Caroline Le Floch, Gautier Maigret, Jean-Yves Stephan et Julien Dumazert, tous X10 et cofondateurs de Storio qui propose des solutions de stockage d'énergie en France

« Il manquait une technologie dans le paysage du stockage d’énergie en France » Caroline Le Floch, Gautier Maigret, Jean-Yves Stephan et Julien Dumazert, tous X10 et cofondateurs de Storio

Dossier : TrajectoiresMagazine N°805 Mai 2025
Par Sarah LE NET (X10)

Fon­dée en 2023 par quatre poly­tech­ni­ciens de la même pro­mo­tion X10, Caro­line Le Floch, Gau­tier Mai­gret, Jean-Yves Ste­phan et Julien Duma­zert, Sto­rio Ener­gy ins­talle et opère des solu­tions de sto­ckage d’énergie par bat­te­ries sur des sites d’entreprises indus­trielles en France.

Quelle est l’activité de Storio ?

Nous avons mis au point des solu­tions de sto­ckage par bat­te­ries à des­ti­na­tion des entre­prises, prin­ci­pa­le­ment des sites indus­triels en France. Il y a deux cas d’usage. Pour les sites for­te­ment consom­ma­teurs d’électricité qui sont expo­sés à la varia­bi­li­té horaire des prix de l’électricité, nos bat­te­ries vont se char­ger lorsque les prix sont bas, pour res­ti­tuer leur éner­gie lorsque les prix sont éle­vés. Pour les sites équi­pés de pan­neaux solaires, nos bat­te­ries vont se char­ger pen­dant les heures de fort enso­leille­ment pour res­ti­tuer cette éner­gie le reste du temps. 

Nous accom­pa­gnons nos clients depuis les études tech­niques et éco­no­miques en amont du pro­jet, l’achat de la bat­te­rie, son ins­tal­la­tion, pour son exploi­ta­tion et sa main­te­nance pen­dant toute la durée de vie du pro­jet. Nous déve­lop­pons le sys­tème de ges­tion de l’énergie (EMS, Ener­gy Mana­ge­ment Sys­tem) qui pilote les bat­te­ries en temps réel pour maxi­mi­ser les éco­no­mies sur la fac­ture de nos clients. C’est l’intelligence arti­fi­cielle appli­quée aux batteries.

Quel est votre parcours à tous les quatre ?

Caro­line Le Floch a fait un PhD à Ber­ke­ley puis elle a rejoint la filiale Éner­gie de Tes­la pour y mon­ter l’équipe Algo­rithmes d’Autobidder, qui pilote plu­sieurs mil­liers de bat­te­ries Tes­la à tra­vers le monde. Gau­tier Mai­gret a sui­vi un par­cours d’ingénieur R & D dans les éner­gies renou­ve­lables avant de se spé­cia­li­ser dans le sto­ckage d’énergie au sein d’EDF, où il super­vi­sait l’ingénierie et le déploie­ment de grands pro­jets de stockage. 

Jean-Yves Ste­phan et Julien Duma­zert ont mon­té ensemble une start-up dans le domaine de l’analyse de don­nées et l’intelligence arti­fi­cielle, Data Mecha­nics, rache­tée par un grand groupe amé­ri­cain en 2021. On était déjà ami à l’X (pro­mo 2010) et on est res­té en contact après la sor­tie de l’École, tout en évo­luant dans des sec­teurs et des pays dif­fé­rents. Nous avons eu envie de mettre en com­mun nos com­pé­tences com­plé­men­taires au ser­vice d’un pro­jet entre­pre­neu­rial avec un impact tan­gible sur la tran­si­tion énergétique.

Comment vous est venue l’idée ?

On s’est ren­du compte qu’il man­quait une tech­no­lo­gie dans le pay­sage du sto­ckage d’énergie en France. Le métier des autres acteurs, comme NW Group, Ama­ren­co ou EDF Renou­ve­lables, consiste à trou­ver un ter­rain dis­po­nible, y ins­tal­ler une bat­te­rie, la rac­cor­der au réseau élec­trique, puis réa­li­ser du tra­ding d’énergie pour ren­ta­bi­li­ser leur inves­tis­se­ment. C’est ce qu’on appelle le sto­ckage front-of-the-meter. Nous, nous avons déve­lop­pé une offre de sto­ckage d’énergie à des­ti­na­tion des indus­triels, qui réponde à leurs besoins. Amé­lio­rer leur com­pé­ti­ti­vi­té, en rédui­sant leur fac­ture d’électricité, face à la vola­ti­li­té quo­ti­dienne des prix de l’électricité, qui est un phé­no­mène nou­veau et qui va se ren­for­cer dans les années à venir.

“Il n’y avait pas de modèle économique au stockage behind-the-meter en France jusqu’à récemment. ”

Aug­men­ter leur rési­lience, en les pro­té­geant en cas de crises des prix de l’énergie, comme en 2022–2023 à la suite de l’invasion de l’Ukraine. Enfin, les aider à décar­bo­ner leur consom­ma­tion d’énergie en élec­tri­fiant leurs pro­ces­sus indus­triels plu­tôt que d’utiliser des éner­gies fos­siles. Nos bat­te­ries ont un rôle local à jouer sur les sites de nos clients, on parle de sto­ckage behind-the-meter. Il n’y avait pas de modèle éco­no­mique au sto­ckage behind-the-meter en France jusqu’à récem­ment, mais on l’a ren­du pos­sible grâce à notre tech­no­lo­gie, à la baisse du coût des bat­te­ries et à la part crois­sante des éner­gies renou­ve­lables dans le mix élec­trique. On atteint main­te­nant la ren­ta­bi­li­té en 3 à 5 ans, pour des pro­jets qui ont 15 ans de durée de vie.

Quelles ont été les étapes clés depuis la création ?

Début 2024, nous avons levé 5 M€ afin de recru­ter le cœur de l’équipe, une dou­zaine de per­sonnes, prin­ci­pa­le­ment des ingé­nieurs déve­lop­pant l’EMS. En jan­vier 2025, nous avons mis en ser­vice nos pre­miers pro­jets. Par exemple, nous avons ins­tal­lé une bat­te­rie d’une capa­ci­té de 2,4 MWh, cou­plée à ~ 10 000 m2 de pan­neaux solaires sur le site du siège social de Bau­din Cha­teau­neuf, entre­prise pro­dui­sant des char­pentes métal­liques près d’Orléans. Le sys­tème com­plet couvre la moi­tié des besoins du site, là où des pan­neaux solaires sans sto­ckage ne couvrent que 10 %-25 % de la consom­ma­tion d’un site. Cette auto­no­mie les pro­tège en cas de crise sur les prix de l’électricité.

L’équipe de Storio qui propose des solutions de stockage d'énergie en France, devant les bureaux.
L’équipe de Sto­rio devant les bureaux.

Qu’est-ce qui vous différencie sur le marché de la batterie ?

C’est le déve­lop­pe­ment de l’IA réa­li­sé en interne qui pilote les bat­te­ries. Nos bat­te­ries génèrent à la fois des éco­no­mies sur la fac­ture d’électricité de nos clients et des reve­nus addi­tion­nels en sta­bi­li­sant le réseau élec­trique. Concrè­te­ment, on doit pré­dire la consom­ma­tion et la pro­duc­tion d’électricité de cha­cun de nos sites et l’évolution des prix sur les dif­fé­rents mar­chés de l’énergie, puis pla­cer des enchères sur des méca­nismes de flexi­bi­li­té du réseau orga­ni­sés par RTE. Nos algo­rithmes prennent ces déci­sions de manière entiè­re­ment auto­ma­ti­sée, en temps réel. Nous fai­sons par­tie des pre­miers acteurs à sta­bi­li­ser le réseau élec­trique à l’aide de bat­te­ries behind-the-meter.

Quels sont les freins à votre projet ? Quelle partie a été la plus difficile à mettre en œuvre ?

Il y a de nom­breux défis à rele­ver sur les plans tech­no­lo­gique, régle­men­taire, opé­ra­tion­nel et com­mer­cial. Le plus dif­fi­cile, c’est de rendre notre tech­no­lo­gie de pilo­tage robuste. Contrai­re­ment à un pro­jet soft­ware as a ser­vice, on gère une bat­te­rie, un sys­tème phy­sique com­plexe, en inter­ac­tion avec un site indus­triel, avec notre propre boî­tier de pilo­tage et notre code embar­qué déployé sur le site. Les algo­rithmes d’optimisation de la bat­te­rie doivent réagir en temps réel à de nom­breux signaux aléa­toires (la consom­ma­tion et la pro­duc­tion d’électricité sur le site, les insta­bi­li­tés du réseau élec­trique) et res­pec­ter un cadre régle­men­taire strict fixé par RTE et Enedis.

Est-ce que vous pourriez nous en dire plus sur la partie financement de projets ?

Dans les éner­gies renou­ve­lables comme dans le sto­ckage d’énergie, pour pou­voir finan­cer un pro­jet, il faut prou­ver qu’il y a des reve­nus futurs cer­tains (ou for­te­ment pro­bables) qui vont per­mettre de ren­ta­bi­li­ser rapi­de­ment l’investissement. L’avantage des pro­jets behind-the-meter, c’est que les syner­gies locales entre une bat­te­rie, l’activité indus­trielle et par­fois des pan­neaux solaires per­mettent de déris­quer une par­tie du busi­ness plan. Sto­rio Ener­gy pro­pose deux modèles d’affaires : soit le client final achète la bat­te­rie, soit c’est Sto­rio qui finance la bat­te­rie en échange d’un loyer. Ce deuxième modèle a voca­tion à deve­nir notre modèle prin­ci­pal. On échange avec des banques et des fonds d’infrastructures qui seront capables de finan­cer ce genre de projets.

Les bureaux de Storio
Les bureaux de Storio.

Est-ce qu’un jour ça vous paraîtrait viable économiquement d’installer des batteries européennes ?

Nous ache­tons nos bat­te­ries à un réseau de par­te­naires fabri­cants que nous éva­luons pour la qua­li­té tech­nique, la dura­bi­li­té et la sécu­ri­té de leurs pro­duits, leur capa­ci­té de sou­tien tech­nique et leurs condi­tions contrac­tuelles et finan­cières. Ces fabri­cants sont euro­péens ou asia­tiques, cepen­dant les cel­lules de sto­ckage pro­viennent en géné­ral d’Asie. La filière euro­péenne de pro­duc­tion de cel­lules se déve­loppe, il est encore tôt pour se pro­non­cer sur sa com­pé­ti­ti­vi­té à long terme. Un autre modèle ver­tueux que nous déve­lop­pons avec des par­te­naires consiste à recon­di­tion­ner des bat­te­ries de seconde vie : après une pre­mière uti­li­sa­tion dans la mobi­li­té élec­trique, on peut valo­ri­ser ces bat­te­ries dans un usage stationnaire.

Quelles sont les tendances du marché de l’électricité en France et en Europe ? Quelles en sont les conséquences
pour l’entreprise ?

Au cours des dix pro­chaines années, la consom­ma­tion d’électricité va aug­men­ter d’environ 30 %, à mesure que nous élec­tri­fie­rons le trans­port, le chauf­fage et l’industrie. La pro­duc­tion d’énergie nucléaire va res­ter stable, car les nou­veaux réac­teurs nucléaires n’arriveront qu’à par­tir de 2040. Par consé­quent, la part du nucléaire dans le mix élec­trique va pas­ser de 75 % aujourd’hui à envi­ron 55 % en 2035, tan­dis que la part de l’éolien et du solaire va consi­dé­ra­ble­ment augmenter.

L’intermittence des éner­gies renou­ve­lables va rendre dif­fi­cile l’équilibre entre pro­duc­tion et consom­ma­tion d’électricité sur le réseau. Le prix spot de l’électricité, qui varie d’heure en heure, sera de plus en plus vola­til, avec des prix proches de zéro (voire néga­tifs) pen­dant les pics de pro­duc­tion (au milieu de la jour­née et au milieu de la nuit) et des prix très éle­vés pen­dant les pics de consom­ma­tion, le matin et le soir. Cette dyna­mique est d’ailleurs déjà visible : l’écart moyen entre le prix mini­mum et le prix maxi­mum de chaque jour­née a tri­plé entre 2019 et 2024.

Enfin, on peut redou­ter que des crises comme celles de 2022–2023 se repro­duisent, car l’Europe va res­ter dépen­dante des impor­ta­tions de gaz pour les années à venir, même s’il est urgent de réduire cette dépen­dance. Le défi de la tran­si­tion éner­gé­tique reste donc prin­ci­pa­le­ment devant nous. Ces pers­pec­tives de vola­ti­li­té et d’incertitude ren­forcent la per­ti­nence du sto­ckage d’électricité. On a créé Sto­rio pré­ci­sé­ment parce qu’on veut répondre à ce défi et per­mettre d’aller au bout de la tran­si­tion énergétique.

Dans deux ou trois ans, quelles sont les prochaines étapes importantes dans le développement de Storio ?

Nous vou­lons déployer plus de 100 MWh de sto­ckage au cours des deux pro­chaines années, ce qui équi­vaut à la capa­ci­té de sto­ckage d’environ 2 000 véhi­cules élec­triques et repré­sente 20 à 30 M€ d’investissement. Nous allons réa­li­ser une nou­velle levée de fonds avec trois objec­tifs : conti­nuer à ren­for­cer l’équipe, à la fois la branche tech et la branche com­mer­ciale-opé­ra­tion­nelle, bâtir une offre dans laquelle Sto­rio finance les ins­tal­la­tions en échange d’un loyer de ses clients à un tarif avan­ta­geux, ce qui demande un par­te­na­riat avec des inves­tis­seurs spé­cia­li­sés dans l’infrastructure, et enfin lan­cer l’internatio­nalisa­tion de Sto­rio, avec une exten­sion de nos acti­vi­tés dans des pays euro­péens voi­sins. Le sto­ckage behind-the-meter repré­sente un gise­ment de flexi­bi­li­té consi­dé­rable : on estime qu’on pour­rait déployer 20 000 MWh de sto­ckage sur les grands sites indus­triels fran­çais, en évi­tant d’artificialiser des zones natu­relles et en réuti­li­sant des rac­cor­de­ments au réseau élec­trique qui existent déjà.

Sto­rio Energy

2 Commentaires

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rocherrépondre
9 juin 2025 à 17 h 03 min

Bra­vo ! beau pro­jet. Atten­tion cepen­dant à le re-situer dans le contexte du chan­ge­ment de cap de la poli­tique éner­gé­tique euro­péenne. Il est pro­bable que la mon­tée en puis­sance de la pro­duc­tion d’éner­gie nucléaire va consa­crer le main­tien d’une part très majo­ri­taire d’énergie nucléaire pilo­table dans le mix éner­gé­tique avec les EPR2 et un coup d’ar­rêt à l’éo­lien et au pho­to­vol­taïque au sol dans les champs agri­coles. Pus d” 1 mil­lion d’ins­tal­la­tions solaires pho­to­vol­taïques jus­ti­fient déjà ample­ment la néces­si­té de déployer 20 000 MWh de sto­ckage sur les grands sites industriels

J de Bodmanrépondre
10 juin 2025 à 17 h 44 min

C’est clair . Pour illus­trer le pro­pos , quelle conso d’élec­tri­ci­té mini­male jus­ti­fie de choi­sir une solu­tion storio ?

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