Investissement responsable

Investissement responsable : les épargnants français encore à convaincre

Dossier : La finance durableMagazine N°804 Avril 2025
Par Grégoire COUSTÉ

Les épar­gnants fran­çais sont expo­sés à l’investissement socia­le­ment res­pon­sable (ISR) depuis le début du siècle. Cepen­dant, si leur appé­tence est forte pour la prise en compte de cri­tères envi­ron­ne­men­taux et sociaux, ils connaissent encore peu l’ISR et res­tent dubi­ta­tifs sur l’impact qu’ils peuvent avoir en choi­sis­sant cette forme d’épargne. Expli­ca­tions illus­trées par le baro­mètre annuel de l’Ifop pour le FIR.

En France, l’investissement res­pon­sable a connu un essor à par­tir des années 2000 sous l’impulsion des gérants d’actifs, prin­ci­pa­le­ment auprès d’une clien­tèle d’investisseurs institution­nels. Ces inves­tis­seurs sou­hai­taient ali­gner leur stra­té­gie sur leur propre mis­sion de long terme que sont l’assurance, la pré­voyance ou encore les retraites et l’ISR répon­dait à cette attente de per­for­mance finan­cière liée à une per­for­mance socié­tale. Dans d’autres pays aux régimes de retraite dif­fé­rents, l’ISR a été encou­ra­gé par les fonds de pen­sion eux-mêmes pour des rai­sons simi­laires : ali­gner per­for­mances finan­cière et sociétale.

Les syndicats, premiers avocats de l’épargne responsable

Auprès des épar­gnants indi­vi­duels fran­çais, ce sont d’abord les syn­di­cats qui ont favo­ri­sé la mon­tée en puis­sance des fonds res­pon­sables. Le comi­té inter­syn­di­cal de l’épargne sala­riale (CIES), qui réunit quatre grandes orga­ni­sa­tions syn­di­cales : la CFDT, la CFTC, la CFE-CGC et la CGT, en fut le prin­ci­pal acteur. Aus­si para­doxal que cela puisse paraître, c’est bien autour de la finance et de l’épargne que ces orga­ni­sa­tions ont réus­si à s’entendre afin de label­li­ser, ensemble, des gammes de fonds res­pon­sables des­ti­nées aux salariés.

Ces gammes ont été le pre­mier vec­teur de dif­fu­sion de l’ISR auprès des par­ti­cu­liers et ont ouvert la porte aux autres labels comme ISR ou Green­fin dans l’offre d’épargne au sein des entre­prises. En géné­ral, celles-ci abondent les sommes épar­gnées, ren­dant le choix de la finance res­pon­sable plus natu­rel : on met un sup­plé­ment d’âme à ce qui est consi­dé­ré comme un avan­tage offert par l’entreprise. Néan­moins, quand on les inter­roge, les Fran­çais ne sont pas for­cé­ment conscients qu’ils ont choi­si une forme d’épargne enga­gée, y com­pris dans leur épargne salariale.


Les labels d’investissement responsable


Les épargnants comme nouvelle frontière

Depuis lors, l’ISR est entré plus mas­si­ve­ment dans l’épargne des Fran­çais par les réseaux de dis­tri­bu­tion, qu’ils soient ban­caires ou assu­ran­tiels, ou par les conseillers en ges­tion de patri­moine. Chaque année depuis 2010, nous son­dons les Fran­çais sur la finance res­pon­sable pour en mesu­rer la noto­rié­té, ain­si que leur appé­tence d’épargnants, et pour ten­ter de mieux com­prendre ce qu’ils en attendent. Les résul­tats de ce son­dage, deve­nu le baro­mètre de réfé­rence pour l’ISR en France, ont évo­lué assez len­te­ment mais montrent quelques phé­no­mènes inté­res­sants, notam­ment sur les tiers de confiance et les sujets socié­taux qui inté­ressent le plus les Français.

Les thématiques sociales et environnementales sont toujours les plus ilmportantes aux yeux des épargnants en matière d'investissement responsable


Sondage : Les Français et la finance responsable 

Le son­dage est mené par l’Ifop à la fin du mois d’août 2024 auprès d’un échan­tillon d’un mil­lier de per­sonnes repré­sen­ta­tif de la popu­la­tion fran­çaise âgée de 18 ans et plus. Par­mi les son­dés, 85 % pos­sèdent au moins un pro­duit d’épargne et 51 % dis­posent de plus qu’un livret. Des sous-caté­go­ries sont étu­diées en fonc­tion de l’âge, du sexe, de la pos­ses­sion de cer­tains pro­duits d’épargne, etc.

Les prin­ci­paux résul­tats du son­dage IFOP 2024


L’épargne responsable reste encore méconnue

Aujourd’hui, beau­coup de Fran­çais sont deve­nus des « consomm’acteurs » et font le choix d’acheter bio, équi­table, local… Ils pra­tiquent volon­tiers le recy­clage et le tri sélec­tif, choi­sissent le train ou des véhi­cules élec­triques pour se dépla­cer. Mais, en matière d’épargne, peu sont conscients qu’ils peuvent choi­sir des pro­duits res­pon­sables et avoir un impact positif.

“Seuls 18 % des Français déclarent connaître l’investissement responsable.”

Dans le son­dage 2024, seuls 18 % des Fran­çais déclarent connaître l’investissement res­pon­sable et 39 % en avoir enten­du par­ler. C’est natu­rel­le­ment plus qu’en 2010, quand le pre­mier son­dage a été réa­li­sé, mais cela reste faible au regard des enjeux. Cepen­dant, la bonne nou­velle dans ce constat miti­gé est que 32 % des 18–24 ans connaissent l’investissement res­pon­sable ; ils sont les futurs épar­gnants, et par­fois pres­crip­teurs auprès de leurs aînés.

Les épargnants restent à convaincre de l'impact des produits financiers responsables ou durables sur l'environnement et la société

La demande potentielle est forte

Inter­ro­gés sur les impacts envi­ron­ne­men­taux et sociaux dans les déci­sions de pla­ce­ment, les Fran­çais consi­dèrent majo­ri­tai­re­ment que c’est une ques­tion impor­tante. Si on constate un tas­se­ment de 59 à 51 % sur cette ques­tion, l’Ifop l’observe en 2024 dans tous les son­dages liés à la dura­bi­li­té. L’instabilité inter­na­tio­nale en Europe, aux États-Unis, en Asie, voire en France, explique assez lar­ge­ment ce détour­ne­ment des Fran­çais des ques­tions envi­ron­ne­men­tales qui, à leurs yeux, incarnent d’abord le déve­lop­pe­ment durable. Là encore, on observe chez les plus jeunes, les moins de 35 ans, une appé­tence ren­for­cée pour ces sujets.

Une offre existante mais une distribution encore défaillante

L’ensemble des réseaux de dis­tri­bu­tion doit désor­mais pro­po­ser des pro­duits res­pon­sables. Depuis la loi Pacte de 2021, ils ont l’obligation d’inclure dans leurs offres d’assurance-vie (en uni­té de compte) des fonds label­li­sés ISR, Green­fin et Finan­sol. Par ailleurs, les textes euro­péens imposent désor­mais de ques­tion­ner l’épargnant non plus seule­ment sur son pro­fil d’aversion au risque mais éga­le­ment sur son appé­tence en matière de durabilité. 

Mal­gré cela, seuls 13 % des épar­gnants déclarent s’être vu pro­po­ser des pro­duits res­pon­sables (47 % d’entre eux étant pas­sés à l’acte). Cette faible pro­po­si­tion est d’autant plus dom­ma­geable que le conseiller finan­cier reste, de loin, le meilleur tiers de confiance pour les épar­gnants. Ils sont 68 % à lui faire confiance, devant la famille et les proches à 9 %, la presse et les médias à 6 %, ex æquo avec les ONG et les asso­cia­tions de consommateurs. 

L’une des expli­ca­tions à cette dis­tri­bu­tion défaillante est liée à la nature même des pro­duits res­pon­sables, qui sont per­çus comme trop com­plexes et inadap­tés à la clien­tèle des par­ti­cu­liers. Conçus sou­vent autour du concept de « meilleurs de la classe » (best in class) qui sélec­tionne dans tous les sec­teurs d’activité les meilleures entre­prises (ou les moins mau­vaises disent cer­tains), ces fonds res­tent illi­sibles pour la clien­tèle des par­ti­cu­liers. Elle sera beau­coup plus sen­sible à des fonds thé­ma­tiques dont le conte­nu sera plus clair, tout en répon­dant à une pré­fé­rence de l’épargnant.

Des thèmes sociaux qui restent très importants pour les Français

Le son­dage inter­roge éga­le­ment les Fran­çais sur les sujets envi­ron­ne­men­taux, sociaux et de bonne gou­ver­nance qui ont le plus d’importance à leurs yeux. Les sujets sociaux res­tent d’année en année plé­bis­ci­tés et en 2024 on retrouve en tête le bien-être au tra­vail, les droits humains et l’emploi, sui­vis de près par le déve­lop­pe­ment éco­no­mique local et l’égalité femme-homme. Sur le volet environ­nemental, les pol­lu­tions arrivent en tête, devant le chan­ge­ment cli­ma­tique et l’agroécologie ; la ges­tion res­pon­sable des res­sources et la bio­di­ver­si­té ne sont pas loin.

En revanche, s’ils ne sont pas négli­gés, les sujets de gou­ver­nance, comme l’éthique des affaires, l’évitement fis­cal ou la rému­né­ra­tion des diri­geants, sus­citent un peu moins d’intérêt, car ils sont plus éloi­gnés des pré­oc­cu­pa­tions quo­ti­diennes des Fran­çais. Fina­le­ment, ce sont beau­coup de sujets sur les­quels les gérants d’actifs pour­raient s’appuyer pour créer des fonds thé­ma­tiques en réso­nance avec les attentes des Fran­çais. Le fort suc­cès com­mer­cial de cer­tains fonds thé­ma­tiques – eau, san­té, voire plus pré­cis encore autour du can­cer – devrait être de nature à ins­pi­rer les gérants. Il serait alors plus aisé pour les conseillers finan­ciers de pro­po­ser des fonds clairs et cré­dibles à leurs clients autour de leurs pré­fé­rences socié­tales : éco­no­mie locale, inclu­sion, cli­mat, éga­li­té femme-homme, éthique des affaires, biodiversité…

Les Français restent à convaincre

Cette inno­va­tion thé­ma­tique est d’autant plus néces­saire que le son­dage montre aus­si que les Fran­çais res­tent dubi­ta­tifs quant à l’efficacité de la finance res­pon­sable. Quand on les inter­roge sur l’impact des pro­duits finan­ciers res­pon­sables, ils sont 59 % à le qua­li­fier de neutre et seule­ment 28 % à lui recon­naître un impact posi­tif. Il y a donc du che­min à faire pour convaincre et les labels doivent œuvrer en ce sens, avec des réfé­ren­tiels cré­dibles et une gou­ver­nance irréprochable.

Pour finir avec une bonne nou­velle au cha­pitre de l’engagement action­na­rial, six Fran­çais sur dix recon­naissent que les finan­ciers doivent jouer un rôle afin d’influencer les entre­prises pour adop­ter les meilleures pra­tiques de dura­bi­li­té. Un signal très posi­tif pour le FIR, car il nous encou­rage à per­sé­vé­rer dans le dia­logue et l’engagement avec les entreprises.

Un tra­vail qui s’est cris­tal­li­sé avec la créa­tion de notre pla­te­forme dédiée en 2021, qui fédère les actions des inves­tis­seurs de la place de Paris sur les sujets ESG vis-à-vis des entre­prises. En résu­mé, si l’on veut que les flux d’épargne des Fran­çais s’orientent vers plus de dura­bi­li­té, il faut ren­for­cer la cré­di­bi­li­té de la finance res­pon­sable et for­mer les réseaux de dis­tri­bu­tion à offrir des pro­duits sérieux, lisibles et idéa­le­ment labellisés.


Le Forum pour l’investissement responsable

Le FIR est une asso­cia­tion mul­ti­par­ties pre­nantes qui compte quelque 140 membres : inves­tis­seurs ins­ti­tu­tion­nels, gérants d’actifs, consul­tants, agences de nota­tion, chaires uni­ver­si­taires, ONG, syn­di­cats, ain­si que quelques per­son­na­li­tés qua­li­fiées : uni­ver­si­taires, avo­cats, éco­no­mistes… Son objet social est de pro­mou­voir et de déve­lop­per les meilleures pra­tiques de l’investissement responsable.

Acti­vi­tés prin­ci­pales du FIR :

  1. La Semaine de la finance res­pon­sable qui se tient chaque année au début de l’automne et à l’occasion de laquelle le son­dage est réalisé.
  2. Plai­doyer pour la finance durable lorsque les lois s’y prêtent, notam­ment sur le Say on Cli­mate (vote sys­té­ma­tique et non contrai­gnant des action­naires sur la stra­té­gie cli­mat et de dura­bi­li­té des entre­prises cotées).
  3. Le prix FIR-PRI afin de sou­te­nir la recherche uni­ver­si­taire euro­péenne en finance et déve­lop­pe­ment durables, au tra­vers d’une bourse doc­to­rale ain­si que de récom­penses aux meilleures thèses de mas­ter et de doc­to­rat, aux meilleurs articles publiés dans les revues de pairs, ain­si qu’aux ini­tia­tives pédagogiques.
  4. L’engagement action­na­rial col­la­bo­ra­tif au tra­vers d’une pla­te­forme. Le FIR, avec ses membres, mène chaque année une cam­pagne de ques­tions écrites ESG (envi­ron­ne­ment, social, bonne gou­ver­nance) lors des assem­blées géné­rales du CAC 40. Il mène des cam­pagnes thé­ma­tiques de dia­logue avec des entre­prises cotées de tailles variables comme sur le civisme fis­cal, l’économie cir­cu­laire, les droits humains en Rus­sie après le déclen­che­ment de la guerre en Ukraine,
    le tra­vail for­cé ou le tra­vail des enfants. Enfin, il coor­donne cer­tains dépôts de réso­lu­tions externes en assem­blée géné­rale (chez Engie en 2023 et Tota­lE­ner­gies en 2024).
  5. Autres acti­vi­tés tra­di­tion­nelles d’une asso­cia­tion, telles que les groupes de tra­vail, les évé­ne­ments et ren­contres autour de son objet social.

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