. Pourtant, son avenir reste incertain. Le financement des missions devient de plus en plus difficile, malgré des coûts relatifs modestes au regard des budgets publics. Et cela alors même que ces télescopes repoussent les frontières du savoir et stimulent des avancées technologiques profitables bien au-delà du seul champ de l’astronomie. Aux États-Unis, des incertitudes pèsent sur le financement des grands projets à l’étude ou même en développement. Les décisions outre-Atlantique ne seront pas sans impact sur les projets européens. 

De nouvelles priorités voient le jour, notamment liées à l’observation de la Terre. Comment gérer ces évolutions de manière harmonieuse ? Les nouvelles puissances spatiales émergentes, Chine et Inde, pourront-elles compenser les éventuelles faiblesses des pays occidentaux ? Ou ouvrir la voie à des collabo­­­rations mondiales plus efficaces, à l’image de ce qui se fait au sol pour de gros projets ? Il faut espérer que l’envie fondamentale de comprendre notre Univers et nos origines, qui a mobilisé les efforts et l’intelligence de l’homme depuis des millénaires, sera suffisamment forte pour dépasser les incertitudes actuelles. 

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