Jean SOISSONS (40), 1919–2005

Dossier : ExpressionsMagazine N°614 Avril 2006Par : Jean CARPENTIER (44)

Jean Sois­sons nous a quit­tés le 14 décembre 2005, au terme d’une vie par­ti­cu­liè­re­ment riche en acti­vi­tés pro­fes­sion­nelles et fami­liales, dans les­quelles il s’é­tait inves­ti plei­ne­ment jus­qu’au der­nier jour, empor­té brus­que­ment par un malaise cardiaque.

Né à Bar-le-Duc, le 24 février 1919, il effec­tue ses études secon­daires et supé­rieures à Laon, Paris et Lyon. Dès sep­tembre 1939, il sou­haite pou­voir par­ti­ci­per à la défense de la patrie, comme enga­gé volon­taire. Il est incor­po­ré le 1er octobre et affec­té, à sa demande, le 15 novembre, dans l’ar­mée de l’air. Retar­dé dans ses études, il ne peut pas­ser le concours d’en­trée à l’É­cole poly­tech­nique qu’en 1943. Il y est admis au titre de la pro­mo­tion 40. Sor­ti dans le corps des ingé­nieurs mili­taires de l’air, il est diplô­mé de Sup’Aé­ro en 1947.

Après un stage à la Snec­ma, de 1947 à 1948, Jean Sois­sons entre au Centre d’es­sais en vol (CEV). D’a­bord ingé­nieur d’es­sais à la sec­tion moteurs, il en devient rapi­de­ment le chef, puis il est nom­mé chef des essais du CEV, fonc­tion qu’il exerce de 1955 à 1957. Il y acquiert une com­pé­tence très éten­due et son cours sur les moteurs, à l’É­cole du per­son­nel navi­gant d’es­sais du CEV, fait bien­tôt autorité.

En 1957, Jean Sois­sons est nom­mé chef du bureau plans et pro­grammes de la Direc­tion tech­nique et indus­trielle de l’aé­ro­nau­tique dont il super­vise l’en­semble du bud­get. Ses fonc­tions le mettent en rap­port avec la Direc­tion des recherches et moyens d’es­sais, dans le cadre de la Délé­ga­tion minis­té­rielle de l’ar­me­ment, créée en 1961. Il se fait alors très appré­cier pour son sérieux, son dyna­misme, son ouver­ture d’es­prit, aus­si bien par le délé­gué minis­té­riel, le géné­ral Lavaud, que par­mi ses inter­lo­cu­teurs de la DRME, alors diri­gée par le pro­fes­seur Lucien Mal­avard. Aus­si la pro­po­si­tion émise par l’in­gé­nieur en chef Mau­rice Nat­ta (38), sous-direc­teur des moyens d’es­sais à la DRME, de nom­mer Jean Sois­sons direc­teur du Centre d’es­sais des Landes (CEL) qui est créé en 1962, est-elle retenue.

La déci­sion de créa­tion du CEL, en date du 4 juillet 1962, signée de M. Pierre Mess­mer, ministre des Armées, fixait l’im­plan­ta­tion du centre et pré­ci­sait que le centre était pla­cé sous l’au­to­ri­té du Délé­gué minis­té­riel pour l’ar­me­ment – Direc­tion des recherches et moyens d’es­sais, mais ne défi­nis­sait que très suc­cinc­te­ment ses acti­vi­tés qui devaient être consa­crées » aux essais d’en­gins mili­taires et scien­ti­fiques « . Le cadre tra­cé lais­sait une grande place aux facul­tés de créa­tion et d’or­ga­ni­sa­tion du direc­teur et lui lais­sait la pos­si­bi­li­té de nom­breuses ini­tia­tives. Jean Sois­sons appré­ciait beau­coup la confiance qui lui était ain­si accordée.

Le CEL devait rem­pla­cer le Centre inter­ar­mées d’es­sais d’en­gins spé­ciaux (CIEES) de Colomb-Béchar-Ham­ma­guir, dont l’a­ban­don avait été déci­dé par les accords d’É­vian. Jean Sois­sons est ain­si char­gé de réa­li­ser, dans des délais très courts, un grand centre d’es­sais, indis­pen­sable à la force nucléaire stra­té­gique, mais qui doit aus­si pou­voir être uti­li­sé pour les mis­siles tac­tiques, en liai­son avec les trois armées. Il lui faut entrer en rela­tion, non seule­ment avec les futurs uti­li­sa­teurs mili­taires, mais aus­si avec les auto­ri­tés dépar­te­men­tales, les maires des com­munes voi­sines, les ser­vices des eaux et forêts, etc. Jean Sois­sons fait preuve d’un réel talent de diplo­mate, sachant mener, avec une grande cour­toi­sie, des négo­cia­tions sou­vent déli­cates. En outre, il crée un cli­mat cha­leu­reux au sein du per­son­nel du CEL qui com­prend des offi­ciers des trois armées, des ingé­nieurs mili­taires et des ingé­nieurs civils de diverses spé­cia­li­tés, tous ani­més d’un esprit d’en­tre­prise et d’un enthou­siasme à l’i­mage de leur chef. Le CEL et son direc­teur acquièrent très vite une excel­lente répu­ta­tion dans tous les ser­vices du Minis­tère, ain­si que par­mi les indus­triels utilisateurs.

Après s’être acquit­té par­fai­te­ment de cette redou­table tâche, Jean Sois­sons est nom­mé, en 1969, adjoint au direc­teur de la Direc­tion tech­nique des construc­tions aéro­nau­tiques (DTCA). Il en devient le direc­teur en 1970 et en exerce les fonc­tions jus­qu’en 1973. Durant cette période, il joue un rôle émi­nent dans les dif­fé­rents pro­grammes, tant civils que mili­taires, pour les­quels la DTCA inter­vient sous de mul­tiples aspects, à la fois au plan natio­nal et au plan inter­na­tio­nal. Il y apporte, en par­ti­cu­lier, tout le poids de ses com­pé­tences, très vastes dans le domaine tech­nique, mais aus­si dans le domaine financier.

Il est alors déta­ché à Aéro­spa­tiale, comme membre du direc­toire et direc­teur de la divi­sion avions (1974−1976), puis ins­pec­teur géné­ral (1976−1981). Il est éga­le­ment pré­sident de la Socié­té de construc­tion d’a­vions de tou­risme et d’af­faires (SOCATA), de 1974 à 1981.

Membre du conseil du Grou­pe­ment des indus­tries fran­çaises aéro­nau­tiques et spa­tiales (GIFAS), il est l’un des prin­ci­paux auteurs et, sur­tout, l’a­ni­ma­teur et l’or­ga­ni­sa­teur du monu­men­tal ouvrage, en trois tomes, inti­tu­lé : L’in­dus­trie aéro­nau­tique et spa­tiale fran­çaise 1907–1982, que le GIFAS fait paraître en jan­vier 1985.

Après une car­rière excep­tion­nelle et par­ti­cu­liè­re­ment bien rem­plie au ser­vice de l’É­tat, puis de l’in­dus­trie, Jean Sois­sons exerce, encore long­temps, d’im­por­tantes fonc­tions dans le domaine de la nor­ma­li­sa­tion : il est pré­sident du Bureau de nor­ma­li­sa­tion de l’aé­ro­nau­tique et de l’es­pace (BNAE) de 1981 à 1998.

Membre de l’A­ca­dé­mie natio­nale de l’air et de l’es­pace (ANAE) depuis 1984, Jean Sois­sons fut éga­le­ment membre émé­rite de l’As­so­cia­tion aéro­nau­tique et astro­nau­tique de France (AAAF) et membre du Comi­té d’his­toire de l’aé­ro­nau­tique (COMAERO).

Com­man­deur de la Légion d’hon­neur, grand offi­cier de l’ordre natio­nal du Mérite, médaillé de l’Aé­ro­nau­tique, Jean Sois­sons incar­nait l’aé­ro­nau­tique fran­çaise dont il fut un acteur essen­tiel pen­dant quatre décen­nies. Grand ser­vi­teur de l’É­tat, pen­dant toute la par­tie de sa car­rière au sein du minis­tère de la Défense, il fut aus­si un indus­triel par­ti­cu­liè­re­ment créatif.

Tout au cours de sa car­rière, il s’ef­for­ça d’op­ti­mi­ser les rela­tions entre l’É­tat et l’in­dus­trie aéro­nau­tique. Ces rela­tions, il les connais­sait bien, pour les avoir vécues, mais aus­si pour les avoir étu­diées dans leur évo­lu­tion, telle qu’il l’a décrite dans l’ou­vrage intro­duc­tif COMAERO : Un demi-siècle d’aé­ro­nau­tique en France, publié sous la direc­tion d’É­mile Blanc, ancien délé­gué géné­ral pour l’ar­me­ment. À la fin de son article très docu­men­té, Jean Sois­sons conclut ainsi :

Il est cer­tain que le monde aéro­nau­tique est en train de chan­ger. Tout nou­veau pro­gramme impor­tant est envi­sa­gé en coopé­ra­tion. Les struc­tures qui per­met­taient de réa­li­ser ces pro­grammes tendent à deve­nir de véri­tables socié­tés à capi­tal inter­na­tio­nal, dotées de moyens indus­triels impor­tants. Quoi qu’il en soit, la com­pé­tence tech­nique, la rigueur des méthodes de tra­vail, le sou­ci de l’in­té­rêt géné­ral qui ont carac­té­ri­sé les per­son­nels de la Direc­tion tech­nique et indus­trielle de l’aé­ro­nau­tique et des direc­tions qui l’ont rem­pla­cée res­te­ront les atouts majeurs de leurs suc­ces­seurs, au béné­fice de la place de la France dans l’aé­ro­nau­tique mondiale.

Cette com­pé­tence tech­nique, cette rigueur dans les méthodes de tra­vail, ce sou­ci de l’in­té­rêt géné­ral étaient aus­si, au pre­mier chef, les carac­té­ris­tiques du grand déci­deur que fut Jean Sois­sons. Mais son émi­nente enver­gure intel­lec­tuelle ne doit pas faire oublier l’am­pleur de ses qua­li­tés morales. Comme le sou­li­gnait l’in­gé­nieur géné­ral Robert Mun­nich (36), lors de ses obsèques le 19 décembre der­nier, Jean Sois­sons fut, pour tous ceux qui l’ont appro­ché, pour ses cama­rades et pour ses col­la­bo­ra­teurs, un être incom­pa­rable. C’é­tait un chef, un vrai chef, un homme d’ac­tion, un homme de cœur. Il savait écou­ter, convaincre par la per­sua­sion, déci­der ce qui était juste et réa­liste. Il res­tait tou­jours calme, n’é­tait jamais impa­tient, jamais découragé.

Son sou­ve­nir res­te­ra gra­vé dans la mémoire de tous, notam­ment par­mi les anciens des essais en vol dont il pré­si­da l’A­mi­cale avec un dévoue­ment total. Il fut ensuite nom­mé, à l’u­na­ni­mi­té, pré­sident d’hon­neur de l’AAEV. La per­son­na­li­té de Jean Sois­sons aura mar­qué, d’une empreinte inef­fa­çable, un demi-siècle d’aé­ro­nau­tique en France.

L’A­ca­dé­mie natio­nale de l’air et de l’es­pace a tenu à rendre un hom­mage solen­nel à Jean Sois­sons qui en a été un des membres les plus actifs et les plus appré­ciés. Les membres de l’A­NAE s’ho­norent d’a­voir été ses confrères, se sou­viennent de ses inter­ven­tions tou­jours enri­chis­santes dans leurs débats. Ils gardent en mémoire l’i­mage ami­cale et sereine de Jean Soissons.

Aujourd’­hui, c’est plus lar­ge­ment les membres de la com­mu­nau­té poly­tech­ni­cienne qui l’ont connu et sur­tout, bien sûr, tous ceux qui ont tra­vaillé avec lui dans le domaine aéro­nau­tique et spa­tial qui sou­haitent évo­quer sa mémoire.

Ils sont una­nimes à recon­naître, en sa per­son­na­li­té, des qua­li­tés rare­ment ras­sem­blées à ce très haut niveau : com­pé­tence, effi­ca­ci­té, juge­ment, rigueur, enthou­siasme, capa­ci­té d’é­coute, cha­leur humaine et dis­cré­tion. Pour cha­cun d’entre eux avoir bien connu Jean Sois­sons fut un vrai bonheur !

De tout cœur, Mer­ci, Jean

Poster un commentaire