Gestion du risque et spatial : des usages aujourd’hui, de nouvelles perspectives pour demain

Dossier : Vie des entreprisesMagazine N°771 Janvier 2022
Par Sandrine LAFONT
Par Hélène de BOISSEZON

Hélène de Bois­se­zon, expert en obser­va­tion de la terre, et San­drine Lafont, expert en télé­com­mu­ni­ca­tions par satel­lite au CNES (Centre natio­nal d’études spa­tiales), font pour nous l’état des lieux des solu­tions satel­li­taires qui per­mettent notam­ment de mieux gérer les risques aux­quels nous sommes expo­sés. Entretien.

L’observation de la Terre permet aujourd’hui de couvrir l’intégralité du cycle de risque. Qu’en est-il ? 

Hélène de Bois­se­zon : Le pre­mier sys­tème de ges­tion des situa­tions de crise a été mis en place il y a plus de 20 ans. Il s’agit de la Charte inter­na­tio­nale Espace et catas­trophes majeures, un dis­po­si­tif créé par le CNES et l’Agence Spa­tiale Euro­péenne, qui ont très vite été rejoints par l’Agence Spa­tiale Cana­dienne. L’idée de départ a été de mettre à dis­po­si­tion gra­tui­te­ment et dans des délais les plus rapides pos­sibles les moyens d’observation de la Terre de ces trois enti­tés, dans des situa­tions de crises et de catas­trophes natu­relles majeures uni­que­ment. Les guerres civiles et les conflits armés étant bien évi­dem­ment exclus. Aujourd’hui, ce dis­po­si­tif compte 18 membres, soit la grande majo­ri­té des agences spa­tiales mon­diales en obser­va­tion de la terre. Gra­tui­te­ment et sur la base du « best effort », ils four­nissent des images satel­lites tra­duites en car­to­gra­phies rapides (quelques heures après récep­tion de l’image) des zones tou­chées par des catas­trophes ou des crises de grande ampleur afin d’avoir rapi­de­ment un état des lieux à par­tir duquel les secours et les auto­ri­tés pour­ront orga­ni­ser et gérer les situa­tions de crise. 

Depuis 2012, nous dis­po­sons aus­si du ser­vice euro­péen Coper­ni­cus Emer­gen­cy Mana­ge­ment Ser­vice (CEMS) qui vient com­plé­ter la Charte, avec un péri­mètre d’action plus impor­tant, grâce à un bud­get euro­péen consé­quent et des contrats avec des indus­triels. CEMS active et pro­gramme en urgence les satel­lites de manière coor­don­née et mutua­li­sée avec le dis­po­si­tif pion­nier en cas de besoin, et pro­pose un port­fo­lio de pro­duits car­to­gra­phiques stan­dar­di­sés. Ce pro­gramme euro­péen vient indus­tria­li­ser le recours aux images et don­nées spa­tiales dans le cadre d’une catas­trophe ou d’une crise majeure en intro­dui­sant des stan­dards de ser­vice éle­vés aux indus­triels en termes de qua­li­té, de délais, conte­nu en information… 

Ces deux dis­po­si­tifs sont exclu­si­ve­ment uti­li­sés par un uti­li­sa­teur unique par pays. En France, ce point focal est le Centre opé­ra­tion­nel de ges­tion inter­mi­nis­té­rielle de crise (COGIC) qui relève du minis­tère de l’Intérieur. Dans le cas de CEMS, les acti­va­tions sont vali­dées par l’Emergency Res­ponse Crises Cen­ter au niveau européen.

Dans la ges­tion du risque de manière glo­bale, d’autres ser­vices CEMS peuvent aus­si être utilisés :

  • Le « Risk and Reco­ve­ry Map­ping » : les images issues de l’observation de la Terre dans les semaines, voire les mois, qui suivent une crise sont une source d’informations per­ti­nentes pour la recons­truc­tion plus rési­liente d’un ter­ri­toire sinis­tré afin de réduire les risques et dimi­nuer le niveau de vulnérabilité ;
  • Les « Ear­ly War­ning Ser­vices » : des ser­vices d’alerte et de sur­veillance conti­nue pour anti­ci­per les risques d’incendie des forêts, d’inondations, de séche­resse… Quand l’occurrence d’un risque se pré­cise, une alerte est émise au niveau euro­péen et/ou mondiale.

Grâce à Coper­ni­cus, l’Europe dis­pose d’outils et de ser­vices qui couvrent l’ensemble du cycle du risque, de la pré­ven­tion à la ges­tion opé­ra­tion­nelle des catas­trophes. Des efforts sont tou­te­fois encore néces­saires pour leur faire gagner en visi­bi­li­té et pour que les acteurs ter­ri­to­riaux s’en sai­sissent pleinement.

Comment cela se décline-t-il au niveau des télécommunications ? 

San­drine Lafont : Parce qu’elles ne dépendent pas d’infrastructures au sol, le prin­ci­pal avan­tage des télé­com­mu­ni­ca­tions spa­tiales est leur acces­si­bi­li­té rapide et en tout lieu. En zone de risque ou sinis­trée, même si les moyens ter­restres sont cou­pés, détruits ou ne sont plus opé­ra­tion­nels, ou sont tout sim­ple­ment satu­rés, elles per­mettent aux équipes de secours sur le ter­rain de com­mu­ni­quer entre elles et avec leurs centres de commandement.

En France, trois quarts des ser­vices dépar­te­men­taux d’incendie et de secours sont équi­pés d’un moyen satel­li­taire. Si les équipes de secours uti­li­saient jusque-là essen­tiel­le­ment la voix, le déve­lop­pe­ment des nou­velles tech­no­lo­gies leur per­met d’accéder à des sys­tèmes plus com­plets et des appli­ca­tions métiers, avec envoi de pho­tos, de vidéos et d’autres infor­ma­tions et don­nées du ter­rain vers le centre de com­man­de­ment. Les solu­tions satel­li­taires per­mettent et accom­pagnent cette évo­lu­tion des usages.

La loca­li­sa­tion est un autre apport majeur du spa­tial. Elle per­met de don­ner la posi­tion des hommes et des moyens. Elle s’appuie notam­ment sur la constel­la­tion euro­péenne Gali­leo, qui atteint aujourd’hui sa pleine maturité. 

Il ne faut plus par­ler de « GPS » mais de GNSS ou Glo­bal Navi­ga­tion Satel­lite Sys­tem, qui englobe Gali­leo et les autres sys­tèmes satel­lites mon­diaux. Dans un télé­phone ou un objet connec­té, le récep­teur GNSS com­bine tous les signaux. Pour un usa­ger cri­tique, le signal sécu­ri­sé Gali­leo per­met de garan­tir l’autonomie stra­té­gique de l’Europe pour cette fonc­tion de localisation.

Dans cette continuité, qu’est-ce-que GovSatCom ?

S.L : Actuel­le­ment, chaque pays euro­péen se base sur des moyens de télé­com­mu­ni­ca­tions satel­li­taires com­mer­ciaux, et sur des satel­lites gou­ver­ne­men­taux quand il en dis­pose. Gov­Sat­Com est une pre­mière étape euro­péenne, afin d’avoir un moyen com­mu­nau­taire de com­mu­ni­ca­tion à des­ti­na­tion de l’ensemble des acteurs gou­ver­ne­men­taux éta­tiques et euro­péens, et des orga­nismes pri­vés d’importance vitale (éner­gie, eau…), par par­tage des moyens satel­li­taires com­mer­ciaux et natio­naux exis­tants. Cette volon­té poli­tique euro­péenne est notam­ment por­tée par le com­mis­saire Thier­ry Bre­ton, avec pour objec­tif de mettre en place dans une deuxième étape une constel­la­tion euro­péenne sou­ve­raine de satel­lites pour cou­vrir les besoins avan­cés de com­mu­ni­ca­tion gou­ver­ne­men­tale dans des situa­tions de crise ou de catas­trophes majeures, et pour la ges­tion de la sécu­ri­té de l’Europe comme la sur­veillance de la sécu­ri­té aux fron­tières ou la com­mu­ni­ca­tion avec les ambassades.

Sur la question du climat et la gestion du risque climatique, comment évolue le rôle du spatial ? 

H. B. : Toutes les modé­li­sa­tions et pré­vi­sions météo­ro­lo­giques s’appuient en grande par­tie sur des obser­va­tions satel­li­taires. Depuis déjà plu­sieurs décen­nies, le satel­li­taire per­met d’anticiper les risques cli­ma­tiques avec des Variables Cli­ma­tiques Essen­tielles (ECV) mesu­rées à 60 % à par­tir d’images satel­li­taires qui per­mettent non seule­ment d’anticiper les risques, mais aus­si de faire des pro­jec­tions cli­ma­to­lo­giques sur le long terme. Ces der­nières sont utiles aus­si bien dans une démarche d’adaptation au chan­ge­ment cli­ma­tique que d’atténuation des effets de ce chan­ge­ment à un niveau local. 

Pour affi­ner notre connais­sance de l’impact du chan­ge­ment cli­ma­tique, nous capi­ta­li­sons sur les images four­nies par les satel­lites Sen­ti­nels (S1, S2 sur­tout) de Coper­ni­cus et Pléiades. Ces images per­mettent de mieux appré­hen­der et com­prendre les vul­né­ra­bi­li­tés des ter­ri­toires, notam­ment lors d’événements extrêmes (inon­da­tion, feux de forêt…). L’analyse des impacts per­met de défi­nir avec plus de per­ti­nence les mesures néces­saires pour atté­nuer ces vul­né­ra­bi­li­tés, réduire le risque et s’adapter avec plus d’efficacité aux phé­no­mènes cli­ma­tiques qui vont s’amplifier dans les décen­nies à venir. 

S’il existe déjà des sys­tèmes opé­ra­tion­nels pour la ges­tion de l’urgence, des efforts doivent encore être four­nis pour les ser­vices cli­ma­tiques au niveau local. Dans ce cadre, le CNES est à l’initiative de la créa­tion du Space for Cli­mate Obser­va­to­ry (SCO) en 2018 qui regroupe une tren­taine d’agences spa­tiales et orga­ni­sa­tions onu­siennes et dont la voca­tion est d’apporter des solu­tions à la pro­blé­ma­tique de l’adaptation au chan­ge­ment climatique. 

L’idée du SCO est de mettre en place des démons­tra­teurs de ser­vices cli­ma­tiques des­ti­nés aux déci­deurs sur les ter­ri­toires et qui intègrent l’observation de la Terre. Le SCO tra­vaille ain­si sur une palette d’outils d’aide à la déci­sion sur des sujets divers comme la ges­tion du trait de côte, l’impact des inon­da­tions extrêmes, la bio­di­ver­si­té, les sécheresses… 

Le point com­mun de ces outils est l’utilisation des images satel­lites pour appor­ter aux déci­deurs une visi­bi­li­té et une connais­sance plus fine du risque cli­ma­tique sur leur ter­ri­toire, de son impact et de son évo­lu­tion afin qu’ils puissent opti­mi­ser leur prise de décision. 

Tou­te­fois si le spa­tial est une com­po­sante impor­tante de la lutte contre le chan­ge­ment cli­ma­tique, pour un meilleur impact, les infor­ma­tions qu’il apporte doivent être recou­pées avec celles qui viennent du ter­rain, mais aus­si avec des exper­tises et des ana­lyses com­plé­men­taires (éco­no­miques, sociologiques…).


En bref

Envie d’en savoir plus ? Le CNES est à la dis­po­si­tion de tous les pro­fes­sion­nels fran­çais pour les conseiller sur les usages satel­li­taires, au ser­vice du déve­lop­pe­ment de leurs mis­sions et acti­vi­tés. Connectbycnes.fr

Poster un commentaire