Karajan, Bernstein, Solti, Kleiber 4 documentaires sur les grands chefs de la seconde moitié du XXe siècle

Karajan, Bernstein, Solti, Kleiber
4 documentaires sur les grands chefs de la seconde moitié du XXe siècle

Dossier : Arts, lettres et sciencesMagazine N°806 Juin 2025
Par Marc DARMON (83)

Dans ces quatre Blu-ray pro­duits par Bern­hard Flei­scher, les images d’archives alternent avec des inter­views per­ti­nentes de per­son­na­li­tés. Pour Kara­jan et Sol­ti, le bonus pro­pose éga­le­ment un concert emblé­ma­tique du chef. Curieu­se­ment, ces quatre films sur quatre géants de la direc­tion d’orchestre montrent éga­le­ment leur riva­li­té, ou plus exac­te­ment la riva­li­té de cha­cun avec Her­bert von Karajan.

Herbert von Karajan

Le film le plus ancien, 2007, en alle­mand sous-titré, est le docu­men­taire qui explique com­ment Kara­jan était pas­sion­né par l’image, et pas uni­que­ment la sienne. On plonge donc dans l’histoire du legs vidéo de Kara­jan. Ses pre­mières vidéos dans les années 50–60 (dont un Don Car­los de Ver­di com­men­té ici il y a quelques mois), et ‑com­ment après avoir été déçu par des ‑réa­li­sa­teurs fameux (Clou­zot, Rei­chen­bach, Nie­bling, comme com­men­té ici en mai 2024…) il devient son propre réalisateur. 

Le film montre aus­si sa riva­li­té avec Bern­stein, bien plus à l’aise que lui avec la vidéo et la télé­vi­sion. Il montre éga­le­ment com­ment sou­vent l’égocentrisme du chef prend le pas sur la réus­site artis­tique (« toutes les camé­ras sur moi », crie-t-il à un des réa­li­sa­teurs). Ne pas croire pour autant que le docu­men­taire est à charge contre Kara­jan. Sa recherche d’absolu, de per­fec­tion, nous laisse un cata­logue d’enregistrements en disques et en films qui est insur­pas­sable, et auquel les ama­teurs reviennent sans fin.

Les concerts en bonus illus­trent par­fai­te­ment le docu­men­taire et sont deux films de Fran­çois Rei­chen­bach avec le Phil­har­mo­nique de Ber­lin, sans public. La Seconde Suite pour orchestre de Bach (le pre­mier disque que mon père m’offrit il y a près de cin­quante ans, dans cette inter­pré­ta­tion) et le Troi­sième Concer­to bran­de­bour­geois. Kara­jan y dirige depuis le clavecin.

Leonard Bernstein, un musicien complet

Le film sur Bern­stein de 2015 est pas­sion­nant, avec de nom­breux témoi­gnages dont beau­coup de la part de ses trois enfants. On a déjà rap­por­té ici com­ment Leo­nard Bern­stein a été l’un des artistes les plus mar­quants du XXe siècle, un musi­cien com­plet. Comme com­po­si­teur, il est à la fois l’auteur de musi­cals célèbres de Broad­way (West Side Sto­ry…) et d’œuvres de musiques « sérieuses » (sym­pho­nies, bal­lets…), œuvres sou­vent enga­gées, vec­teurs de sens et de mes­sages, poli­tiques ou reli­gieux. Mais Leo­nard Bern­stein était aus­si un grand péda­gogue (ayant fait décou­vrir la musique clas­sique à des mil­lions de jeunes télé­spec­ta­teurs amé­ri­cains), pia­niste de niveau inter­na­tio­nal, et sur­tout un des plus grands chefs d’orchestre du XXe siècle, diri­geant avec suc­cès et authen­ti­ci­té trois siècles de musique depuis Haydn jusqu’aux contem­po­rains américains.

Sir Georg Solti

Le film sur Sir Georg Sol­ti date de 2012, pour les 100 ans de la nais­sance du chef. Sol­ti était mon chef pré­fé­ré il y a qua­rante ans, j’adorais son éner­gie, la vigueur ryth­mique des basses qui archi­tec­turent les œuvres orches­trales qu’il dirige, et bien enten­du la qua­li­té de ses enre­gis­tre­ments (dont une Tétra­lo­gie pour l’éternité). Enre­gis­tre­ments qui ont obte­nu plus de trente Gram­my Awards, record abso­lu tous artistes et tous réper­toires confon­dus. Tout cela est exac­te­ment ce qu’explique ce film cap­ti­vant. Je me sou­viens, ému, du concert Bee­tho­ven en plein air qu’il don­na en 1986 place Ven­dôme à l’occasion d’une fête de la musique.

On com­prend le che­mi­ne­ment de ce chef fan­tas­tique : né dans une famille juive à Buda­pest, il y connut Bartók et Kodá­ly, il devint répé­ti­teur pour Tos­ca­ni­ni à Salz­bourg à 25 ans. Il s’exile pen­dant la guerre à Genève et y gagne son pre­mier prix de pia­no alors qu’il n’a pas le droit de diri­ger. Plus tard, on le voit relan­cer Covent Gar­den, l’opéra de Londres, puis l’orchestre de Chi­ca­go pen­dant 22 ans. Le film évoque aus­si la paren­thèse pari­sienne où Sol­ti est éphé­mère patron de l’Orchestre de Paris et chef de l’opéra (le film n’est pas avare de nom­breux témoi­gnages peu sym­pa­thiques avec l’Orchestre de Paris de l’époque).

En bonus, un concert russe (avec les Pre­mières Sym­pho­nies de Pro­ko­fiev et Chos­ta­ko­vitch, toutes les deux à la fois pleines de sar­casmes et de légè­re­té) à Chi­ca­go, avec « son » Chi­ca­go Sym­pho­ny Orches­tra. Deux sym­pho­nies pleines d’humour, et même de déri­sion paro­dique où le style de Sol­ti fait merveille.

Carlos Kleiber et son génie fantasque

Car­los Klei­ber est aus­si un des grands chefs de cette période. Par rap­port aux trois autres chefs, il reste de lui beau­coup moins de disques offi­ciels (une dizaine) et de DVD (encore moins), ce qui explique sa noto­rié­té bien infé­rieure aujourd’hui. Le film de 2010, avec les témoi­gnages de Ric­car­do Muti, Wolf­gang Sawal­lisch, Michael Gie­len, Ilea­na Cotru­baș, est éga­le­ment recom­man­dé. On y voit l’opposition de son père, le chef légen­daire d’avant-guerre Erich Klei­ber (créa­teur de Woz­zeck de Berg), à sa volon­té de deve­nir chef d’orchestre éga­le­ment. On y voit aus­si le carac­tère très par­ti­cu­lier de cet artiste hors du com­mun, ses annu­la­tions intem­pes­tives, son génie fantasque. 

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