IA, data et souveraineté : repenser la performance en profondeur

Dans un contexte de transformation rapide, l’intelligence artificielle s’impose comme un levier stratégique. Jean-Yves Falque, dirigeant d’Apgar, partage une vision concrète et engagée : de l’optimisation opérationnelle à la souveraineté des données, en passant par les défis humains et sociétaux liés à l’IA.
Pouvez-vous nous présenter APGAR ?
APGAR est un cabinet de conseil spécialisé en data management et en intelligence artificielle, fondé il y a 12 ans en France. Aujourd’hui, nous sommes présents dans une quinzaine de pays avec une équipe de 230 consultants. En France, nous comptons 80 collaborateurs, et nous disposons également de pôles importants au Liban et au Portugal, ainsi que des antennes en Suisse, aux États-Unis, au Brésil, au Moyen-Orient (Arabie Saoudite et Dubaï), en Australie et en Indonésie.
Notre mission est d’accompagner nos clients tout au long de leurs projets data : depuis la phase de sensibilisation à l’importance des données, en passant par la structuration des organisations dédiées à la data, la définition des architectures fonctionnelles et applicatives, jusqu’à l’implémentation de solutions et leur exploitation au quotidien. L’objectif est de garantir une amélioration continue et une vraie création de valeur sur le long terme.
Nos clients vont de grands groupes internationaux à des structures plus agiles.
Quels sont les principaux obstacles à l’adoption de l’intelligence artificielle, et comment votre approche y répond-elle ?
Malgré l’engouement croissant autour de l’IA, son adoption reste freinée par plusieurs facteurs. Le premier est technologique : dans de nombreuses entreprises, les données nécessaires sont incomplètes, dispersées ou de qualité insuffisante, ce qui limite fortement l’efficacité des algorithmes. Vient ensuite un manque de maturité organisationnelle : il est souvent difficile d’identifier les bons cas d’usage et d’impliquer les équipes dans une démarche structurée autour de la donnée. Enfin, la question de la sécurité et de la confidentialité freine aussi l’usage d’outils IA, en particulier lorsqu’il s’agit de solutions publiques, qui peuvent exposer des informations sensibles ou stratégiques.
Notre réponse à ces défis repose sur une approche pragmatique et progressive. Nous travaillons en co-construction avec nos clients pour identifier un cas d’usage ciblé, à forte valeur ajoutée, pour lequel les données sont déjà disponibles en qualité suffisante. Puis, nous réalisons un prototype en conditions réelles, avec les données de l’entreprise. Ce pilote permet de tester l’algorithme, d’évaluer concrètement les gains, et d’impliquer les équipes métiers dès le départ. Ce format simple à déployer est très apprécié, car il permet aux clients d’expérimenter de manière tangible les bénéfices de l’IA, sans bouleverser leur organisation. Une fois ce premier succès démontré, on peut passer à d’autres cas d’usage, renforcer la gouvernance des données et, progressivement, industrialiser l’approche.
Nous appelons cette démarche le « AI Catalyst », un véritable catalyseur de l’IA dans l’entreprise. Il permet de construire une base solide, en phase avec les enjeux métiers, technologiques et organisationnels.
En quoi le data management peut-il accélérer les initiatives d’intelligence artificielle des entreprises ?
Le data management est un levier essentiel pour réussir les projets d’intelligence artificielle. Il permet de structurer, fiabiliser et tracer les données, assurant leur qualité, leur cohérence et leur accessibilité. Une gouvernance claire, des processus rigoureux et des données bien gérées sont indispensables pour entraîner des algorithmes fiables et éviter des résultats biaisés. Sans des jeux de données solides, l’IA reste inefficace ou inexploitée ; avec eux, elle devient un véritable moteur d’innovation.
Avec ApgarIA, vous proposez des solutions pilotées par l’IA pour améliorer l’efficacité opérationnelle. Pourriez-vous partager des cas concrets de gains obtenus ?
Oui, bien sûr. Chez Apgar, au-delà de notre activité de conseil, nous développons également nos propres solutions préconfigurées, issues de notre expérience terrain. Lorsque nous accompagnons plusieurs clients sur des problématiques similaires, nous constatons qu’une grande partie de ce que nous mettons en œuvre est réutilisable, parfois à 60 ou 70 %. Pour capitaliser sur ce savoir-faire, nous avons donc conçu des solutions prêtes à l’emploi, afin de proposer un véritable différenciateur sur le marché.
Dans le domaine de l’intelligence artificielle, nous avons développé une solution destinée à optimiser des processus opérationnels, en particulier dans les environnements industriels. Par exemple, dans le secteur de la production, cette solution permet d’optimiser la planification des ressources industrielles : ajustement du plan de production, meilleure gestion de la demande, réduction des stocks intermédiaires, ou encore optimisation de la consommation d’énergie. L’un des avantages majeurs de notre approche est qu’elle s’intègre dans l’existant. On ne demande pas à nos clients de tout changer.
“L’adoption de l’intelligence artificielle n’est plus une option, mais une évidence. Comme l’informatique dans les années 80, l’IA va profondément transformer les métiers.”
On vient connecter notre agent intelligent aux systèmes déjà en place. Celui-ci récupère les données issues de l’usine (temps de traitement des machines, commandes, états des stocks…) et propose des scénarios d’optimisation via une interface utilisateur intuitive. Les résultats sont très significatifs. Par exemple, chez un de nos clients industriels, nous avons réussi à faire passer le calcul de son plan de production de plusieurs heures à quelques minutes, améliorant significativement la flexibilité de l’usine et sa capacité à s’adapter aux aléas.
Nous appliquons également cette approche à d’autres secteurs. Par exemple, pour les établissements hospitaliers, nous proposons une solution visant à reconstruire rapidement le profil et l’expérience des professionnels de santé intervenant dans les établissements hospitaliers pour améliorer la qualité des affectations. Et dans un tout autre registre, nous lançons également une initiative avec une grande chaîne de restaurants au Moyen-Orient, pour diminuer les gaspillages. En nous basant sur les menus, la météo, le calendrier des événements, les habitudes de la clientèle, nous pouvons anticiper les commandes et ainsi optimiser l’utilisation des matières premières.
Quelle piste de réflexion aimeriez-vous partager avec les lecteurs ?
L’adoption de l’intelligence artificielle n’est plus une option, mais une évidence. Comme l’informatique dans les années 80, l’IA va profondément transformer les métiers. La question n’est plus de savoir si elle va s’imposer, mais comment l’intégrer de façon pertinente et humaine. Cela suppose d’identifier les bons cas d’usage, de former les équipes, et d’accompagner le changement pour en faire un véritable levier de performance et de sens.
Cette transformation soulève aussi une interrogation plus large : quel sera l’impact de l’IA sur l’emploi dans les années à venir ? Avec l’automatisation, certains métiers vont disparaître ou évoluer en profondeur. Il faudra alors repenser les formes d’engagement dans la société et éviter que cette transition ne crée de nouvelles fractures sociales.
Enfin se pose la question cruciale de la souveraineté des données. Aujourd’hui, de nombreuses entreprises européennes s’appuient sur des plateformes cloud américaines, soumises à des lois extraterritoriales comme le Cloud Act. Cette dépendance stratégique appelle à une relocalisation des plateformes data pour garantir la sécurité des données et préserver les intérêts économiques et démocratiques de l’Europe.