L’ARE vise la pérennité des entreprises
L’Association pour le Retournement des Entreprises (ARE), fondée en 2002, joue un rôle crucial dans le soutien aux entreprises en difficulté en France. Xavier Bailly, président de l’ARE, partage son expertise sur l’évolution du secteur et les stratégies innovantes mises en œuvre pour aider les entreprises à surmonter leurs crises.
Pouvez-vous nous parler de votre parcours et de ce qui vous a conduit à vous spécialiser dans le retournement et la restructuration d’entreprises ?
Passionné par l’entrepreneuriat et les nouvelles technologies, j’ai débuté mon parcours à Grenoble École de Management (GEM) lors de la première bulle Internet. Malgré un échec entrepreneurial en tant qu’étudiant, j’ai identifié mes lacunes en finance et en droit. J’ai rejoint PricewaterhouseCoopers pour développer mes compétences, découvrant le restructuring, un domaine combinant finance, droit et opérations, qui m’a immédiatement captivé. En 2006, j’ai intégré Kroll Talbot Hughes pour un accompagnement plus opérationnel, sous la direction de Nicolas de Germay, une figure majeure du restructuring en France. Avec mes associés, Xavier Mesguich et Sari Maalouf, nous avons acquis la conviction de la nécessité de combiner finance et opérationnel, une approche que nous avons développée chez Eight Advisory dès 2010.
En parallèle, j’ai créé une entreprise en 2009-2010 dans le restructuring, avant de rejoindre Eight Advisory en 2011 et devenir associé en 2013. Conscient de l’importance du droit, j’ai complété ma formation par une maîtrise en droit à distance à Toulouse en 2011-2012. En tant que président de l’ARE, j’ai introduit le parcours « Entreprises en difficulté » au Master Entrepreneur X – HEC, saluant la qualité de ce programme mixte. Mon parcours, marqué par une passion pour le restructuring et une quête constante de compétences complémentaires, illustre l’importance des doubles parcours académiques et professionnels.
Comment avez-vous vu évoluer le secteur du retournement d’entreprises depuis le début des années 2000, et quels sont les principaux changements que vous avez observés ?
Depuis le début des années 2000, le secteur du retournement d’entreprise a radicalement évolué. À cette époque, l’approche était principalement judiciaire, avant l’entrée en vigueur de la loi de sauvegarde en 2005, qui a introduit la procédure de sauvegarde et la conciliation. Les entreprises en difficulté accumulaient souvent des pertes d’exploitation, nécessitant des restructurations opérationnelles et financières. Les solutions incluaient l’affacturage, le lease-back immobilier et des négociations avec les banques. En cas d’échec, le redressement judiciaire offrait deux options : le plan de continuation, étalant les dettes sur 10 ans, ou le plan de cession.
La première crise financière de 2008 a marqué un tournant, avec un focus sur le restructuring de sociétés moins affectées opérationnellement mais lourdement endettées, souvent sous leurs prévisions financières. Cette période a rendu le restructuring plus « mainstream » et accepté dans le monde des affaires, intégrant la gestion des phases de sous-performance et le refinancement complexe.
Un autre changement majeur est survenu en 2020-2021, avec la crise Covid et l’adoption en France d’une directive européenne favorisant la négociation et le consensus, élargissant les modalités de financement et valorisant la propriété d’entreprise, rapprochant ainsi la France de ses voisins européens.
Quelles sont les principales stratégies que vous mettez en œuvre pour aider les entreprises en difficulté ?
La difficulté de ces situations est qu’elles évoluent dans le temps. Il ne peut pas y avoir une approche unique. Un retournement opérationnel n’est pas un retournement financier qui n’est lui-même pas un retournement stratégique. On ne déploie pas une méthodologie identique pour une société familiale que pour un LBO ou bien un grand groupe coté.
“La réussite du plan de retournement est condamnée si le diagnostic des difficultés n’est pas bien compris et partagé par tous les acteurs concernés.”
En revanche, il y a deux étapes obligatoires pour réussir un retournement : bien comprendre et partager l’origine des difficultés, c’est-à-dire les causes, leur amplitude, leur complexité et l’alignement des parties prenantes : équipes, dirigeants, board, actionnaires, partenaires clés. Si on se trompe sur un diagnostic ou si celui-ci n’est pas agréé par tous, la réussite du plan de retournement est condamnée.
Comment intégrez-vous les nouvelles technologies et approches innovantes dans vos stratégies de retournement d’entreprises ?
Le retournement d’une entreprise, c’est une course contre le temps. Chaque jour, la valeur de l’actif se dégrade ; chaque jour, la pression augmente ; chaque jour, le risque de perdre des clients, des salariés clés augmente. Nous devons donc aller très vite, et les outils nous permettent de gagner du temps. Aussi on note ces dernières années un impact encore plus fort des événements externes. Il y a 15 ans, quand j’ai commencé ce métier, le sous-jacent sur la plupart des marchés était en croissance volume de 2 à 3 % par an.
Aujourd’hui, j’ai des marchés en décroissance volumique, j’ai des marchés où la croissance est tirée par le prix, j’ai des marchés qui chutent en quelques mois, j’ai des crises du jour au lendemain comme quand Trump annonce ses nouveaux tarifs douaniers… Tout cela oblige à être de plus en plus fin sur les stratégies topline, et la data devient indispensable pour lire différemment un business et s’assurer que les investissements soient mis sur les bons leviers. Même si une restructuration peut conduire à une décroissance, il faut toujours penser à retrouver une croissance long terme.
En tant que président de l’Association pour le Retournement des Entreprises, quelles initiatives avez-vous mises en place pour promouvoir une culture de prévention des difficultés ?
Créée en 2002, l’ARE vise à promouvoir la prévention des difficultés des entreprises.
Malgré les efforts de divers acteurs, les dirigeants font souvent trop tardivement appel aux professionnels du retournement. L’ARE, avec ses 320 membres bénévoles, œuvre à diffuser les bonnes pratiques en matière de droit des entreprises en difficulté, finances, et droit social, via des formations agréées. Ces formations sont destinées aux entreprises, organismes comme Bpifrance, et sont ouvertes aux membres et extérieurs. L’association valorise également les formations universitaires, collaborant avec des écoles de commerce et universités pour sensibiliser les futurs décideurs.
“En lien constant avec les pouvoirs publics et institutionnels, l’ARE agit comme un observatoire, intégrée dans l’écosystème, pour faire connaître les solutions efficaces pour éviter ou surmonter
la crise.”
L’ARE organise deux colloques annuels, national et régional, pour assurer une présence sur tout le territoire, y compris les Outre-mer. Un comité des lois, des techniques et des pratiques met en place des groupes de travail pour éclairer les aménagements législatifs. L’association se distingue par sa pluridisciplinarité, regroupant avocats, conseils financiers, administrateurs judiciaires et autres professionnels. Le prix Ulysse – le dernier s’est tenu en 2025 sous le haut patronage de Marc Ferracci, ministre de l’Industrie et de l’Énergie – récompense les réussites en retournement d’entreprise, témoignant de l’expérience des dirigeants ayant surmonté la crise. En lien constant avec les pouvoirs publics et institutionnels, l’ARE agit comme un observatoire, intégrée dans l’écosystème, pour faire connaître les solutions efficaces pour éviter ou surmonter la crise.
Pouvez-vous nous parler de vos efforts pour établir un réseau européen professionnel du retournement ?
Deux efforts essentiels marquent l’activité de l’ARE.
Organisé chaque année avec un focus alternant entre franco-français et européen, notre colloque national s’associe à INSOL Europe, une grande association de praticiens européens. Lors de la dernière édition en novembre 2023, des tables rondes ont été créées avec des collègues d’Allemagne, des Pays-Bas et d’Espagne, deux ans après la transcription de la directive européenne dans les droits nationaux, visant à harmoniser le traitement des entreprises en difficulté.
Par ailleurs, l’ARE veille à une forte représentation française dans les cercles de décision européens, soulignant l’importance du poids diplomatique du droit. Bien que l’ARE ne soit pas le principal instrument pour représenter les intérêts français dans ces cénacles, elle s’assure que les enjeux liés au droit des entreprises en difficulté soient abordés.
Quel impact la réforme de l’assurance chômage de 2025 a-t-elle eu sur les entreprises en difficulté ?
La réforme de l’assurance chômage de 2025, pour moi, n’a pas un impact direct sur notre domaine.
Il est crucial de clarifier que, dans notre métier, nous traitons d’entreprises dans lesquelles les mesures de réduction des coûts et les plans de licenciement ont déjà été mis en place ou ne sont plus préventifs ; des sociétés pour lesquelles l’enjeu, c’est bien la pérennité de l’entreprise. Le terme « restructuration » peut avoir des significations variées selon les interlocuteurs. Pour les membres de l’ARE, notre métier ne consiste pas à multiplier les PSE. Le restructuring, tel que nous le pratiquons, est à l’intersection du droit, de la finance et des opérations. Bien que cela puisse entraîner des conséquences sur l’emploi, nous nous concentrons sur les entreprises réellement en difficulté. Les discussions, y compris avec les salariés et leurs représentants, peuvent être tendues, mais elles sont moins polémiques que ce qu’on voit parfois dans la presse. Cette distinction est essentielle.
“Le restructuring, tel que nous le pratiquons, est à l’intersection du droit, de la finance et des opérations.”
Quels sont les principaux défis auxquels vous êtes confronté actuellement dans le domaine de la restructuration ?
Je pense que le principal défi réside dans la connaissance des dispositifs et l’anticipation des difficultés, un combat de longue haleine. Un autre enjeu crucial est le financement des entreprises en difficulté. Le crédit inter-entreprise, essentiel pour maintenir l’économie française, permet aux fournisseurs de donner des délais de paiement à leurs clients, ce qui est vital en période de tension de trésorerie. En parallèle, les banques, contraintes par des ratios de solvabilité, doivent continuer à soutenir ces entreprises, tandis que de nouveaux acteurs, comme les fonds de dette, émergent.
Il est également important de soutenir l’investissement en capital dans les entreprises en retournement. Souvent, le meilleur repreneur est un concurrent, qui connaît bien l’entreprise et peut agir rapidement, malgré les défis de confidentialité et de concurrence. Au-delà des concurrents, des fonds de retournement et des entrepreneurs connexes jouent un rôle clé. La capacité d’investir et de financer ces repreneurs est cruciale pour maintenir la vitalité des entreprises en difficulté, car notre objectif est de pérenniser l’activité et, par extension, l’emploi.
À propos de l’ARE

L’Association pour le Retournement des Entreprises (ARE) a été fondée en 2002 avec pour mission de regrouper des professionnels spécialisés dans le retournement, le refinancement et la restructuration d’entreprises. Elle vise à développer une culture de la prévention des difficultés et à promouvoir des standards élevés d’éthique et de professionnalisme. L’ARE organise des événements tels que le Prix Ulysse et des colloques pour ses membres, et elle s’efforce de créer un réseau européen de professionnels du retournement. Actuellement, l’association compte environ 320 membres et continue de s’engager dans des projets pour soutenir les entreprises en difficulté.




