« Il manquait une technologie dans le paysage du stockage d’énergie en France » Caroline Le Floch, Gautier Maigret, Jean-Yves Stephan et Julien Dumazert, tous X10 et cofondateurs de Storio

Fondée en 2023 par quatre polytechniciens de la même promotion X10, Caroline Le Floch, Gautier Maigret, Jean-Yves Stephan et Julien Dumazert, Storio Energy installe et opère des solutions de stockage d’énergie par batteries sur des sites d’entreprises industrielles en France.
Quelle est l’activité de Storio ?
Nous avons mis au point des solutions de stockage par batteries à destination des entreprises, principalement des sites industriels en France. Il y a deux cas d’usage. Pour les sites fortement consommateurs d’électricité qui sont exposés à la variabilité horaire des prix de l’électricité, nos batteries vont se charger lorsque les prix sont bas, pour restituer leur énergie lorsque les prix sont élevés. Pour les sites équipés de panneaux solaires, nos batteries vont se charger pendant les heures de fort ensoleillement pour restituer cette énergie le reste du temps.
Nous accompagnons nos clients depuis les études techniques et économiques en amont du projet, l’achat de la batterie, son installation, pour son exploitation et sa maintenance pendant toute la durée de vie du projet. Nous développons le système de gestion de l’énergie (EMS, Energy Management System) qui pilote les batteries en temps réel pour maximiser les économies sur la facture de nos clients. C’est l’intelligence artificielle appliquée aux batteries.
Quel est votre parcours à tous les quatre ?
Caroline Le Floch a fait un PhD à Berkeley puis elle a rejoint la filiale Énergie de Tesla pour y monter l’équipe Algorithmes d’Autobidder, qui pilote plusieurs milliers de batteries Tesla à travers le monde. Gautier Maigret a suivi un parcours d’ingénieur R & D dans les énergies renouvelables avant de se spécialiser dans le stockage d’énergie au sein d’EDF, où il supervisait l’ingénierie et le déploiement de grands projets de stockage.
Jean-Yves Stephan et Julien Dumazert ont monté ensemble une start-up dans le domaine de l’analyse de données et l’intelligence artificielle, Data Mechanics, rachetée par un grand groupe américain en 2021. On était déjà ami à l’X (promo 2010) et on est resté en contact après la sortie de l’École, tout en évoluant dans des secteurs et des pays différents. Nous avons eu envie de mettre en commun nos compétences complémentaires au service d’un projet entrepreneurial avec un impact tangible sur la transition énergétique.
Comment vous est venue l’idée ?
On s’est rendu compte qu’il manquait une technologie dans le paysage du stockage d’énergie en France. Le métier des autres acteurs, comme NW Group, Amarenco ou EDF Renouvelables, consiste à trouver un terrain disponible, y installer une batterie, la raccorder au réseau électrique, puis réaliser du trading d’énergie pour rentabiliser leur investissement. C’est ce qu’on appelle le stockage front-of-the-meter. Nous, nous avons développé une offre de stockage d’énergie à destination des industriels, qui réponde à leurs besoins. Améliorer leur compétitivité, en réduisant leur facture d’électricité, face à la volatilité quotidienne des prix de l’électricité, qui est un phénomène nouveau et qui va se renforcer dans les années à venir.
“Il n’y avait pas de modèle économique au stockage behind-the-meter en France jusqu’à récemment. ”
Augmenter leur résilience, en les protégeant en cas de crises des prix de l’énergie, comme en 2022–2023 à la suite de l’invasion de l’Ukraine. Enfin, les aider à décarboner leur consommation d’énergie en électrifiant leurs processus industriels plutôt que d’utiliser des énergies fossiles. Nos batteries ont un rôle local à jouer sur les sites de nos clients, on parle de stockage behind-the-meter. Il n’y avait pas de modèle économique au stockage behind-the-meter en France jusqu’à récemment, mais on l’a rendu possible grâce à notre technologie, à la baisse du coût des batteries et à la part croissante des énergies renouvelables dans le mix électrique. On atteint maintenant la rentabilité en 3 à 5 ans, pour des projets qui ont 15 ans de durée de vie.
Quelles ont été les étapes clés depuis la création ?
Début 2024, nous avons levé 5 M€ afin de recruter le cœur de l’équipe, une douzaine de personnes, principalement des ingénieurs développant l’EMS. En janvier 2025, nous avons mis en service nos premiers projets. Par exemple, nous avons installé une batterie d’une capacité de 2,4 MWh, couplée à ~ 10 000 m2 de panneaux solaires sur le site du siège social de Baudin Chateauneuf, entreprise produisant des charpentes métalliques près d’Orléans. Le système complet couvre la moitié des besoins du site, là où des panneaux solaires sans stockage ne couvrent que 10 %-25 % de la consommation d’un site. Cette autonomie les protège en cas de crise sur les prix de l’électricité.

Qu’est-ce qui vous différencie sur le marché de la batterie ?
C’est le développement de l’IA réalisé en interne qui pilote les batteries. Nos batteries génèrent à la fois des économies sur la facture d’électricité de nos clients et des revenus additionnels en stabilisant le réseau électrique. Concrètement, on doit prédire la consommation et la production d’électricité de chacun de nos sites et l’évolution des prix sur les différents marchés de l’énergie, puis placer des enchères sur des mécanismes de flexibilité du réseau organisés par RTE. Nos algorithmes prennent ces décisions de manière entièrement automatisée, en temps réel. Nous faisons partie des premiers acteurs à stabiliser le réseau électrique à l’aide de batteries behind-the-meter.
Quels sont les freins à votre projet ? Quelle partie a été la plus difficile à mettre en œuvre ?
Il y a de nombreux défis à relever sur les plans technologique, réglementaire, opérationnel et commercial. Le plus difficile, c’est de rendre notre technologie de pilotage robuste. Contrairement à un projet software as a service, on gère une batterie, un système physique complexe, en interaction avec un site industriel, avec notre propre boîtier de pilotage et notre code embarqué déployé sur le site. Les algorithmes d’optimisation de la batterie doivent réagir en temps réel à de nombreux signaux aléatoires (la consommation et la production d’électricité sur le site, les instabilités du réseau électrique) et respecter un cadre réglementaire strict fixé par RTE et Enedis.
Est-ce que vous pourriez nous en dire plus sur la partie financement de projets ?
Dans les énergies renouvelables comme dans le stockage d’énergie, pour pouvoir financer un projet, il faut prouver qu’il y a des revenus futurs certains (ou fortement probables) qui vont permettre de rentabiliser rapidement l’investissement. L’avantage des projets behind-the-meter, c’est que les synergies locales entre une batterie, l’activité industrielle et parfois des panneaux solaires permettent de dérisquer une partie du business plan. Storio Energy propose deux modèles d’affaires : soit le client final achète la batterie, soit c’est Storio qui finance la batterie en échange d’un loyer. Ce deuxième modèle a vocation à devenir notre modèle principal. On échange avec des banques et des fonds d’infrastructures qui seront capables de financer ce genre de projets.

Est-ce qu’un jour ça vous paraîtrait viable économiquement d’installer des batteries européennes ?
Nous achetons nos batteries à un réseau de partenaires fabricants que nous évaluons pour la qualité technique, la durabilité et la sécurité de leurs produits, leur capacité de soutien technique et leurs conditions contractuelles et financières. Ces fabricants sont européens ou asiatiques, cependant les cellules de stockage proviennent en général d’Asie. La filière européenne de production de cellules se développe, il est encore tôt pour se prononcer sur sa compétitivité à long terme. Un autre modèle vertueux que nous développons avec des partenaires consiste à reconditionner des batteries de seconde vie : après une première utilisation dans la mobilité électrique, on peut valoriser ces batteries dans un usage stationnaire.
Quelles sont les tendances du marché de l’électricité en France et en Europe ? Quelles en sont les conséquences
pour l’entreprise ?
Au cours des dix prochaines années, la consommation d’électricité va augmenter d’environ 30 %, à mesure que nous électrifierons le transport, le chauffage et l’industrie. La production d’énergie nucléaire va rester stable, car les nouveaux réacteurs nucléaires n’arriveront qu’à partir de 2040. Par conséquent, la part du nucléaire dans le mix électrique va passer de 75 % aujourd’hui à environ 55 % en 2035, tandis que la part de l’éolien et du solaire va considérablement augmenter.
L’intermittence des énergies renouvelables va rendre difficile l’équilibre entre production et consommation d’électricité sur le réseau. Le prix spot de l’électricité, qui varie d’heure en heure, sera de plus en plus volatil, avec des prix proches de zéro (voire négatifs) pendant les pics de production (au milieu de la journée et au milieu de la nuit) et des prix très élevés pendant les pics de consommation, le matin et le soir. Cette dynamique est d’ailleurs déjà visible : l’écart moyen entre le prix minimum et le prix maximum de chaque journée a triplé entre 2019 et 2024.
Enfin, on peut redouter que des crises comme celles de 2022–2023 se reproduisent, car l’Europe va rester dépendante des importations de gaz pour les années à venir, même s’il est urgent de réduire cette dépendance. Le défi de la transition énergétique reste donc principalement devant nous. Ces perspectives de volatilité et d’incertitude renforcent la pertinence du stockage d’électricité. On a créé Storio précisément parce qu’on veut répondre à ce défi et permettre d’aller au bout de la transition énergétique.
Dans deux ou trois ans, quelles sont les prochaines étapes importantes dans le développement de Storio ?
Nous voulons déployer plus de 100 MWh de stockage au cours des deux prochaines années, ce qui équivaut à la capacité de stockage d’environ 2 000 véhicules électriques et représente 20 à 30 M€ d’investissement. Nous allons réaliser une nouvelle levée de fonds avec trois objectifs : continuer à renforcer l’équipe, à la fois la branche tech et la branche commerciale-opérationnelle, bâtir une offre dans laquelle Storio finance les installations en échange d’un loyer de ses clients à un tarif avantageux, ce qui demande un partenariat avec des investisseurs spécialisés dans l’infrastructure, et enfin lancer l’internationalisation de Storio, avec une extension de nos activités dans des pays européens voisins. Le stockage behind-the-meter représente un gisement de flexibilité considérable : on estime qu’on pourrait déployer 20 000 MWh de stockage sur les grands sites industriels français, en évitant d’artificialiser des zones naturelles et en réutilisant des raccordements au réseau électrique qui existent déjà.
2 Commentaires
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Bravo ! beau projet. Attention cependant à le re-situer dans le contexte du changement de cap de la politique énergétique européenne. Il est probable que la montée en puissance de la production d’énergie nucléaire va consacrer le maintien d’une part très majoritaire d’énergie nucléaire pilotable dans le mix énergétique avec les EPR2 et un coup d’arrêt à l’éolien et au photovoltaïque au sol dans les champs agricoles. Pus d” 1 million d’installations solaires photovoltaïques justifient déjà amplement la nécessité de déployer 20 000 MWh de stockage sur les grands sites industriels
C’est clair . Pour illustrer le propos , quelle conso d’électricité minimale justifie de choisir une solution storio ?