HUVY, l’allié numérique pour accélérer la détection du mélanome

Dossier : Vie des entreprises - HealthtechMagazine N°804 Avril 2025
Par Léonie SCHRÖDER
Par Bryan BOULÉ

HUVY a été cofon­dée par deux alum­ni de l’Institut Poly­tech­nique de Paris avec le sou­tien d’une pro­fes­seure en onco­der­ma­to­lo­gie, Léo­nie Schrö­der (CEO), et Bryan Bou­lé (CTO). Elle s’adresse à une pro­blé­ma­tique glo­bale : la dif­fi­cul­té d’accès aux soins der­ma­to­lo­giques. Entre­tien avec deux anciens cama­rades d’école qui ont quit­té les cabi­nets de conseil pari­siens pour lan­cer leur solu­tion d’IA pour l’accélération des par­cours de soins dermatologiques.

Pouvez-vous expliquer en quoi consiste la technologie d’IA développée par Huvy pour la détection des mélanomes ?

HUVY est une pla­te­forme SaaS des­ti­née aux pro­fes­sion­nels de san­té de proxi­mi­té (méde­cins, phar­ma­ciens, para­mé­di­caux). Elle donne accès à une Intel­li­gence arti­fi­cielle entraî­née spé­ci­fi­que­ment sur la recon­nais­sance des méla­nomes à par­tir de pho­to­gra­phies der­mo­sco­piques. Basée sur des modèles de Deep Lear­ning spé­cia­le­ment entraî­nés pour assu­rer le meilleur com­pro­mis performance/rapidité, elle est en mesure de détec­ter un méla­nome sur une pho­to en moins de 15 secondes. Entraî­née sur près de 100 000 images der­ma­to­lo­giques, sa fia­bi­li­té a été démon­trée comme étant au-des­sus des stan­dards uti­li­sés habi­tuel­le­ment dans des contextes de diag­nos­tic, fai­sant de HUVY, un outil de dépis­tage ultra performant.

Quelles sont les avancées scientifiques ou technologiques spécifiques qui distinguent votre solution des autres outils de diagnostic actuels ?

HUVY a déve­lop­pé son outil en col­la­bo­ra­tion avec les soi­gnants pour qu’il soit par­fai­te­ment adap­té à leurs besoins quo­ti­diens. Notre recherche allie des exi­gences tech­niques éle­vées à une prise en compte des contraintes du ter­rain. Nous avons choi­si un for­mat SaaS, uti­li­sable avec les équi­pe­ments déjà pré­sents dans les cabi­nets (smart­phones com­plé­tés d’un der­ma­to­scope), pour garan­tir une adop­tion simple et rapide. 

Cette prise en compte des contraintes de la vraie vie, c’est ce qui manque à beaucoup qui lancent de belles initiatives de recherche…

D’autres se refusent à entrer dans des par­cours de cer­ti­fi­ca­tions* CE ou FDA pour en faire des outils de soin cou­rant, car elles peinent à répondre à l’ampleur des exi­gences deman­dées. HUVY a fait cette démarche. Elle est en voie de deve­nir la pre­mière pla­te­forme cer­ti­fiée CE II.B. pour le dépis­tage du méla­nome. Mais notre démarche fut longue. Nous avons dû démon­trer les per­for­mances cli­niques de notre IA, sa repro­duc­ti­bi­li­té et sa robus­tesse face aux contraintes de la vraie vie.

Comment garantissez-vous la précision et la fiabilité des diagnostics réalisés par votre IA ?

Notre IA est le résul­tat de 3 ans de R&D et est spé­cia­li­sée pour garan­tir des per­for­mances opti­males. Au-delà de notre approche évo­quée pré­cé­dem­ment, nous avons éga­le­ment bre­ve­té une clas­si­fi­ca­tion qui per­met à l’IA d’exprimer ses doutes et de lais­ser la main aux soi­gnants quand elle ne peut pas se pro­non­cer avec un indice de confiance suffisant.

Pour garan­tir la fia­bi­li­té, nous avons mené des études cli­niques, y com­pris en condi­tions réelles avec le CHU de Nantes. Ces recherches ont mon­tré une sen­si­bi­li­té de 96 à 100 % (capa­ci­té à détec­ter les patients malades) et une spé­ci­fi­ci­té d’environ 70 % (capa­ci­té à évi­ter les orien­ta­tions inutiles vers les spécialistes).

La fiabilité de nos résultats va-t-elle au-delà de la qualité de notre technologie ? 

Elle résulte d’une bonne adé­qua­tion entre notre tech­no­lo­gie et son étape dans le par­cours de soin. Comme évo­qué pré­cé­dem­ment, nous nous posi­tion­nons comme un outil de type TROD (Test Rapide d’Orientation Diag­nos­tique) et non pas comme un outil de diag­nos­tic. Le spé­cia­liste reste le seul capable de poser un diag­nos­tic après exa­men et exé­rèse de la lésion. Cela signi­fie que notre pla­te­forme sera uti­li­sée en amont des ren­dez-vous der­ma­to­lo­giques et dans une logique d’optimisation des prises de ren­dez-vous. Vous l’aurez com­pris, nous avons fait le choix de pro­po­ser cet outil qu’aux pro­fes­sion­nels de san­té, à ce jour. Cela per­met notam­ment une prise en charge dans un par­cours de soin, qui garan­tit un accom­pa­gne­ment com­plé­men­taire à la per­for­mance pure de la tech­no­lo­gie. Nous avons tra­vaillé acti­ve­ment sur la trans­pa­rence pour faire de notre outil un assis­tant numé­rique que les soi­gnants peuvent com­prendre et interpréter.

Quels sont les principaux bénéfices que votre technologie apporte aux patients et aux professionnels de santé dans le cadre des parcours de soin ?

Avec notre approche, un patient iden­ti­fié comme à fort risque de méla­nome peut être pris en charge plus rapi­de­ment. Le soi­gnant dépis­teur pour­ra signa­ler au der­ma­to­logue que le patient doit béné­fi­cier d’une consul­ta­tion urgente, preuve du résul­tat HUVY à l’appui. A contra­rio, un patient por­teur d’une lésion bénigne, par exemple une Kéra­tose sébor­rhéique, pour­ra être fil­tré et évi­ter d’engorger inuti­le­ment la file d’attente des spécialistes.

Nous pro­po­sons ain­si des par­cours accé­lé­rés pour les patients qui en ont besoin, aug­men­tant leurs chances, et don­nons une pos­si­bi­li­té de se ras­su­rer faci­le­ment. Les soi­gnants de proxi­mi­té gagnent en auto­no­mie sur les sujets der­ma­to­lo­giques et béné­fi­cient d’un nou­vel acte res­pon­sa­bi­li­sant et rému­né­ra­teur. Enfin, les der­ma­to­logues sur­char­gés opti­misent leur temps d’expert sur des cas plus pertinents.

De manière plus glo­bale, cette nou­velle approche est une réelle oppor­tu­ni­té pour la san­té publique. Elle per­met d’améliorer les chances des patients por­teurs de méla­nome tout en pro­po­sant une san­té plus per­son­na­li­sée qui limite les dépenses liées à des prises en charge tar­dives ou des adres­sages non pertinents.

En quoi votre solution pourrait-elle améliorer le dépistage précoce et les résultats des traitements pour les patients atteints de mélanome ?

En équi­pant un large spectre de pro­fes­sion­nels de san­té de proxi­mi­té, méde­cins, phar­ma­ciens et para­mé­di­caux, nous garan­tis­sons un accès à un pre­mier test proche de chez soi, y com­pris dans les déserts médi­caux. Les « retards diag­nos­tics » résultent sou­vent de cette dif­fi­cul­té d’accès aux soins, mais peuvent aus­si être liés à une négli­gence du patient ou un manque de connais­sance de cer­tains soi­gnants de proxi­mi­té face à la varia­bi­li­té de ces lésions. En pro­po­sant un dépis­tage que l’on peut mobi­li­ser au moindre doute, rapide, facile d’accès, et fiable, on garan­tit néces­sai­re­ment une prise en charge plus adé­quate qui amé­liore les chances du patient. En plus d’améliorer for­te­ment le confort d’exercice de toute la chaîne de soin. C’est quelque chose que nous pré­voyons de démon­trer à grande échelle avec le déploie­ment de notre outil.

Comment envisagez-vous l’intégration de votre IA dans les pratiques médicales existantes, notamment en dermatologie ?

De nom­breux der­ma­to­logues sou­tiennent notre ini­tia­tive puisqu’ils sont aujourd’hui débor­dés de demandes. En France, le tra­vail de filtre et d’alerte sur les cas à risque n’est pas aus­si per­for­mant que dans des pays beau­coup plus sen­si­bi­li­sés, comme en Aus­tra­lie. Il a été esti­mé dans une étude dans le Val-de-Marne que pour 100 patients adres­sés aux der­ma­to­logues pour sus­pi­cion de méla­nome, seuls 7 avaient réel­le­ment besoin d’être envoyés. L’intégration d’une IA pour mieux qua­li­fier ces demandes appa­raît donc comme une suite logique des ini­tia­tives qui se sont déve­lop­pées ces der­nières années : télé­con­sul­ta­tion, téléexpertise…

Quels sont les objectifs que vous visez avec votre levée de fonds prévue pour 2025 ?

Nous réa­li­sons effec­ti­ve­ment une levée de fonds en 2025. Avec notre lan­ce­ment en soin cou­rant en début d’année, nous fai­sons l’objet de demandes spon­ta­nées de nom­breux soi­gnants, par­te­naires et patients alors même que nous n’avons fait aucune action pro­mo­tion­nelle pour le moment. Le bouche-à-oreille a fait le tra­vail. Nous avons donc besoin de nous armer en vue d’un déploie­ment réus­si à grande échelle en France puis en Europe. Cela implique de recru­ter les bonnes per­sonnes pour faire gran­dir la socié­té à nos côtés.

Quels défis anticipez-vous pour le déploiement et l’adoption à grande échelle de votre technologie ?

Le défi d’une inté­gra­tion opti­male dans les par­cours de soins est le plus impor­tant pour nous. Cela passe par une écoute forte, un moni­to­ring régu­lier et une équipe prête à adap­ter notre approche au fil des retours. Et bien sûr, il convient de nous inté­grer dans les par­cours de soin exis­tants aus­si plu­riels soient-ils aujourd’hui à l’échelle européenne.

Quelles seront les premières étapes pour élargir votre présence à l’international après cette levée de fonds ?

Grâce à notre pro­chaine obten­tion du mar­quage CE, nous pou­vons nous adres­ser à l’ensemble des pays de l’UE dès demain. Cela passe bien sûr par une dis­tri­bu­tion sur laquelle nous devons nous entou­rer des bons par­te­naires. Et une capa­ci­té à com­mu­ni­quer effi­ca­ce­ment avec les der­ma­to­logues pour dupli­quer notre bonne pra­tique par­te­na­riale avec eux. À cet effet, nous avons déjà expo­sé un pre­mier pos­ter scien­ti­fique au congrès euro­péen EADV 2024 et avons été sélec­tion­nés pour pré­sen­ter le pro­jet lors du congrès inter­na­tio­nal IMCAS 2025.

Nous avons éga­le­ment été sol­li­ci­tés pour un déploie­ment au-delà des fron­tières de l’Europe, mais nous en repar­le­rons en temps voulu.

Comment percevez-vous l’évolution de l’innovation en santé grâce à l’IA dans les années à venir, et quel rôle Huvy espère-t-elle y jouer ?

Pour nous, il n’y a aucun doute que cette tech­no­lo­gie pour­ra appor­ter beau­coup de valeur sur toute la chaîne de valeur en san­té. Depuis l’optimisation des prises en charge et le dépis­tage pré­coce, comme nous, jusqu’à la per­son­na­li­sa­tion des trai­te­ments et la for­mu­la­tion de nou­velles thé­ra­pies inno­vantes. HUVY sou­haite s’inscrire comme l’incontournable de l’IA en der­ma­to­lo­gie et contri­buer à pro­té­ger plus de patients, à chaque étape du parcours.

Bien sûr, ces nou­velles ne sont réjouis­santes que si chaque indus­triel se prête au jeu de la trans­pa­rence et des bonnes pra­tiques du domaine. Il est indis­pen­sable de prendre ce domaine très au sérieux et de tra­vailler main dans la main avec les soi­gnants pour pro­po­ser les dis­po­si­tifs médi­caux de demain qui vont révo­lu­tion­ner la santé.

Nous espé­rons que cette révo­lu­tion sera prise à sa juste mesure par les auto­ri­tés de san­té. Cela a été bien inté­gré dans la dimen­sion régle­men­taire, mais cela n’est pas encore suf­fi­sam­ment encou­ra­gé, à tra­vers des actes dédiés. Faci­li­ter cette trans­for­ma­tion pro­fonde des par­cours de soins appor­te­ra des béné­fices cer­tains pour la san­té publique. 


* Ces labels, res­pec­ti­ve­ment pour l’Union euro­péenne et les États-Unis, sont des étapes obli­ga­toires pour la mise sur le mar­ché d’un dis­po­si­tif médi­cal, au même titre qu’un médi­ca­ment. Pour les obte­nir, le fabri­cant doit démon­trer, en accord avec le règle­ment local de chaque mar­ché, la balance com­plète « béné­fice risque » de son dispositif.

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