Il faut relancer de grands programmes industriels

Dossier : Le Bicentenaire des MinesMagazine N°661 Janvier 2011
Par Jean-Louis BEFFA (60)

Le défi­cit du com­merce exté­rieur han­di­cape lour­de­ment la France. Celle-ci ne pour­ra le résor­ber dura­ble­ment qu’en déve­lop­pant ses expor­ta­tions indus­trielles. Cela implique de relan­cer nos grands pro­grammes indus­triels et créer les condi­tions per­met­tant à nos entre­prises de pri­vi­lé­gier des stra­té­gies expor­ta­trices sur du long terme, de cibler les sou­tiens à l’in­no­va­tion et l’investissement.

Pro­pos rap­por­tés par la Rédaction


REPÈRES

Dans l’his­toire indus­trielle de la France, le corps des Mines a joué de tout temps un rôle clef. En ouvrant le Col­loque consa­cré au bicen­te­naire de ce Corps, Jean-Louis Bef­fa (60) a expri­mé ses vues per­son­nelles sur ce que devraient être les bases d’une poli­tique indus­trielle fran­çaise dans un monde mar­qué par la mondialisation.


Le défi­cit exté­rieur de la France consti­tue un lourd han­di­cap pour la crois­sance de l’é­co­no­mie fran­çaise et un risque pour la sta­bi­li­té de l’euro.

Depuis quinze ans, on observe un déca­lage crois­sant entre la France et l’Allemagne

L’é­vo­lu­tion des prix de l’éner­gie et des matières pre­mières va iné­luc­ta­ble­ment aggra­ver ce défi­cit et le déve­lop­pe­ment des acti­vi­tés de ser­vices ne pour­ra pas le com­bler : le redres­se­ment passe par l’industrie.

Par­mi les causes de la dés­in­dus­tria­li­sa­tion, les écarts de coûts sala­riaux sont sou­vent mis en avant, tout comme ceux du prix de l’éner­gie (on peut d’ailleurs s’é­ton­ner que la France n’ait pas plus déve­lop­pé sa filière nucléaire, sachant qu’elle pour­rait en tirer avan­tage pour expor­ter de l’élec­tri­ci­té vers des pays comme l’Al­le­magne !). On évoque aus­si le défi tech­no­lo­gique, avec la mon­tée en puis­sance de la Chine, tant en recherche fon­da­men­tale qu’en recherche appliquée.

Problème structurel

Métiers mondiaux et multirégionaux

Dans les métiers régio­naux comme l’ar­ti­sa­nat ou les ser­vices aux col­lec­ti­vi­tés, les posi­tions des entre­prises – confron­tées à des concur­rents locaux – ne sont pas affec­tées par les dif­fé­ren­tiels de coûts sala­riaux ou les pari­tés moné­taires. Mais, sur les métiers mon­diaux, on est en concur­rence avec toute la pla­nète. Par ailleurs, avec Inter­net cer­tains métiers régio­naux prennent une dimen­sion mon­diale (presse, édi­tion, musique).

Mais, la France prend du retard sur l’Al­le­magne, alors que les écarts de coûts sala­riaux et de l’éner­gie sont faibles. Cela tient essen­tiel­le­ment aux choix ins­ti­tu­tion­nels qui ont été faits par des pays comme l’Al­le­magne, la Chine, la Corée et le Japon : pour eux, l’ex­por­ta­tion est une prio­ri­té natio­nale. La France, depuis le début des années 1990, a don­né prio­ri­té à la finance et favo­ri­sé les choix à court terme dic­tés par les grands inves­tis­seurs finan­ciers. Le pro­blème est donc struc­tu­rel, ce qui rend le redres­se­ment difficile.

Stratégies industrielles

Les grands groupes fran­çais de l’au­to­mo­bile et ceux issus des pro­grammes lan­cés par Georges Pom­pi­dou – Alstom, Are­va, Air­bus, voire Ariane – sont mena­cés par une concur­rence de plus en plus mon­dia­li­sée. Et les grandes entre­prises qui se portent le mieux exercent sou­vent des métiers régio­naux. C’est ain­si que Saint-Gobain réa­lise 12 % de sa pro­duc­tion indus­trielle en France. 80 % de ses inves­tis­se­ments de crois­sance sont faits dans des pays émergents.

Les quatre pays déjà cités ont une poli­tique qui les dis­tingue de la France sur trois points cru­ciaux : le rôle des action­naires ; l’aide de l’É­tat en matière d’in­no­va­tion ; et la par­ti­ci­pa­tion des sala­riés à la stra­té­gie de l’en­tre­prise. Leur approche de ces ques­tions per­met de déve­lop­per des stra­té­gies à long terme et de pri­vi­lé­gier les pro­duc­tions faites sur le ter­ri­toire national.

Une fusion réussie

Chris­tine Lagarde, ministre de l’É­co­no­mie, des Finances et de l’In­dus­trie, a conclu les céré­mo­nies d’an­ni­ver­saire en citant Le Gué­pard : « Il faut que tout change pour que rien ne change. » Elle a ren­du hom­mage à Mau­rice Allais, récem­ment dis­pa­ru, « qui avait su anti­ci­per les risques de l’é­co­no­mie financière « .
« La fusion des deux corps a été révo­lu­tion­naire et per­met de pour­suivre une œuvre d’in­té­rêt géné­ral pour conti­nuer à tenir un rôle essen­tiel dans la bataille de la connaissance.
 » Elle a rap­pe­lé la déter­mi­na­tion du gou­ver­ne­ment à construire une poli­tique industrielle.
Les grands enjeux sont, à ses yeux, » le vieillis­se­ment de la popu­la­tion, mal­gré une fer­ti­li­té qui reste impor­tante en com­pa­rai­son des autres pays euro­péens ; une vigi­lance face au réchauf­fe­ment cli­ma­tique ; un besoin accru de mobi­li­té et, enfin, une auto­no­mie en équi­pe­ments et indus­tries qui est le gage de la souveraineté. »
« Pour res­ter une puis­sance indus­trielle il faut une base indus­trielle. Nos ingé­nieurs sont indispensables. »

Réorienter la politique

Priorités européennes

Dans ses déci­sions, l’Eu­rope a régu­liè­re­ment pri­vi­lé­gié le consom­ma­teur et igno­ré les défis exté­rieurs. La poli­tique en matière de concur­rence conduit à limi­ter la taille des lea­ders euro­péens, sans voir la mon­tée en puis­sance de la Chine. Ce nom­bri­lisme a des effets des­truc­teurs sur l’emploi et le com­merce extérieur.

Il faut en pre­mier lieu sta­bi­li­ser la gou­ver­nance des entre­prises fran­çaises en évi­tant les effets néfastes des manoeuvres d’in­ves­tis­seurs finan­ciers court ter­mistes (hedge funds, OPA hos­tiles) ; déve­lop­per l’ac­tion­na­riat sala­rié en met­tant en place les pro­tec­tions indis­pen­sables ; réorien­ter les prises de par­ti­ci­pa­tion de l’É­tat (FSI, fonds de retraite) vers les indus­tries expor­ta­trices ; don­ner une place aux syn­di­cats dans les conseils d’ad­mi­nis­tra­tion, afin de les asso­cier à la stra­té­gie de l’en­tre­prise et en par­ti­cu­lier à la loca­li­sa­tion des emplois.

« Les grandes entreprises qui se portent le mieux exercent souvent des métiers régionaux. »

Au plan du déve­lop­pe­ment tech­no­lo­gique, il faut conti­nuer à aider les PME dans leurs actions de recherche et d’in­no­va­tion, mais aus­si relan­cer de grands pro­grammes indus­triels per­met­tant de mobi­li­ser les grandes entreprises.

Enfin, au plan fis­cal, il faut envi­sa­ger des inci­ta­tions mas­sives pour que les grands groupes fran­çais déve­loppent de nou­veaux métiers per­met­tant d’ex­por­ter à par­tir du ter­ri­toire français.

Il est indis­pen­sable et urgent de revoir les choix poli­tiques et ins­ti­tu­tion­nels, tant au niveau fran­çais qu’au niveau euro­péen, et de se rap­pe­ler que le consom­ma­teur est aus­si un producteur.

Une nou­velle poli­tique indus­trielle s’im­pose, dans laquelle le corps des Mines aura son rôle à jouer. À défaut, les temps seront très dif­fi­ciles pour notre indus­trie et nos emplois.  

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