Grande mission pour petit cabinet

Dossier : Le conseilMagazine N°611 Janvier 2006Par Jean-Noël LEFEBVRE (Mines)

Comme toute PME, notre cab­i­net de con­seil inter­vient dans un marché con­cur­ren­tiel, face à des con­cur­rents bien plus grands et recon­nus. La dif­féren­ci­a­tion de l’of­fre est cru­ciale. Pour notre part, elle prend ses sources dans les orig­ines de la société et de notre aven­ture entre­pre­neuri­ale. Une mis­sion réal­isée récem­ment per­met d’il­lus­tr­er un posi­tion­nement où les qual­ités humaines des con­sul­tants per­me­t­tent de com­penser une notoriété et une capac­ité finan­cière moindres.

Jean-Noël LEFEBVRE a créé Faber Con­sul­tants (Faber Con­sul­tants LLNR Con­seil.) en 2000 avec quelques autres pro­fes­sion­nels issus des “Big 5”. Ils inter­vi­en­nent pour de grands groupes des secteurs indus­triels et des ser­vices sur des mis­sions de réor­gan­i­sa­tion et de refonte des sys­tèmes d’information.
Aupar­a­vant il a été con­sul­tant, senior con­sul­tant puis man­ag­er chez Peat Mar­wick Con­sul­tants et a réal­isé de mul­ti­ples mis­sions dans l’in­dus­trie (aéro­nau­tique, auto­mo­bile, hautes tech­nolo­gies, ingénierie) et les ser­vices sur des prob­lé­ma­tiques de ges­tion de pro­jets et de développe­ment de nou­veaux produits.
Il est prési­dent fon­da­teur d’In­ter­mines-Asie qu’il a fondé en 1996 et admin­is­tra­teur de l’As­so­ci­a­tion ami­cale des anciens élèves des Mines de Paris depuis 2002.

Écouter et comprendre

Le client est en l’oc­cur­rence leader mon­di­al sur des biens de grande con­som­ma­tion et des équipements indus­triels. Une logique de course à la taille et aux parts de marchés a con­duit à de mul­ti­ples acqui­si­tions puis à une sit­u­a­tion finan­cière cri­tique. Sur le ter­rain, réor­gan­i­sa­tions, fer­me­tures de sites et modes d’or­gan­i­sa­tion con­tra­dic­toires démoralisent les col­lab­o­ra­teurs et débous­so­lent les clients.

Appelés à la rescousse, plusieurs grands cab­i­nets inter­vi­en­nent. Dans un envi­ron­nement très incer­tain, des pro­jets phares por­tant sur les achats et la mise en place d’un cen­tre de ser­vices partagés dérivent dan­gereuse­ment vers un fonc­tion­nement en autar­cie, avant de tourn­er court faute d’avoir mobil­isé les opéra­tionnels, har­mon­isé les modes de fonc­tion­nement et pro­duit les gains promis. Un nou­veau round de restruc­tura­tion commence..

C’est dans ce con­texte inquié­tant qu’un con­sul­tant indépen­dant et ancien col­lègue nous appelle pour aider son client, directeur des sys­tèmes d’in­for­ma­tion (DSI) Europe, à met­tre sous con­trôle une mul­ti­tude de pro­jets menés dans qua­torze pays en Europe. Face à nous, des cab­i­nets bien con­nus dans la ges­tion de pro­jets. Par sim­ple effet de taille, ils affichent d’im­pres­sion­nantes listes de références con­tre lesquelles nous ne pou­vons raisonnable­ment lut­ter de manière frontale.

Mon con­frère et une con­ver­sa­tion télé­phonique ont per­mis de qual­i­fi­er notre offre et d’obtenir un ren­dez-vous. Mon objec­tif n’est pas de faire une belle présen­ta­tion et de prêch­er la bonne parole. Je suis là pour écouter, com­pren­dre et ini­ti­er une rela­tion de travail.

Assez rapi­de­ment, je sens que mon client est récep­tif à cette approche. L’en­tre­tien se trans­forme en réu­nion de cadrage : nous échangeons sur les détails con­crets de la mise en place d’une ges­tion de pro­jet pour l’Europe.

Faire acheter plutôt que vendre

Notre propo­si­tion est un compte ren­du de cette réu­nion qui détaille les prochaines étapes mais aus­si les modal­ités pra­tiques : charge prévi­sion­nelle (la nôtre et celle de l’équipe cliente) et budget.

Mes con­cur­rents ont de leur côté mis en avant des dis­cours com­mer­ci­aux très packagés.

De notre côté au con­traire, nous axons notre offre sur la com­préhen­sion du con­texte, la per­son­nal­i­sa­tion de la démarche et la qual­ité de nos profils.

Le client hésite puis nous sélec­tionne rapidement.

Le fait que nous ayons tra­vail­lé chez les ” grands ” du con­seil il y a quelques années a indé­ni­able­ment con­tribué à la déci­sion en notre faveur : il ras­sure sur la qual­ité tech­nique de notre travail.

Comme me le con­fi­ait récem­ment un client, la plu­part des prob­lèmes qu’il a à résoudre ne sont pas tech­niques (ses équipes le font générale­ment bien) mais surtout liés à l’or­gan­i­sa­tion et au management.

De ce point de vue, une petite struc­ture, syn­onyme de réac­tiv­ité et d’e­sprit d’en­tre­prise ain­si que la cer­ti­tude de tra­vailler avec la même per­son­ne que celle vue en ren­dez-vous com­mer­cial sont des atouts. Nous gagnons ain­si le marché sans pour autant avoir été les moins chers.

Bâtir la confiance

Les pre­miers jours de mis­sion sont clés pour ren­forcer notre client dans son choix : il trou­ve nos livrables clairs et bien présen­tés. La forme (90 % d’un mes­sage) vient soulign­er le fond (10%) : une approche bureau­cra­tique de la ges­tion de pro­jets est totale­ment inadaptée.

Dicter les change­ments, priv­ilégi­er les con­nais­sances externes, trans­former le bench­mark­ing en “pourquoi n’êtes-vous pas aus­si bons que vos col­lègues”, tir­er les change­ments par la logique… sont en effet autant de moyens d’aboutir à un rejet.

Révéler les bonnes idées, ampli­fi­er l’ex­péri­ence interne par l’ex­per­tise externe, tir­er le change­ment par l’ac­tion et la for­ma­tion sont nos leviers pour inté­gr­er l’au­toré­pli­ca­tion dans le pro­jet et faciliter le change­ment de culture.

Au jour le jour, nous accom­pa­gnons les chefs de pro­jet sur les pro­jets cri­tiques. Notre con­frère indépen­dant tra­vaille ain­si à nos côtés sur un pro­jet de sys­tème d’in­for­ma­tion des ressources humaines.

Pre­miers choix et pre­miers résul­tats : le DSI Europe réus­sit à regrouper des pro­jets en inci­tant les direc­tions opéra­tionnelles à com­mencer l’har­mon­i­sa­tion de leurs procé­dures. Cela n’a guère été fait au cours des années d’ac­qui­si­tions. C’est désor­mais indis­pens­able pour attein­dre l’ob­jec­tif de réduc­tion de coûts infor­ma­tiques (25 % sur trois ans) assigné par la direc­tion générale.

Partager un même pragmatisme

Les mois qui suiv­ent voient un ren­force­ment de notre rôle, notam­ment pour défendre auprès de l’é­tat-major améri­cain les pro­jets menés en Europe. Un jour un nou­veau directeur des sys­tèmes d’in­for­ma­tion Monde est fourni par intérim par un cab­i­net améri­cain spé­cial­isé dans les restruc­tura­tions. Il trou­ve dans un pre­mier temps sus­pecte la com­plex­ité qu’il décou­vre en Europe.

Les choses pren­nent ini­tiale­ment mau­vaise tour­nure pour notre client DSI Europe.

Il organ­ise un ren­dez-vous avec son chef : à charge pour nous d’ex­pli­quer l’his­torique, ses con­séquences et de mon­tr­er où nous allons. Le stress est perceptible.

L’en­tre­tien se passe très bien : nous parta­geons le même prag­ma­tisme que le DSI Monde. Mieux, il nous demande de met­tre en place un “Pro­gram Man­age­ment Office” (PMO) mondial.

Une tâche en entraî­nant une autre, nous devenons ses hommes de con­fi­ance à lui aussi.

Passer au coaching opérationnel

Si notre périmètre évolue c’est que nous trans­férons pro­gres­sive­ment nos rôles et respon­s­abil­ités à des opéra­tionnels. Le PMO Monde est trans­mis avec suc­cès à un cadre basé à Chica­go. Nous lui don­nons les clés des procé­dures et de l’outil mis en oeu­vre, puis inlass­able­ment nous répon­dons à ses ques­tions et inter­ro­ga­tions par­fois tar­dives : les 7 heures de décalage horaire sont un élé­ment de man­age­ment à ne pas négliger.

À la même époque, le DSI Europe nous demande de par­ticiper puis d’animer la refonte des proces­sus vente, logis­tique et ser­vice après vente sur la moitié de l’ac­tiv­ité du groupe en Europe. Les enjeux sont de taille ; les opéra­tionnels assignés au pro­jet en sont par­faite­ment conscients.

Là encore, nous for­mons aux tech­niques de base de l’analyse des proces­sus et allons ensem­ble sur des sites un peu partout en Europe pour com­pren­dre ce qui se passe réelle­ment et iden­ti­fi­er des solu­tions cor­rec­tives à court et moyen terme. Notre rôle évolue de con­sul­tant ani­ma­teur à con­sul­tant coach ; nous ne par­ticipons qu’aux réu­nions où notre présence est indispensable.

Les opéra­tionnels de l’équipe pro­jet s’ap­pro­prient ain­si pleine­ment et présen­tent eux-mêmes les plans d’ac­tions à court terme (change­ments de trans­porteurs, développe­ments infor­ma­tiques, for­ma­tions…) et les ” busi­ness cas­es ” pour pro­mou­voir des change­ments de plus grande envergure.

Nous sommes bien loin du con­sul­tant ven­dant de la méthodolo­gie générique, disponible dans n’im­porte quel livre de référence du domaine. Un respon­s­able logis­tique me remer­cie très chaleureuse­ment pour mon sou­tien sans faille et me déclare n’avoir jamais vu de con­sul­tants aus­si bien inté­grés dans une entre­prise, tout en ayant con­servé leur ” mordant “.

Le coach­ing ne se lim­ite pas aux opéra­tionnels : notre client DSI Europe nous trou­ve décidé­ment bien têtus, pour nous grat­i­fi­er aus­sitôt d’un large sourire…

S’adapter à un nouveau management

La restruc­tura­tion de l’en­tre­prise se pour­suit, amenant un nou­veau Directeur financier, qui recrute bien­tôt un nou­veau DSI Monde. Ce dernier ne s’en­tend guère avec le DSI Europe. La rup­ture devient inévitable ; le DSI Europe démissionne.

Sur la recom­man­da­tion de son ex DSI Europe, le DSI Monde décide néan­moins de con­tin­uer de tra­vailler avec nous pour accom­pa­g­n­er de pro­fondes mod­i­fi­ca­tions dans l’or­gan­i­sa­tion de l’in­for­ma­tique : cer­taines fonc­tions devi­en­nent mon­di­ales de même que les serveurs infor­ma­tiques désor­mais tous regroupés dans un “data cen­ter” unique.

Asseoir une crédibilité internationale

Jusqu’i­ci, un fac­teur clé de notre suc­cès en Europe a tenu à notre aisance à inter­venir dans des cul­tures très dif­férentes (anglo-sax­onnes, alle­man­des, latines, nordiques…). Per­son­nelle­ment, me voilà main­tenant “chal­lengé” à man­ag­er une petite équipe basée dans le Sud-Est des États-Unis. Au même moment, la guerre en Irak fait rage. J’évite avec suc­cès les tra­vers du français théoricien et arro­gant et me fais recon­naître comme un inter­locu­teur fiable.

Par rap­port au début de la mis­sion, notre périmètre a été mul­ti­plié par 4 ou 5 et je fais con­nais­sance de nou­veaux col­lègues. Pour ceux qui ont égale­ment des rôles mon­di­aux, je les aide à com­pren­dre la sit­u­a­tion en Europe et à y inter­venir effi­cace­ment. Cha­cun ani­me un comité de sélec­tion et de pilotage des pro­jets. Cer­tains mem­bres sont com­muns ; les liens entre la logis­tique et le com­mer­cial sont par­ti­c­ulière­ment étroits. C’est notam­ment le cas avec le RFID (Radio Fre­quen­cy IDen­ti­fi­ca­tion) qu’ex­i­gent les clients majeurs que sont Wal­mart et le DoD (Depart­ment of Defense).

Mon équipe se ren­force d’un de mes con­sul­tants afin de men­er à bien la spé­ci­fi­ca­tion des besoins en Europe et en Amérique du Nord et les appels d’of­fres auprès des édi­teurs de solu­tions de CRM (Cus­tomer Rela­tion Man­age­ment). Notre client s’ori­ente vers des sys­tèmes ven­dus en ASP (Appli­ca­tion Ser­vice Provider) pour lesquels un abon­nement est dû par util­isa­teur et par mois.

La rai­son de ce choix est de tir­er par­tie d’un coût vari­able que l’on fait croître au fur et à mesure que l’on con­va­inc les opéra­tionnels plutôt que de faire le pari d’un investisse­ment lourd auquel tout le monde est cen­sé adhér­er dès le début. Le maître mot de notre action n’a pas changé : “con­va­in­cre par l’exemple”.

L’étendre sur les grands projets

En par­al­lèle, j’ai tra­vail­lé avec le DSI Monde sur le sché­ma directeur à cinq ans des sys­tèmes d’in­for­ma­tion. La sit­u­a­tion de l’en­tre­prise s’amélio­rant, nous envis­ageons de rem­plac­er le sys­tème d’in­for­ma­tion en Europe : il ne paraît pas raisonnable de con­tin­uer avec trente envi­ron­nements dans un ERP (Enter­prise Resource Plan­ning) vieil­lis­sant pour ne pas dire obsolète.

Les coûts de main­te­nance ont explosé à mesure que se sont rajoutés couche après couche des développe­ments spé­ci­fiques et autres pro­grammes cor­rec­tifs. Ce phénomène s’ac­com­pa­gne d’une perte des con­nais­sances due aux départs à la retraite de quelques développeurs et à une doc­u­men­ta­tion insuff­isante de la con­fig­u­ra­tion technique.

Nous en arrivons à envis­ager avec le client le rem­place­ment com­plet de cet ensem­ble. Il est temps de répon­dre effi­cace­ment aux nou­velles deman­des du marché, d’u­ni­fi­er et d’ac­célér­er les proces­sus de l’en­tre­prise. Nous sommes à l’ex­trême lim­ite de ce que peut accom­plir une poli­tique de petits pas. Seul un change­ment rad­i­cal peut amen­er des résul­tats durables.

Dans ce con­texte, je par­ticipe active­ment à la déf­i­ni­tion des busi­ness cas­es. Ce qui est impor­tant c’est la moti­va­tion et la mobil­i­sa­tion des directeurs opéra­tionnels. Nous obtenons qu’ils s’en­ga­gent sur leurs chiffres et leurs objec­tifs pour ce pro­jet. En par­al­lèle, nous menons ensem­ble avec le DSI la con­sul­ta­tion des prin­ci­paux édi­teurs d’ERP.

Nous nous posi­tion­nons sur l’analyse des besoins fonc­tion­nels et de l’as­sis­tance maîtrise d’ou­vrage, rôle que nous jouons chez d’autres clients avec succès.

Savoir rester disponible

Un remaniement a lieu au niveau de la Direc­tion générale et le pro­jet d’ERP est mis en pause jusqu’à l’ar­rivée d’un nou­veau prési­dent-directeur général. Ce dernier décide finale­ment de le reporter.

Tout au long de cette mis­sion, nous avons fait appréci­er à notre client les atouts tra­di­tion­nels des petites struc­tures : réac­tiv­ité, com­préhen­sion fine du con­texte et des enjeux, per­son­nal­i­sa­tion de la presta­tion, bref une volon­té farouche de réus­sir car pour nous chaque mis­sion est très importante.

Nous avons aus­si su dévelop­per quelques spé­ci­ficités pro­pres, générale­ment réservées aux grandes firmes : capac­ité d’a­gir à l’in­ter­na­tion­al, prise en compte de proces­sus dans leur globalité.

Enfin, nous avons su gér­er notre disponi­bil­ité pour suiv­re les deman­des de notre client chaque fois que c’é­tait néces­saire. Ce dernier point est déli­cat à pilot­er en interne mais cap­i­tal pour obtenir durable­ment la con­fi­ance de grands clients

Tous nos con­tacts chez ce client sont de véri­ta­bles références, qui nous per­me­t­tent, let­tres de recom­man­da­tion à l’ap­pui, de con­va­in­cre avec suc­cès de notre capac­ité à inter­venir sur ce type de projets.

Le marché est man­i­feste­ment favor­able à cette approche. Les grands clients ont de moins en moins besoin de méthodolo­gie ; ils l’ont en interne. Ils cherchent autre chose chez leurs con­sul­tants. Notre ambi­tion est de les satisfaire.


 

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