Karajan, Bernstein, Solti, Kleiber
4 documentaires sur les grands chefs de la seconde moitié du XXe siècle

Dans ces quatre Blu-ray produits par Bernhard Fleischer, les images d’archives alternent avec des interviews pertinentes de personnalités. Pour Karajan et Solti, le bonus propose également un concert emblématique du chef. Curieusement, ces quatre films sur quatre géants de la direction d’orchestre montrent également leur rivalité, ou plus exactement la rivalité de chacun avec Herbert von Karajan.
Herbert von Karajan
Le film le plus ancien, 2007, en allemand sous-titré, est le documentaire qui explique comment Karajan était passionné par l’image, et pas uniquement la sienne. On plonge donc dans l’histoire du legs vidéo de Karajan. Ses premières vidéos dans les années 50–60 (dont un Don Carlos de Verdi commenté ici il y a quelques mois), et ‑comment après avoir été déçu par des ‑réalisateurs fameux (Clouzot, Reichenbach, Niebling, comme commenté ici en mai 2024…) il devient son propre réalisateur.
Le film montre aussi sa rivalité avec Bernstein, bien plus à l’aise que lui avec la vidéo et la télévision. Il montre également comment souvent l’égocentrisme du chef prend le pas sur la réussite artistique (« toutes les caméras sur moi », crie-t-il à un des réalisateurs). Ne pas croire pour autant que le documentaire est à charge contre Karajan. Sa recherche d’absolu, de perfection, nous laisse un catalogue d’enregistrements en disques et en films qui est insurpassable, et auquel les amateurs reviennent sans fin.
Les concerts en bonus illustrent parfaitement le documentaire et sont deux films de François Reichenbach avec le Philharmonique de Berlin, sans public. La Seconde Suite pour orchestre de Bach (le premier disque que mon père m’offrit il y a près de cinquante ans, dans cette interprétation) et le Troisième Concerto brandebourgeois. Karajan y dirige depuis le clavecin.
Leonard Bernstein, un musicien complet
Le film sur Bernstein de 2015 est passionnant, avec de nombreux témoignages dont beaucoup de la part de ses trois enfants. On a déjà rapporté ici comment Leonard Bernstein a été l’un des artistes les plus marquants du XXe siècle, un musicien complet. Comme compositeur, il est à la fois l’auteur de musicals célèbres de Broadway (West Side Story…) et d’œuvres de musiques « sérieuses » (symphonies, ballets…), œuvres souvent engagées, vecteurs de sens et de messages, politiques ou religieux. Mais Leonard Bernstein était aussi un grand pédagogue (ayant fait découvrir la musique classique à des millions de jeunes téléspectateurs américains), pianiste de niveau international, et surtout un des plus grands chefs d’orchestre du XXe siècle, dirigeant avec succès et authenticité trois siècles de musique depuis Haydn jusqu’aux contemporains américains.
Sir Georg Solti
Le film sur Sir Georg Solti date de 2012, pour les 100 ans de la naissance du chef. Solti était mon chef préféré il y a quarante ans, j’adorais son énergie, la vigueur rythmique des basses qui architecturent les œuvres orchestrales qu’il dirige, et bien entendu la qualité de ses enregistrements (dont une Tétralogie pour l’éternité). Enregistrements qui ont obtenu plus de trente Grammy Awards, record absolu tous artistes et tous répertoires confondus. Tout cela est exactement ce qu’explique ce film captivant. Je me souviens, ému, du concert Beethoven en plein air qu’il donna en 1986 place Vendôme à l’occasion d’une fête de la musique.
On comprend le cheminement de ce chef fantastique : né dans une famille juive à Budapest, il y connut Bartók et Kodály, il devint répétiteur pour Toscanini à Salzbourg à 25 ans. Il s’exile pendant la guerre à Genève et y gagne son premier prix de piano alors qu’il n’a pas le droit de diriger. Plus tard, on le voit relancer Covent Garden, l’opéra de Londres, puis l’orchestre de Chicago pendant 22 ans. Le film évoque aussi la parenthèse parisienne où Solti est éphémère patron de l’Orchestre de Paris et chef de l’opéra (le film n’est pas avare de nombreux témoignages peu sympathiques avec l’Orchestre de Paris de l’époque).
En bonus, un concert russe (avec les Premières Symphonies de Prokofiev et Chostakovitch, toutes les deux à la fois pleines de sarcasmes et de légèreté) à Chicago, avec « son » Chicago Symphony Orchestra. Deux symphonies pleines d’humour, et même de dérision parodique où le style de Solti fait merveille.
Carlos Kleiber et son génie fantasque
Carlos Kleiber est aussi un des grands chefs de cette période. Par rapport aux trois autres chefs, il reste de lui beaucoup moins de disques officiels (une dizaine) et de DVD (encore moins), ce qui explique sa notoriété bien inférieure aujourd’hui. Le film de 2010, avec les témoignages de Riccardo Muti, Wolfgang Sawallisch, Michael Gielen, Ileana Cotrubaș, est également recommandé. On y voit l’opposition de son père, le chef légendaire d’avant-guerre Erich Kleiber (créateur de Wozzeck de Berg), à sa volonté de devenir chef d’orchestre également. On y voit aussi le caractère très particulier de cet artiste hors du commun, ses annulations intempestives, son génie fantasque.