Il faut lire le rapport Attali

Dossier : ExpressionsMagazine N°636 Juin/Juillet 2008
Par Raoul de SAINT-VENANT (73)

Dans son con­tenu, rien n’est en effet nou­veau. Toutes les ” 8 ambi­tions “, présen­tées en fin du doc­u­ment et le syn­théti­sant, font l’ob­jet de travaux depuis un cer­tain temps. Qu’on en juge par leurs inti­t­ulés : ” Pré­par­er la jeunesse à l’é­conomie du savoir ” ; ” Par­ticiper à la crois­sance mon­di­ale ” ; ” Amélior­er la com­péti­tiv­ité des entre­pris­es français­es ” ; ” Con­stru­ire une société de plein-emploi ” ; ” Sup­primer les rentes, réduire les priv­ilèges et favoris­er les mobil­ités ” ; ” Créer des nou­velles sécu­rités à la mesure des insta­bil­ités crois­santes ” ; ” Instau­r­er une nou­velle gou­ver­nance au ser­vice de la crois­sance ” ; ” Ne pas met­tre le niveau de vie d’au­jour­d’hui à la charge des généra­tions futures “. Ces thèmes sont toute­fois l’ob­jet de désac­cords crois­sants au fur et à mesure que les modal­ités de leur appli­ca­tion sont détail­lées. Ce qui change et fluctue, c’est leur accep­ta­tion par la société civile. Le nou­veau, c’est ce cryp­todi­rigisme con­sis­tant à se fier à l’É­tat pour qu’il réduise, de son pro­pre chef, son emprise sur l’économie. 

Au fait des réalités

Beau­coup de con­clu­sions avaient déjà été accep­tées à titre per­son­nel par une grande majorité des per­son­nal­ités françaises

Mais, ne voir dans l’ac­tion de la com­mis­sion que son rap­port, c’est oubli­er que Jacques Attali et les mem­bres de cette com­mis­sion sont des hommes avisés dont la qual­ité les place, sans le moin­dre doute, très au fait des réal­ités de notre société. Leur véri­ta­ble dilemme a été que beau­coup des con­clu­sions avaient déjà été accep­tées à titre per­son­nel par une grande majorité des per­son­nal­ités français­es, de droite ou de gauche ou bien libérales ou dirigistes, mais rejetées dans les instances offi­cielles par beau­coup de ces mêmes per­son­nes. Peut-on imag­in­er fil de rasoir plus coupant entre néces­sités d’ac­tion et con­traintes de con­ve­nances sociales ? 

Une démarche de communication

Ne faudrait-il pas, alors, chercher à voir, dans les travaux de cette com­mis­sion, sa démarche de com­mu­ni­ca­tion, qui d’ailleurs a été saluée en tant que telle par l’é­tranger ? La riposte immé­di­ate et pri­maire de l’ensem­ble des com­par­ti­ments de la société française, qu’elle s’est s’at­tirée du fait de son option tous azimuts, n’est-elle pas la mar­que cer­taine qu’elle a été bien enten­due ? On ne sera donc pas sur­pris d’en­ten­dre le prési­dent de l’assem­blée des départe­ments de France (ADF) juger ” par­faite­ment incon­grue et icon­o­claste ” la sup­pres­sion des départe­ments, ni de savoir que la CGPME con­sid­ère que la libéral­i­sa­tion des prix et de l’in­stal­la­tion des acteurs de la dis­tri­b­u­tion ” nuirait à la qual­ité du ser­vice ren­du et aurait des réper­cu­tions désas­treuses en matière d’amé­nage­ment du ter­ri­toire “, cela alors que la fédéra­tion des entre­pris­es de com­merce et de dis­tri­b­u­tion con­sid­ère que ” ça bouge dans le bon sens “, ni de subir les mou­ve­ments de grève des taxis jus­ti­fiés par le fait qu’ils se con­sid­èrent comme ” les boucs émis­saires ” du rap­port, ni de percevoir la décep­tion des phar­ma­ciens qui jugent ” qu’At­tali ne voit en eux que des com­merçants “, ni de saisir sur le vif la con­ster­na­tion de l’As­so­ci­a­tion française des édi­teurs de logi­ciels (AFDEL) face à des propo­si­tions qu’ils jugent ” dis­crim­i­na­toires “, etc. De fait, à l’aune d’une com­mu­ni­ca­tion poli­tique actuelle cher­chant des résul­tats immé­di­ats, le ren­de­ment d’une telle cam­pagne n’est pas apparu comme probant. D’ailleurs com­mu­ni­quer avec 243 pages n’est-t-il pas renou­vel­er l’er­reur même de la Con­sti­tu­tion européenne ? Ne dit-on pas errare humanum est, per­se­ver­are diabolicum ? 

Se substituer aux carences

La com­mis­sion Attali, alors, n’au­rait-elle pas plutôt été ten­tée d’a­gir directe­ment sur la société civile en court-cir­cui­tant les pro­fes­sion­nels de la poli­tique pour se sub­stituer à leurs carences ? Qu’a réelle­ment, en effet, jamais achevé cet appareil poli­tique pour réduire un déficit budgé­taire qui s’ob­s­tine à galop­er, pour stim­uler la créa­tiv­ité des chercheurs français englués dans l’aléa moral de leur statut de fonc­tion­naires, pour libér­er la pro­duc­tion de loge­ments vic­time d’un malthu­sian­isme crain­tif, pour faciliter la mobil­ité sociale de nou­veaux Français qui ne deman­dent qu’à s’in­té­gr­er, pour invers­er la hausse des prix par la stim­u­la­tion de la con­cur­rence dans la dis­tri­b­u­tion, pour réduire les effec­tifs de l’É­tat en tirant par­ti du redé­ploiement de l’É­tat et des apports des nou­velles tech­nolo­gies, pour empêch­er les petites entre­pris­es d’être spoliées de la valeur qu’elles créent par leurs investisse­ments et leurs inno­va­tions ? Mais, à bien y réfléchir, une telle démarche ne pou­vait aboutir. Les 316 ” Déci­sions pour chang­er la France ” se focalisent sur des résul­tats atten­dus sans se pos­er la ques­tion des quelques mesures struc­turelles qui pour­raient les ren­dre possibles. 

Restaurer la confiance

Empêch­er les petites entre­pris­es d’être spoliées de la valeur qu’elles créent par leurs investisse­ments et leurs innovations

L’in­ten­tion, si elle n’é­tait pas poli­tique, pou­vait alors être, telle celle de juristes, de pro­pos­er aux Français un con­trat glob­al de déman­tèle­ment mul­ti­latéral de l’ensem­ble des cor­po­ratismes et autres rentes dans une sorte de don­nant-don­nant visant à restau­r­er la con­fi­ance sociale devant, in fine, se révéler ” gag­nant-gag­nant “. Ce don­nant-don­nant serait les salariés accep­tant des con­trats de tra­vail plus faciles à rompre con­tre un filet de flexi-sécu­rité plus effi­cace, les taxis mon­nayant leur licence con­tre des horaires plus rich­es en cours­es, les bailleurs de loge­ment moins sélec­tifs con­tre une baisse de la pro­tec­tion des locataires. Mais ce serait, par ailleurs, des acteurs de l’é­conomie, entre­pris­es et employés, accep­tant de jouer le jeu de la con­cur­rence qui, bais­sant les prix, aug­menteraient le pou­voir d’achat et finale­ment dynamis­eraient l’é­conomie et l’emploi, ce serait aus­si les syn­di­cats qui accepteraient aus­si le change­ment des règles de la représen­ta­tiv­ité pour pou­voir enfin mieux faire ce qui est leur méti­er : représen­ter les intérêts des salariés, ce serait finale­ment les acteurs de l’É­tat et de ses satel­lites, et cela jusqu’au plus haut niveau, qui accepteraient d’a­ban­don­ner l’ensem­ble de leurs priv­ilèges his­torique­ment acquis, mais actuelle­ment illégitimes, et cela pour faire men­tir le prési­dent Mao affir­mant que tous les ” pois­sons pour­ris­sent par la tête “. 

Obtenir un sursaut moral

Le ton provo­ca­teur de la com­mu­ni­ca­tion autour des travaux de la com­mis­sion n’au­rait été alors que tac­tique et des­tiné, comme celui de Dio­gène en son temps et en d’autres lieux, à attis­er les con­tra­dic­tions de la société pour obtenir un sur­saut moral. Moral­iste, le rap­por­teur et organ­isa­teur de cette com­mis­sion a cer­taine­ment voulu l’être, sur le tard, en dénonçant les con­tra­dic­tions de la société qu’il doit bien assumer en rai­son de ce qu’a été sa car­rière riche et diverse. Moral­iste, il l’a été aus­si en cher­chant à heurter les préjugés les plus enrac­inés sur lesquels il s’é­tait cepen­dant appuyé dans les dif­férents rôles poli­tiques qu’il a tenus. Embras­sant la société dans son ensem­ble, il a même été bien au-delà et, ce faisant, a pris la pos­ture d’un philosophe. Sera-t-il philosophe au point d’en­vis­ager que son oeu­vre, à l’in­star de celle de Voltaire, qui est sans aucun doute son mod­èle, n’aboutisse que dans les siè­cles futurs ? Il est cer­taine­ment trop tôt pour dire si les travaux de cette com­mis­sion vont tomber dans l’ou­bli ou s’ils devien­dront l’outil d’un sur­saut français. Peut-être a‑t-elle été trop auda­cieuse en posant dans des rôles mul­ti­ples et con­tra­dic­toires ; peut-être, au con­traire, son rap­port est-il plein de promess­es et con­stitue-t-il le ” Cahi­er de doléances ” devant précéder la révo­lu­tion économique et sociale néces­saire à la France pour qu’en­fin elle accom­plisse son des­tin. En tout état de cause ce rap­port aura le mérite d’avoir illus­tré de manière ency­clopédique les dif­fi­cultés éprou­vées par la société française de 2007. Ne serait-ce que pour cela, il faut le lire et le faire lire. C’est tout à la fois du bon et du nouveau !

Le texte inté­gral du rap­port Attali est en accès libre sur :
 
http://lesrapports.ladocumentationfrancaise.fr

Poster un commentaire