Les actifs immobiliers, un fort potentiel d’impact pour la finance durable

L’immobilier joue un rôle majeur dans les problématiques de développement durable. La puissance publique s’est emparée du sujet et les réglementations ont un impact essentiel dans le respect des bonnes pratiques. Mais le secteur a besoin du financement privé et les investisseurs doivent être convaincus qu’il ne s’agit pas pour eux d’une contrainte, mais bien d’une forme de création de valeur. D’ailleurs les fonds grand public ont en quasi-totalité intégré une démarche vertueuse en la matière.
À l’heure où les tensions politiques s’intensifient, la tentation de faire « machine arrière » est forte, tant sur le constat en matière de dérèglement climatique que sur les solutions identifiées. Des voix s’élèvent pour assouplir, voire supprimer un certain nombre de réglementations : la CSRD – Corporate sustainability Reporting Directive – et la taxinomie verte à l’échelon européen ou, plus proche de nous, la volonté de revoir la réglementation ZAN – zéro artificialisation nette – et l’assouplissement de la loi climat et résilience relative aux DPE – diagnostics de performance énergétique.
Cet article propose une lecture inverse : il est urgent d’accélérer la mise en œuvre des réglementations européennes, en particulier en matière de finance durable. Ces réglementations ne sont pas des freins, mais bien des outils pour répondre aux enjeux et défis causés par le dérèglement climatique. Les investissements immobiliers, en particulier, sont fortement perméables aux réglementations en finance durable, avec des résultats observables et quantifiables alors même que le bâtiment occupe le haut du podium des secteurs émettant le plus de gaz à effet de serre.
Le bâtiment au cœur des grandes transitions
La Stratégie nationale bas carbone définit dans sa troisième version (en cours de concertation) des « budgets carbone » pour chacun des six secteurs les plus émissifs de l’économie française.
Le bâtiment y tient une place importante à double titre : d’une part, les émissions de CO₂ du secteur doivent baisser jusqu’à atteindre 35 MtCO₂eq en 2030 (contre 62 en 2022), notamment via la suppression des énergies fossiles (fioul et gaz) dans la production de chaud-froid ; mais le secteur se voit également assigner un objectif très important de réduction de ses consommations énergétiques. En outre, la consultation en cours autour de la Stratégie nationale d’adaptation et de la trajectoire qui la sous-tend rappelle la nécessité d’adapter tous les secteurs de notre économie, dont le bâtiment, lieu de vie essentiel (se loger, se nourrir, étudier, travailler, se soigner…).
« On ne pourra pas résoudre le problème du climat sans prendre en compte la nécessité de préserver-restaurer la biodiversité. »
Par ailleurs, les transitions nécessiteront d’importantes ressources naturelles et, là encore, le bâtiment est un actif à fort impact, que ce soit en raison des besoins en ressources lors de travaux de construction ou de rénovation, ou de la production de déchets tout au long de son cycle de vie (69 % des déchets en France provenaient du secteur du bâtiment et des travaux publics en 2020, chiffres Ademe).
C’est la raison pour laquelle il est essentiel de mettre en œuvre un plan de sobriété, couvrant les opérations de construction-rénovation (matériaux et artificialisation des terres…) comme l’exploitation (consommations énergétiques, consommations d’eau, besoins en chaleur-froid…). Enfin, le bâtiment a de nombreux impacts sur la biodiversité : artificialisation des sols, éclairage nocturne, propagation d’espèces invasives, pollutions des sols…
Or le rapport Nexus de l’IPBES (Intergovernmental Science-Policy Platform on Biodiversity and Ecosystem Services) a rappelé que l’on ne pourra pas résoudre le problème du climat sans prendre en compte la nécessité de préserver-restaurer la biodiversité, deux sujets fortement interconnectés.
Atténuation, adaptation, eau, pollution, déchets et biodiversité sont des thématiques essentielles que le bâtiment doit prendre en compte. Ce sont les six enjeux qui constituent le socle de la taxinomie verte.

La finance durable appliquée à l’immobilier
Si les enjeux sont significatifs, les besoins financiers nécessaires pour financer les actions d’atténuation, d’adaptation, voire de sobriété, demeurent encore sous-couverts. Une récente étude de I4CE montre que, malgré les 100 milliards d’euros investis en faveur du climat en France en 2022 (dans les secteurs des bâtiments, des transports et de l’énergie), il en faudrait 58 de plus chaque année de 2024 à 2030 pour mettre en œuvre la Stratégie nationale bas carbone 2.
Le Pacte vert de l’UE a élaboré une série de propositions visant à adapter les politiques de l’UE en matière de climat, d’énergie, de transport et de fiscalité pour atteindre les objectifs européens de neutralité carbone. Dans chaque secteur, et dans l’immobilier en particulier, le financement de ces transformations nécessite de canaliser les investissements privés, en complément des fonds publics. C’est la raison d’être du plan d’action européen pour la finance durable, comprenant un panel de réglementations qui visent à atteindre trois objectifs principaux : réorienter les capitaux vers des investissements durables ; gérer les risques financiers induits par le changement climatique ; favoriser la transparence et une vision à long terme.
“La prise en compte de caractéristiques environnementales et sociales dans la gestion des fonds grand public est devenue la norme.”
Le secteur de l’immobilier est particulièrement concerné par l’ensemble de ces réglementations, que ce soit via la taxinomie (définition d’un actif immobilier durable), SFDR – Sustainable Finance Disclosure Regulation (caractéristiques environnementales ou objectif d’investissement durable, risques de durabilité, incidences négatives) ou la CSRD, directive relative à la publication d’informations en matière de durabilité par les entreprises (European Sustainibility Reporting Standards, ESRS applicables).
Et l’investissement immobilier s’approprie ses enjeux extra-financiers : dans sa récente étude Baromètre de l’immobilier responsable 2024, l’Observatoire de l’immobilier durable (OID) a montré que la prise en compte de caractéristiques environnementales et sociales dans la gestion des fonds grand public est devenue la norme, avec plus de 84 % (en valeur d’actifs) des fonds concernés.

Les critères pris en compte
Pour l’immobilier, les thématiques « ESG » (environnement, social et gouvernance) prises en compte sont les suivantes :

Les deux principaux critères pris en compte par les gestionnaires de fonds immobiliers sont la performance énergétique des bâtiments et les émissions de GES, ce qui reflète une cohérence très forte entre les obligations réglementaires et les démarches volontaires. En effet, les sujets énergétiques sont connus depuis plus de cinquante ans par le secteur du bâtiment grâce à une réglementation riche : le premier règlement thermique sur des seuils de performance énergétique pour les bâtiments neufs date de 1974. Par ailleurs, il est important de souligner le caractère « matériel » de tous les autres critères intégrés aux démarches ESG, chacun étant par nature lié à un élément mesurable (consommations d’eau, imperméabilisation des sols, qualité de l’air intérieur, satisfaction de locataires, engagement des prestataires…).
L’exemple du label ISR
Porté par le ministère des Finances, le label ISR a été créé en 2015 afin de faciliter la transparence sur les produits d’épargne durable pour des investisseurs. Ce label est particulièrement adapté aux approches best-in-progress qui consistent à mettre en place une stratégie d’amélioration continue à travers la définition d’une note cible, des évaluations annuelles, ainsi que des plans d’amélioration. En cela, il s’applique donc bien au secteur de l’immobilier, dont le principal enjeu est la transformation durable du parc existant.
Bien que le référentiel n’ait été que récemment adapté à l’immobilier (juillet 2020), en 2024, 53 % des fonds immobiliers grand public en France étaient labellisés ISR. Quatre ans après sa mise en place, force est de constater que le cadre précis du référentiel et la rigueur apportée par l’obligation de faire procéder à un audit annuel par un organisme tiers ont contribué à une progression sensible des pratiques.
« En 2024, 53 % des fonds immobiliers grand public en France étaient labellisés ISR. »
À travers la définition d’objectifs clairs couvrant les trois domaines E, S et G, la mise en place d’indicateurs permettant de suivre l’atteinte des objectifs, l’adaptation des processus internes (acquisition, gestion, contrôle des risques, formation, reporting), l’extra-financier gagne en structure. Ainsi le reporting ESG est plus détaillé, lisible et fiable : le référentiel impose certains « passages obligés » tels que la publication de la performance ESG du fonds et de huit indicateurs (au minimum) pour lesquels une comparaison est attendue avec des benchmarks adaptés, la publication du résultat de l’engagement des parties prenantes, la publication d’informations qualitatives sur les actions mises en œuvre…
D’autre part, les méthodologies sont plus robustes : le référentiel encadre fortement les méthodes d’évaluation (pondération des critères, références aux obligations réglementaires ou aux benchmarks de place…), ce qui a réhaussé l’ambition des plans d’action mis en œuvre pour améliorer l’évaluation annuelle des actifs. Enfin, des efforts sont faits sur le développement des compétences : des ressources ont été affectées à la thématique ESG et des plans de formation élaborés, de telle sorte que les compétences sur le sujet ont largement augmenté sur la période.
Globalement, nous constatons que l’ESG est désormais au cœur des processus des sociétés de gestion.
Le processus d’acquisition
Véritable analyse de risques, l’analyse ESG en phase acquisition permet d’anticiper tous besoins ultérieurs susceptibles d’avoir un impact sur la rentabilité de l’opération : mise en conformité réglementaire, alignement avec les attentes des parties prenantes, coût d’exploitation… Les investisseurs les plus matures sur le sujet ont intégré un ensemble complet de critères ESG à leurs due diligences d’acquisition, notamment : la performance environnementale de l’actif (intensité énergétique, émission de GES, consommations d’eau, biodiversité, déchets…) ; la performance sociale de l’actif (accessibilité, confort, santé, bien-être, polluants…) ; la conformité aux différentes réglementations du bâtiment ; la contribution de l’actif à la performance extra-financière du fonds ; l’exposition de l’actif aux aléas climatiques. C’est également devenu une source de négociation du prix de l’actif avec le vendeur. Lorsque ces analyses aboutissent à une baisse de prix, on parle de « décote brune », comme l’illustre le graphique ci-dessous.
Une logique d’amélioration continue
Une fois l’actif intégré au portefeuille, sa gestion offre de nombreuses occasions pour contribuer aux transitions sociétales.
Sur le plan environnemental, les sujets énergie-carbone sont adressés à travers la définition de plans d’amélioration de la performance énergétique. Ils passent notamment par un pilotage énergétique sur les bâtiments. Les acteurs peuvent également jouer sur le mix énergétique de l’approvisionnement de leurs sites en ayant recours à des énergies renouvelables ou des réseaux de chaleur urbains. Le remplacement d’équipements de production de chaud-froid et le relamping (led) sont également des pratiques fréquentes dans des fonds labellisés ISR.
Les stratégies ESG élargissent les domaines couverts à la mobilité douce (installations de bornes de recharge, parcs à vélos, douches, etc.), à la biodiversité (pratiques de gestion des espaces verts durables, choix des espèces végétales indigènes, etc.) ou encore à la gestion durable de l’eau (installation d’équipements sanitaires hydroéconomes).
L’équilibre entre les sujets E, S et G demandé par le référentiel du label ISR participe à la prise en compte dans la gestion d’un bâtiment des conditions de confort, de santé et de bien-être des occupants (plan de qualité d’air intérieur, hydrothermie, température, services disponibles… ), ainsi qu’à la sensibilisation des différentes parties prenantes (proposer des guides ou formations pour encourager les pratiques responsables auprès des gestionnaires techniques, des prestataires et des locataires).
Les travaux de rénovation
Les travaux de rénovation sont l’une des principales contributions des actifs immobiliers aux transitions environnementales et sociales. En modernisant les bâtiments existants, on réduit les principaux impacts négatifs, consommations énergétiques, émissions de GES, consommations en eau, tout en limitant l’impact de l’opération elle-même : sobriété et choix des matériaux, émission de GES des travaux, impact sur les milieux…
Les acteurs les plus matures en matière d’ESG ont d’ores et déjà transcrit les principales réglementations, ainsi que leur propre démarche ESG (avec des cibles en matière de performance à l’horizon 2050), dans les prescriptions techniques des opérations de construction neuve et de rénovation, afin d’assurer l’adéquation de l’actif aux attentes du marché pour les années à venir.
Le processus de contrôle de la conformité et de maîtrise des risques
Les actifs immobiliers sont confrontés à des risques ESG spécifiques, qui peuvent impacter leur valeur à long terme. Tout d’abord, des risques physiques : citons par exemple les feux de forêt, vague de chaleur, retrait et gonflement des argiles ou les risques d’inondation qui génèrent des dégradations accrues, entraînant des coûts de maintenance élevés et des pertes d’exploitation. Des risques de transition : les normes environnementales qui imposent des coûts d’adaptation ou une éventuelle difficulté d’accès au financement, un risque d’assurabilité voire un risque de dévalorisation des actifs. Les équipes « risques » des sociétés de gestion se sont emparées de ces spécificités pour les intégrer à leur processus de gestion des risques : cartographie des risques, plan de contrôle, contrôles annuels et périodiques. Les meilleures pratiques voient ces équipes placées en véritables partenaires des équipes ESG, ce qui permet d’assurer une démarche maîtrisée et un reporting qualitatif.
Les réglementations, socle cohérent et créateur de valeur
Les actifs immobiliers se trouvent au croisement des tensions économiques et des exigences environnementales. Depuis quelques années, le contexte macroéconomique difficile, marqué par des taux d’intérêt élevés et une inflation persistante, a entraîné une dévaluation de nombreux actifs immobiliers. Cette tendance affecte directement la valorisation des sociétés civiles de placement immobilier (SCPI) et des organismes de placement collectif en immobilier (OPCI), dont les parts ont subi des réductions significatives. Loin de l’idée de surcouches incohérentes ou de boulimie législative, il est important de souligner la cohérence forte des différentes réglementations qui s’appliquent à l’immobilier. Le schéma ci-dessous propose une synthèse des principales réglementations intervenant au cours d’une démarche ESG.
Il est tout à fait possible de bâtir une démarche ESG cohérente qui permette de répondre aux différentes réglementations. On rappelle d’ailleurs l’intérêt du label ISR qui propose un cadre très structurant pour les démarches ESG.
Une création de valeur à long terme
Une démarche ESG peut être créatrice de valeur si elle est pilotée et non subie, c’est la notion de valeur verte : il s’agit d’anticiper des coûts futurs par le biais d’une due diligence étendue aux critères ESG ; de réduire les charges grâce à une meilleure efficacité énergétique, la réduction des consommations en eau et l’optimisation de la gestion technique, de fidéliser les locataires qui souhaitent occuper des immeubles responsables et respectueux des critères sociaux et environnementaux ; de réaliser des rénovations qualitatives et performantes d’un point de vue environnemental et, enfin, d’améliorer la valeur et la liquidité des actifs grâce à leur conformité aux normes environnementales ainsi qu’à leur alignement aux attentes des investisseurs.
“Une démarche ESG peut être créatrice de valeur si elle est pilotée et non subie.”
Ainsi, les actifs immobiliers sont le bon exemple que la convergence des critères financiers et extra-financiers peut créer un cercle vertueux. En intégrant pleinement les dimensions ESG, ces biens immobiliers répondent aux défis de demain tout en offrant des occasions d’investissement rentable et responsable. Une récente étude réalisée en marge du salon SIBCA (salon de l’immobilier bas carbone) résume parfaitement la motivation multifacette des investisseurs pour mettre en œuvre une démarche ESG.
Que ce soit pour répondre à l’urgence climatique, renforcer notre indépendance énergétique ou générer de la valeur à long terme, il ne faut pas reculer mais accélérer. Passons à l’action !
Références
- Inventaire national des émissions de gaz à effet de serre Citepa.
- TRACC : trajectoire de réchauffement de référence pour l’adaptation au changement climatique – la France à +2 °C en 2030, à +2,7 °C en 2050 et à +4 °C à 2100.
- Règlement (UE) 2020⁄852 du Parlement européen et du Conseil du 18 juin 2020 sur l’établissement d’un cadre visant à favoriser les investissements durables et modifiant le règlement (UE) 2019⁄2088.
- Édition 2023 du Panorama des financements climat.