Investissement responsable : les épargnants français encore à convaincre

Les épargnants français sont exposés à l’investissement socialement responsable (ISR) depuis le début du siècle. Cependant, si leur appétence est forte pour la prise en compte de critères environnementaux et sociaux, ils connaissent encore peu l’ISR et restent dubitatifs sur l’impact qu’ils peuvent avoir en choisissant cette forme d’épargne. Explications illustrées par le baromètre annuel de l’Ifop pour le FIR.
En France, l’investissement responsable a connu un essor à partir des années 2000 sous l’impulsion des gérants d’actifs, principalement auprès d’une clientèle d’investisseurs institutionnels. Ces investisseurs souhaitaient aligner leur stratégie sur leur propre mission de long terme que sont l’assurance, la prévoyance ou encore les retraites et l’ISR répondait à cette attente de performance financière liée à une performance sociétale. Dans d’autres pays aux régimes de retraite différents, l’ISR a été encouragé par les fonds de pension eux-mêmes pour des raisons similaires : aligner performances financière et sociétale.
Les syndicats, premiers avocats de l’épargne responsable
Auprès des épargnants individuels français, ce sont d’abord les syndicats qui ont favorisé la montée en puissance des fonds responsables. Le comité intersyndical de l’épargne salariale (CIES), qui réunit quatre grandes organisations syndicales : la CFDT, la CFTC, la CFE-CGC et la CGT, en fut le principal acteur. Aussi paradoxal que cela puisse paraître, c’est bien autour de la finance et de l’épargne que ces organisations ont réussi à s’entendre afin de labelliser, ensemble, des gammes de fonds responsables destinées aux salariés.
Ces gammes ont été le premier vecteur de diffusion de l’ISR auprès des particuliers et ont ouvert la porte aux autres labels comme ISR ou Greenfin dans l’offre d’épargne au sein des entreprises. En général, celles-ci abondent les sommes épargnées, rendant le choix de la finance responsable plus naturel : on met un supplément d’âme à ce qui est considéré comme un avantage offert par l’entreprise. Néanmoins, quand on les interroge, les Français ne sont pas forcément conscients qu’ils ont choisi une forme d’épargne engagée, y compris dans leur épargne salariale.
Les labels d’investissement responsable
- https://www.lelabelisr.fr/ : créé en 2016, le label ISR est attribué à 939 fonds fin 2024. Il dépend du ministère de l’Économie et des Finances.
- https://www.ecologie.gouv.fr/politiques-publiques/label-greenfin/ : créé en 2016, le label Greenfin est attribué à 106 fonds labellisés pour 36 milliards d’euros fin 2024. Il dépend du ministère de la Transition écologique.
- https://www.finance-fair.org/fr/connaitre-le-label-finansol : créé en 1997, le label Finansol est attribué à près de 200 produits financiers. C’est un label privé porté par l’association FAIR.
Les épargnants comme nouvelle frontière
Depuis lors, l’ISR est entré plus massivement dans l’épargne des Français par les réseaux de distribution, qu’ils soient bancaires ou assurantiels, ou par les conseillers en gestion de patrimoine. Chaque année depuis 2010, nous sondons les Français sur la finance responsable pour en mesurer la notoriété, ainsi que leur appétence d’épargnants, et pour tenter de mieux comprendre ce qu’ils en attendent. Les résultats de ce sondage, devenu le baromètre de référence pour l’ISR en France, ont évolué assez lentement mais montrent quelques phénomènes intéressants, notamment sur les tiers de confiance et les sujets sociétaux qui intéressent le plus les Français.
Sondage : Les Français et la finance responsable
Le sondage est mené par l’Ifop à la fin du mois d’août 2024 auprès d’un échantillon d’un millier de personnes représentatif de la population française âgée de 18 ans et plus. Parmi les sondés, 85 % possèdent au moins un produit d’épargne et 51 % disposent de plus qu’un livret. Des sous-catégories sont étudiées en fonction de l’âge, du sexe, de la possession de certains produits d’épargne, etc.
Les principaux résultats du sondage IFOP 2024
L’épargne responsable reste encore méconnue
Aujourd’hui, beaucoup de Français sont devenus des « consomm’acteurs » et font le choix d’acheter bio, équitable, local… Ils pratiquent volontiers le recyclage et le tri sélectif, choisissent le train ou des véhicules électriques pour se déplacer. Mais, en matière d’épargne, peu sont conscients qu’ils peuvent choisir des produits responsables et avoir un impact positif.
“Seuls 18 % des Français déclarent connaître l’investissement responsable.”
Dans le sondage 2024, seuls 18 % des Français déclarent connaître l’investissement responsable et 39 % en avoir entendu parler. C’est naturellement plus qu’en 2010, quand le premier sondage a été réalisé, mais cela reste faible au regard des enjeux. Cependant, la bonne nouvelle dans ce constat mitigé est que 32 % des 18–24 ans connaissent l’investissement responsable ; ils sont les futurs épargnants, et parfois prescripteurs auprès de leurs aînés.
La demande potentielle est forte
Interrogés sur les impacts environnementaux et sociaux dans les décisions de placement, les Français considèrent majoritairement que c’est une question importante. Si on constate un tassement de 59 à 51 % sur cette question, l’Ifop l’observe en 2024 dans tous les sondages liés à la durabilité. L’instabilité internationale en Europe, aux États-Unis, en Asie, voire en France, explique assez largement ce détournement des Français des questions environnementales qui, à leurs yeux, incarnent d’abord le développement durable. Là encore, on observe chez les plus jeunes, les moins de 35 ans, une appétence renforcée pour ces sujets.
Une offre existante mais une distribution encore défaillante
L’ensemble des réseaux de distribution doit désormais proposer des produits responsables. Depuis la loi Pacte de 2021, ils ont l’obligation d’inclure dans leurs offres d’assurance-vie (en unité de compte) des fonds labellisés ISR, Greenfin et Finansol. Par ailleurs, les textes européens imposent désormais de questionner l’épargnant non plus seulement sur son profil d’aversion au risque mais également sur son appétence en matière de durabilité.
Malgré cela, seuls 13 % des épargnants déclarent s’être vu proposer des produits responsables (47 % d’entre eux étant passés à l’acte). Cette faible proposition est d’autant plus dommageable que le conseiller financier reste, de loin, le meilleur tiers de confiance pour les épargnants. Ils sont 68 % à lui faire confiance, devant la famille et les proches à 9 %, la presse et les médias à 6 %, ex æquo avec les ONG et les associations de consommateurs.
L’une des explications à cette distribution défaillante est liée à la nature même des produits responsables, qui sont perçus comme trop complexes et inadaptés à la clientèle des particuliers. Conçus souvent autour du concept de « meilleurs de la classe » (best in class) qui sélectionne dans tous les secteurs d’activité les meilleures entreprises (ou les moins mauvaises disent certains), ces fonds restent illisibles pour la clientèle des particuliers. Elle sera beaucoup plus sensible à des fonds thématiques dont le contenu sera plus clair, tout en répondant à une préférence de l’épargnant.
Des thèmes sociaux qui restent très importants pour les Français
Le sondage interroge également les Français sur les sujets environnementaux, sociaux et de bonne gouvernance qui ont le plus d’importance à leurs yeux. Les sujets sociaux restent d’année en année plébiscités et en 2024 on retrouve en tête le bien-être au travail, les droits humains et l’emploi, suivis de près par le développement économique local et l’égalité femme-homme. Sur le volet environnemental, les pollutions arrivent en tête, devant le changement climatique et l’agroécologie ; la gestion responsable des ressources et la biodiversité ne sont pas loin.
En revanche, s’ils ne sont pas négligés, les sujets de gouvernance, comme l’éthique des affaires, l’évitement fiscal ou la rémunération des dirigeants, suscitent un peu moins d’intérêt, car ils sont plus éloignés des préoccupations quotidiennes des Français. Finalement, ce sont beaucoup de sujets sur lesquels les gérants d’actifs pourraient s’appuyer pour créer des fonds thématiques en résonance avec les attentes des Français. Le fort succès commercial de certains fonds thématiques – eau, santé, voire plus précis encore autour du cancer – devrait être de nature à inspirer les gérants. Il serait alors plus aisé pour les conseillers financiers de proposer des fonds clairs et crédibles à leurs clients autour de leurs préférences sociétales : économie locale, inclusion, climat, égalité femme-homme, éthique des affaires, biodiversité…
Les Français restent à convaincre
Cette innovation thématique est d’autant plus nécessaire que le sondage montre aussi que les Français restent dubitatifs quant à l’efficacité de la finance responsable. Quand on les interroge sur l’impact des produits financiers responsables, ils sont 59 % à le qualifier de neutre et seulement 28 % à lui reconnaître un impact positif. Il y a donc du chemin à faire pour convaincre et les labels doivent œuvrer en ce sens, avec des référentiels crédibles et une gouvernance irréprochable.
Pour finir avec une bonne nouvelle au chapitre de l’engagement actionnarial, six Français sur dix reconnaissent que les financiers doivent jouer un rôle afin d’influencer les entreprises pour adopter les meilleures pratiques de durabilité. Un signal très positif pour le FIR, car il nous encourage à persévérer dans le dialogue et l’engagement avec les entreprises.
Un travail qui s’est cristallisé avec la création de notre plateforme dédiée en 2021, qui fédère les actions des investisseurs de la place de Paris sur les sujets ESG vis-à-vis des entreprises. En résumé, si l’on veut que les flux d’épargne des Français s’orientent vers plus de durabilité, il faut renforcer la crédibilité de la finance responsable et former les réseaux de distribution à offrir des produits sérieux, lisibles et idéalement labellisés.
Le Forum pour l’investissement responsable
Le FIR est une association multiparties prenantes qui compte quelque 140 membres : investisseurs institutionnels, gérants d’actifs, consultants, agences de notation, chaires universitaires, ONG, syndicats, ainsi que quelques personnalités qualifiées : universitaires, avocats, économistes… Son objet social est de promouvoir et de développer les meilleures pratiques de l’investissement responsable.
Activités principales du FIR :
- La Semaine de la finance responsable qui se tient chaque année au début de l’automne et à l’occasion de laquelle le sondage est réalisé.
- Plaidoyer pour la finance durable lorsque les lois s’y prêtent, notamment sur le Say on Climate (vote systématique et non contraignant des actionnaires sur la stratégie climat et de durabilité des entreprises cotées).
- Le prix FIR-PRI afin de soutenir la recherche universitaire européenne en finance et développement durables, au travers d’une bourse doctorale ainsi que de récompenses aux meilleures thèses de master et de doctorat, aux meilleurs articles publiés dans les revues de pairs, ainsi qu’aux initiatives pédagogiques.
- L’engagement actionnarial collaboratif au travers d’une plateforme. Le FIR, avec ses membres, mène chaque année une campagne de questions écrites ESG (environnement, social, bonne gouvernance) lors des assemblées générales du CAC 40. Il mène des campagnes thématiques de dialogue avec des entreprises cotées de tailles variables comme sur le civisme fiscal, l’économie circulaire, les droits humains en Russie après le déclenchement de la guerre en Ukraine,
le travail forcé ou le travail des enfants. Enfin, il coordonne certains dépôts de résolutions externes en assemblée générale (chez Engie en 2023 et TotalEnergies en 2024). - Autres activités traditionnelles d’une association, telles que les groupes de travail, les événements et rencontres autour de son objet social.