La French Tech au Consumer Electronic Show de Las Vegas

Innovation industrielle : la France progresse

Dossier : ExpressionsMagazine N°717 Septembre 2016
Par Thierry WEIL (78)

Le cliché de la France inca­pable de trans­former une recherche publique en inno­va­tion et en valeur ajoutée indus­trielle sem­ble dépassé. Divers mécan­ismes d’incitation mon­trent des résul­tats encour­ageants. La France com­mence à tenir une place hon­nête dans les classe­ments inter­na­tionaux, grâce à des poli­tiques menées avec per­sévérance et avec le souci de règles du jeu stables. 

Longtemps, les indus­triels français ont moins investi dans la R & D que leurs con­cur­rents. On met­tait notam­ment en cause une recherche publique moins ouverte qu’ailleurs au dia­logue avec les entre­pris­es et la frilosité de ces dernières. 

“ Dans un secteur donné, la France investit plutôt plus que ses voisines ”

Divers mécan­ismes d’incitation tels qu’un crédit d’impôt recherche généreux, des pôles de com­péti­tiv­ité, les pro­grammes d’investissement d’avenir étaient jugés coû­teux ou décevants. 

Plusieurs rap­ports récents mon­trent cepen­dant des résul­tats encour­ageants, à la fois sur les per­for­mances des entre­pris­es et sur la per­ti­nence des poli­tiques publiques des­tinées à les aider. 

LES ENTREPRISES FRANÇAISES INVESTISSENT DANS L’INNOVATION

La dépense de recherche des entre­pris­es sur le ter­ri­toire français est en forte pro­gres­sion. Elle représente aujourd’hui 31 mil­liards d’euros, soit 1,46 % du PIB national. 

Elle est env­i­ron deux fois plus élevée que la dépense publique (organ­ismes publics de recherche et étab­lisse­ments d’enseignement supérieur), mal­heureuse­ment en par­tie parce que cette dernière a dimin­ué (0,8 % du PIB aujourd’hui).

UNE R & D INTENSIVE

L’intensité de R & D dans l’industrie (pour­cent­age du chiffre d’affaires con­sacré à la R & D) est de 7 %. C’est moins que dans les pays scan­di­naves, mais plus qu’en Alle­magne (6,5 %). Les effec­tifs de chercheurs dans le privé sont passés de 68 000 à 128 000 en vingt ans, tan­dis qu’ils n’augmentaient dans le pub­lic que de 75 000 à 100 000 (en équiv­a­lent temps plein, les enseignants- chercheurs étant comp­tés comme chercheurs à mi-temps). 

Le nom­bre d’implantations de cen­tres de R & D étrangers en France s’accroît forte­ment, en par­tie grâce à l’attractivité du crédit d’impôt recherche. Leur nom­bre oscil­lait entre 16 et 29 par an dans la péri­ode 2001–2008. Il fluctue entre 40 et 72 depuis. 

DES SECTEURS PORTEURS

La France détient de belles positions dans des secteurs porteurs comme l’aéronautique, l’électronique embarquée et communicante. Cela se traduit par quelques grosses entreprises emblématiques comme Airbus, Safran, Thales ou Dassault Systèmes, mais aussi par de nombreuses start-ups comme Criteo, BlaBlaCar, Parrot, Withings ou Carmat.
La French Tech fait particulièrement bonne figure au Consumer Electronic Show de Las Vegas dans le domaine des objets connectés.

UNE INDUSTRIE DISPARATE

Ces chiffres agrégés ne pren­nent pas en compte la spé­cial­i­sa­tion indus­trielle défa­vor­able de la France. En effet, cer­tains secteurs comme la phar­ma­cie font tra­di­tion­nelle­ment des efforts de R & D plus impor­tants que d’autres comme l’agroalimentaire.

Or, la France a quelques fleu­rons de haute tech­nolo­gie, mais beau­coup d’entreprises dans des secteurs peu tech­nologiques. Si l’on cor­rige ces effets, on con­state que, dans un secteur don­né, la France investit plutôt plus que ses voisines. 

RECONNAISSANCE INTERNATIONALE

La France com­mence à tenir une place hon­nête dans les classe­ments internationaux. 

Deux des cinquante entre­pris­es jugées les plus inno­vantes dans le « BCG Top 50 inno­va­tors » sont français­es (Axa et Renault) et 87 par­mi le « Tech­nol­o­gy fast 500 EMEA » de Deloitte (moins sig­ni­fi­catif, car il priv­ilégie le taux de crois­sance mais prend en compte de très petites sociétés). 

DES POLITIQUES PUBLIQUES PATIENTES ET PERTINENTES

Même si le mérite de ces per­for­mances revient d’abord aux entre­pris­es qui sont de plus en plus nom­breuses à oser l’innovation et à en maîtris­er les proces­sus, des poli­tiques publiques leur ont facil­ité la tâche. 

STABILISER LES RÈGLES DU JEU


Cette année encore, la French Tech sera très présente au CES
de Las Vegas (ici en jan­vi­er 2015). © ROBYN BECK / AFP

Ces poli­tiques sont d’autant plus effi­caces qu’elles sont menées avec per­sévérance et avec le souci de règles du jeu sta­bles. Ce n’est pas tou­jours facile, car les attentes sont fortes et les éval­u­a­teurs très impa­tients, tan­dis que ces poli­tiques n’ont des effets qu’à moyen et long terme. 

On se félicite notam­ment de ce que le crédit d’impôt recherche soit resté sta­ble depuis 2008 (avec un enrichisse­ment récent de son assi­ette pour pren­dre en compte cer­taines dépens­es d’innovation des PME). 

Les voix n’ont pas man­qué pour dénon­cer ce « cadeau aux entre­pris­es » de 5,5 mil­liards d’euros par an. Or, si les effets d’aubaine ont dom­iné les toutes pre­mières années (l’augmentation de l’argent don­né aux entre­pris­es dépas­sait le sup­plé­ment de dépens­es de R & D qu’elles engageaient), ce n’est de loin plus le cas depuis 2011 (l’effet de levi­er était supérieur à 1,6 en 2013). 

Et quand bien même l’effet ne serait pas très élevé, ne serait-il pas judi­cieux, pour faire évoluer favor­able­ment la spé­cial­i­sa­tion indus­trielle de la France, de favoris­er les entre­pris­es qui investis­sent dans la R & D ? 

DES EFFETS TRÈS POSITIFS

On a beau­coup dit que le CIR était acca­paré par les grandes entre­pris­es, au détri­ment des PME et des ETI. Il est exact que les grands groupes font une grande par­tie de la recherche indus­trielle (61 %) et reçoivent donc beau­coup (46 % du CIR, soit 2,3 mil­liards), mais le CIR finance 32,5 % de la recherche des PME, 21,2 % de la recherche des ETI et 13,7 % de celle des grandes entreprises. 

“ Les attentes sont fortes et les évaluateurs très impatients ”

Il est beau­coup trop tôt pour éval­uer sérieuse­ment les effets des pôles de com­péti­tiv­ité et des investisse­ments d’avenir, mais tout laisse penser qu’ils seront très posi­tifs, mal­gré les détourne­ments d’une par­tie des sommes con­sacrées aux sec­onds (la Cour des comptes note qu’une par­tie de l’enveloppe a servi à débudgé­tis­er des dépens­es récur­rentes ou déjà prévues de l’État, et une par­tie des sommes dis­tribuées par l’ANR au titre des grands défis socié­taux sert en fait à pal­li­er la stag­na­tion ou la régres­sion des bud­gets de cer­tains organ­ismes publics). 

DES INSTRUMENTS COMPLÉMENTAIRES

Il faut se résign­er à la com­plex­ité de ces poli­tiques : le sou­tien aux fil­ières, celui à la dif­fu­sion des tech­nolo­gies génériques, l’aide à la R & D, l’encouragement à l’investissement indus­triel, l’assistance au ren­force­ment des syn­er­gies ter­ri­to­ri­ales sont autant d’instruments com­plé­men­taires qui se ren­for­cent mutuellement. 

Il faut com­pren­dre que leurs effets sont vis­i­bles à long terme et encour­ager les pou­voirs publics à la patience et à la persévérance.

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