INRIA : un institut à la croisée des sciences et des technologies

Dossier : Vie des entreprisesMagazine N°771 Janvier 2022
Par Jean-Yves BERTHOU

Jean-Yves Ber­thou, direc­teur du centre Inria de Saclay, revient sur les évo­lu­tions et les enjeux que posent les tech­no­lo­gies numé­riques. Il nous explique com­ment Inria appré­hende ces sujets et revient sur les pro­jets qui mobi­lisent les dif­fé­rentes équipes. Rencontre.

La simulation numérique, du HPC, de la HPDA et de l’IA s’imposent comme des enjeux déterminants pour la compétitivité et la performance de nos industries. Pourquoi ?

Ce n’est pas nou­veau. C’est une réa­li­té depuis déjà une ving­taine d’années et de nom­breux papiers ont été rédi­gés et publiés en ce sens. Ces tech­no­lo­gies sont deve­nues essen­tielles à de nom­breux sec­teurs qui dépassent les indus­tries clas­siques et le domaine des sciences dures. La simu­la­tion et la modé­li­sa­tion sont des outils clés pour la concep­tion de médi­ca­ments, le pilo­tage et l’optimisation de la pro­duc­tion d’énergie, l’ingénierie et la concep­tion des avions, des auto­mo­biles, des satel­lites… En paral­lèle, le HPC qui nous apporte une capa­ci­té à trai­ter des pro­blé­ma­tiques com­plexes est indis­pen­sable pour rele­ver le défi cli­ma­tique et mieux cer­ner et com­prendre des phé­no­mènes extrêmes comme les tor­nades, les tsu­na­mis, les inon­da­tions ou les cyclones… Le HPC est éga­le­ment essen­tiel pour trai­ter de gigan­tesques volumes de don­nées com­plexes et hété­ro­gènes de san­té afin d’analyser l’efficacité thé­ra­peu­tique des médi­ca­ments et déployer une méde­cine personnalisée.

L’IA prend de plus en plus d’importance et impacte, par ailleurs, le déve­lop­pe­ment de ces tech­no­lo­gies numé­riques. En effet, on sait aujourd’hui que la com­bi­nai­son du HPC, de la HPDA et de l’IA va nous per­mettre de résoudre des pro­blé­ma­tiques tou­jours plus com­plexes dans de nom­breux domaines et secteurs.

“Inria a un rôle important à jouer : se positionner comme un institut à la croisée de ces différents domaines, en alliant recherche fondamentale et développement technologique. Nous avons développé un modèle qui nous est propre et qui s’articule autour d’équipes-projets qui réunissent des spécialistes de domaines divers sur une période de quatre ans, qui peut être reconduite deux fois et résoudre une problématique à fort impact scientifique, sociétal, économique.”

Sur ces questions, quel est le positionnement de Inria ?

Nous sommes posi­tion­nés sur des domaines com­plexes qui font appel à un nombre consi­dé­rable de sciences et de tech­no­lo­gies : phy­sique, chi­mie, sciences de l’ingénieur, bio­lo­gie, géno­mique, astro­no­mie, san­té mais aus­si Sciences Humaines et Sociales… Pour pou­voir mettre en œuvre ces grands domaines appli­ca­tifs, nous nous appuyons sur l’informatique et les mathé­ma­tiques, de leur forme la plus fon­da­men­tale à la plus appli­quée. Par exemple, en matière d’IA, la capa­ci­té à com­prendre et à faire confiance à un modèle repose sur des recherches extrê­me­ment pous­sées en mathé­ma­tiques. De la même manière, le déve­lop­pe­ment de logi­ciels qui vont mettre en œuvre les modèles d’IA reposent éga­le­ment sur les mathé­ma­tiques et l’informatique.

Au sein d’Inria, nous déve­lop­pons ain­si de nom­breuses biblio­thèques logi­cielles de renom­mée inter­na­tio­nale. À titre d’exemple la librai­rie en IA Sci­kit-learn est télé­char­gée plus d’un mil­lion fois chaque mois. Avec nos par­te­naires aca­dé­miques et uni­ver­si­taires, nous déve­lop­pons ces outils et méthodes qui sont ensuite décli­nés et implé­men­tés dans des logi­ciels qui seront uti­li­sés de manière opé­ra­tion­nelle sur le terrain. 

Dans ce cadre, sur quels sujets et pro­jets êtes-vous mobilisés ?

Dans le domaine de l’énergie, avec EDF, nous tra­vaillons sur des outils de modé­li­sa­tion pour com­prendre le fonc­tion­ne­ment d’une ins­tal­la­tion et son vieillis­se­ment pour garan­tir son effi­ca­ci­té opé­ra­tion­nelle, mais aus­si la sûre­té géné­rale. Ces modèles de simu­la­tion dit inverse per­mettent à tra­vers l’analyse de signaux de com­prendre, par exemple, l’évolution du béton dans le temps. 

Dans le domaine de la san­té et de la bio­lo­gie, qui repré­sente 20 à 30 % de notre acti­vi­té glo­bale, nous sommes mobi­li­sés sur les ques­tions du trai­te­ment des don­nées de san­té, de simu­la­tion d’organes et du jumeau numé­rique du patient. Nous menons ain­si des tra­vaux sur la simu­la­tion du foie, des pou­mons et du cœur. Ces outils de simu­la­tion per­met­tront par exemple de gui­der le geste anes­thé­siste pen­dant un acte chi­rur­gi­cal. Une start-up, Anaes­tAs­sist por­tée par Fran­çois Kim­mig, est en cours d’incubation sur le sujet. Nous déve­lop­pons des modèles bio­lo­giques et des outils pour modé­li­ser le com­por­te­ment des cel­lules. Avec le CEA et Neu­roS­pin, nous sommes éga­le­ment mobi­li­sés sur le déve­lop­pe­ment d’outils d’analyse des images (IRM…). Ces outils d’imagerie appli­qués au cer­veau ont voca­tion à nous per­mettre de mieux appré­hen­der le fonc­tion­ne­ment d’un cer­veau sain et malade pour com­prendre les méca­nismes du vieillis­se­ment du cer­veaux, mieux com­prendre des mala­dies comme l’Alzheimer…

Avec Cen­tra­le­Su­pé­lec, la start-up Owkin et l’Institut Gus­tave Rous­sy, l’équipe Inria OPIS a déve­lop­pé, pen­dant la pan­dé­mie, un outil pour l’analyse d’imagerie du pou­mon. Ce pro­jet a per­mis de mettre au point une nou­velle métho­do­lo­gie pour ana­ly­ser la gra­vi­té de l’infection des patients admis afin d’identifier les cas qui néces­si­taient une hos­pi­ta­li­sa­tion, de déter­mi­ner le trai­te­ment adéquat…

“Il est important de repenser les partenariats et les collaborations entre le monde de l’enseignement, de la recherche, de l’industrie et des entreprises. Nous ne pourrons appréhender ces enjeux avec pertinence que si nous sommes en mesure de créer de véritables synergies entre l’ensemble de ces acteurs, sur le temps long.”

Quels sont les principaux enjeux qui persistent ?

Nous assis­tons à une plus forte imbri­ca­tion des sciences numé­riques avec l’ensemble des autres sciences. À cela s’ajoute l’émergence de nou­velles com­pé­tences et connais­sances qui sont à l’articulation, à l’interface des dif­fé­rents domaines scien­ti­fiques. Dans ce contexte, Inria a un rôle impor­tant à jouer : se posi­tion­ner comme un ins­ti­tut à la croi­sée de ces dif­fé­rents domaines, en alliant recherche fon­da­men­tale et déve­lop­pe­ment technologique. 

Nous avons déve­lop­pé un modèle qui nous est propre et qui s’articule autour d’équipes pro­jets qui réunissent des spé­cia­listes de domaines divers sur une période de quatre ans, qui peut être recon­duite deux fois et résoudre une pro­blé­ma­tique à fort impact scien­ti­fique, socié­tal, économique.

Dans un environnement technologique en pleine mutation, quelles sont les prochaines étapes et comment les anticipez-vous ?

Il est impor­tant de repen­ser les par­te­na­riats et les col­la­bo­ra­tions entre le monde de l’enseignement, de la recherche, de l’industrie et des entre­prises. Nous ne pour­rons appré­hen­der ces enjeux avec per­ti­nence que si nous sommes en mesure de créer de véri­tables syner­gies entre l’ensemble de ces acteurs, sur le temps long. C’est pour­quoi nous avons pour ambi­tion que 10 % de nos équipe-pro­jets soient com­munes avec des indus­triels. À Saclay, nous avons créé une pre­mière équipe com­mune avec l’Institut Poly­tech­nique de Paris et EDF dédiée aux pro­blé­ma­tiques que j’évoquais en début d’entretien, une deuxième équipe est en cours d’instruction avec Criteo. 

Poster un commentaire