IA, data et souveraineté : repenser la performance en profondeur

IA, data et souveraineté : repenser la performance en profondeur

Dossier : Vie des entreprises - Transformation numérique et intelligence artificielleMagazine N°805 Mai 2025
Par Jean-Yves FALQUE

Dans un contexte de trans­for­ma­tion rapide, l’intelligence arti­fi­cielle s’impose comme un levier stra­té­gique. Jean-Yves Falque, diri­geant d’Apgar, par­tage une vision concrète et enga­gée : de l’optimisation opé­ra­tion­nelle à la sou­ve­rai­ne­té des don­nées, en pas­sant par les défis humains et socié­taux liés à l’IA.

Pouvez-vous nous présenter APGAR ?

APGAR est un cabi­net de conseil spé­cia­li­sé en data mana­ge­ment et en intel­li­gence arti­fi­cielle, fon­dé il y a 12 ans en France. Aujourd’hui, nous sommes pré­sents dans une quin­zaine de pays avec une équipe de 230 consul­tants. En France, nous comp­tons 80 col­la­bo­ra­teurs, et nous dis­po­sons éga­le­ment de pôles impor­tants au Liban et au Por­tu­gal, ain­si que des antennes en Suisse, aux États-Unis, au Bré­sil, au Moyen-Orient (Ara­bie Saou­dite et Dubaï), en Aus­tra­lie et en Indonésie.

Notre mis­sion est d’accompagner nos clients tout au long de leurs pro­jets data : depuis la phase de sen­si­bi­li­sa­tion à l’importance des don­nées, en pas­sant par la struc­tu­ra­tion des orga­ni­sa­tions dédiées à la data, la défi­ni­tion des archi­tec­tures fonc­tion­nelles et appli­ca­tives, jusqu’à l’implémentation de solu­tions et leur exploi­ta­tion au quo­ti­dien. L’objectif est de garan­tir une amé­lio­ra­tion conti­nue et une vraie créa­tion de valeur sur le long terme.

Nos clients vont de grands groupes inter­na­tio­naux à des struc­tures plus agiles.

Quels sont les principaux obstacles à l’adoption de l’intelligence artificielle, et comment votre approche y répond-elle ?

Mal­gré l’engouement crois­sant autour de l’IA, son adop­tion reste frei­née par plu­sieurs fac­teurs. Le pre­mier est tech­no­lo­gique : dans de nom­breuses entre­prises, les don­nées néces­saires sont incom­plètes, dis­per­sées ou de qua­li­té insuf­fi­sante, ce qui limite for­te­ment l’efficacité des algo­rithmes. Vient ensuite un manque de matu­ri­té orga­ni­sa­tion­nelle : il est sou­vent dif­fi­cile d’identifier les bons cas d’usage et d’impliquer les équipes dans une démarche struc­tu­rée autour de la don­née. Enfin, la ques­tion de la sécu­ri­té et de la confi­den­tia­li­té freine aus­si l’usage d’outils IA, en par­ti­cu­lier lorsqu’il s’agit de solu­tions publiques, qui peuvent expo­ser des infor­ma­tions sen­sibles ou stratégiques.

Notre réponse à ces défis repose sur une approche prag­ma­tique et pro­gres­sive. Nous tra­vaillons en co-construc­tion avec nos clients pour iden­ti­fier un cas d’usage ciblé, à forte valeur ajou­tée, pour lequel les don­nées sont déjà dis­po­nibles en qua­li­té suf­fi­sante. Puis, nous réa­li­sons un pro­to­type en condi­tions réelles, avec les don­nées de l’entreprise. Ce pilote per­met de tes­ter l’algorithme, d’évaluer concrè­te­ment les gains, et d’impliquer les équipes métiers dès le départ. Ce for­mat simple à déployer est très appré­cié, car il per­met aux clients d’expérimenter de manière tan­gible les béné­fices de l’IA, sans bou­le­ver­ser leur orga­ni­sa­tion. Une fois ce pre­mier suc­cès démon­tré, on peut pas­ser à d’autres cas d’usage, ren­for­cer la gou­ver­nance des don­nées et, pro­gres­si­ve­ment, indus­tria­li­ser l’approche.

Nous appe­lons cette démarche le « AI Cata­lyst », un véri­table cata­ly­seur de l’IA dans l’entreprise. Il per­met de construire une base solide, en phase avec les enjeux métiers, tech­no­lo­giques et organisationnels.

En quoi le data management peut-il accélérer les initiatives d’intelligence artificielle des entreprises ?

Le data mana­ge­ment est un levier essen­tiel pour réus­sir les pro­jets d’intelligence arti­fi­cielle. Il per­met de struc­tu­rer, fia­bi­li­ser et tra­cer les don­nées, assu­rant leur qua­li­té, leur cohé­rence et leur acces­si­bi­li­té. Une gou­ver­nance claire, des pro­ces­sus rigou­reux et des don­nées bien gérées sont indis­pen­sables pour entraî­ner des algo­rithmes fiables et évi­ter des résul­tats biai­sés. Sans des jeux de don­nées solides, l’IA reste inef­fi­cace ou inex­ploi­tée ; avec eux, elle devient un véri­table moteur d’innovation.

Avec ApgarIA, vous proposez des solutions pilotées par l’IA pour améliorer l’efficacité opérationnelle. Pourriez-vous partager des cas concrets de gains obtenus ?

Oui, bien sûr. Chez Apgar, au-delà de notre acti­vi­té de conseil, nous déve­lop­pons éga­le­ment nos propres solu­tions pré­con­fi­gu­rées, issues de notre expé­rience ter­rain. Lorsque nous accom­pa­gnons plu­sieurs clients sur des pro­blé­ma­tiques simi­laires, nous consta­tons qu’une grande par­tie de ce que nous met­tons en œuvre est réuti­li­sable, par­fois à 60 ou 70 %. Pour capi­ta­li­ser sur ce savoir-faire, nous avons donc conçu des solu­tions prêtes à l’emploi, afin de pro­po­ser un véri­table dif­fé­ren­cia­teur sur le marché.

Dans le domaine de l’intelligence arti­fi­cielle, nous avons déve­lop­pé une solu­tion des­ti­née à opti­mi­ser des pro­ces­sus opé­ra­tion­nels, en par­ti­cu­lier dans les envi­ron­ne­ments indus­triels. Par exemple, dans le sec­teur de la pro­duc­tion, cette solu­tion per­met d’optimiser la pla­ni­fi­ca­tion des res­sources indus­trielles : ajus­te­ment du plan de pro­duc­tion, meilleure ges­tion de la demande, réduc­tion des stocks inter­mé­diaires, ou encore opti­mi­sa­tion de la consom­ma­tion d’énergie. L’un des avan­tages majeurs de notre approche est qu’elle s’intègre dans l’existant. On ne demande pas à nos clients de tout changer.

“L’adoption de l’intelligence artificielle n’est plus une option, mais une évidence. Comme l’informatique dans les années 80, l’IA va profondément transformer les métiers.”

On vient connec­ter notre agent intel­li­gent aux sys­tèmes déjà en place. Celui-ci récu­père les don­nées issues de l’usine (temps de trai­te­ment des machines, com­mandes, états des stocks…) et pro­pose des scé­na­rios d’optimisation via une inter­face uti­li­sa­teur intui­tive. Les résul­tats sont très signi­fi­ca­tifs. Par exemple, chez un de nos clients indus­triels, nous avons réus­si à faire pas­ser le cal­cul de son plan de pro­duc­tion de plu­sieurs heures à quelques minutes, amé­lio­rant signi­fi­ca­ti­ve­ment la flexi­bi­li­té de l’usine et sa capa­ci­té à s’adapter aux aléas.

Nous appli­quons éga­le­ment cette approche à d’autres sec­teurs. Par exemple, pour les éta­blis­se­ments hos­pi­ta­liers, nous pro­po­sons une solu­tion visant à recons­truire rapi­de­ment le pro­fil et l’expérience des pro­fes­sion­nels de san­té inter­ve­nant dans les éta­blis­se­ments hos­pi­ta­liers pour amé­lio­rer la qua­li­té des affec­ta­tions. Et dans un tout autre registre, nous lan­çons éga­le­ment une ini­tia­tive avec une grande chaîne de res­tau­rants au Moyen-Orient, pour dimi­nuer les gas­pillages. En nous basant sur les menus, la météo, le calen­drier des évé­ne­ments, les habi­tudes de la clien­tèle, nous pou­vons anti­ci­per les com­mandes et ain­si opti­mi­ser l’utilisation des matières premières.

Quelle piste de réflexion aimeriez-vous partager avec les lecteurs ?

L’adoption de l’intelligence arti­fi­cielle n’est plus une option, mais une évi­dence. Comme l’informatique dans les années 80, l’IA va pro­fon­dé­ment trans­for­mer les métiers. La ques­tion n’est plus de savoir si elle va s’imposer, mais com­ment l’intégrer de façon per­ti­nente et humaine. Cela sup­pose d’identifier les bons cas d’usage, de for­mer les équipes, et d’accompagner le chan­ge­ment pour en faire un véri­table levier de per­for­mance et de sens.

Cette trans­for­ma­tion sou­lève aus­si une inter­ro­ga­tion plus large : quel sera l’impact de l’IA sur l’emploi dans les années à venir ? Avec l’automatisation, cer­tains métiers vont dis­pa­raître ou évo­luer en pro­fon­deur. Il fau­dra alors repen­ser les formes d’engagement dans la socié­té et évi­ter que cette tran­si­tion ne crée de nou­velles frac­tures sociales.

Enfin se pose la ques­tion cru­ciale de la sou­ve­rai­ne­té des don­nées. Aujourd’hui, de nom­breuses entre­prises euro­péennes s’appuient sur des pla­te­formes cloud amé­ri­caines, sou­mises à des lois extra­ter­ri­to­riales comme le Cloud Act. Cette dépen­dance stra­té­gique appelle à une relo­ca­li­sa­tion des pla­te­formes data pour garan­tir la sécu­ri­té des don­nées et pré­ser­ver les inté­rêts éco­no­miques et démo­cra­tiques de l’Europe.

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