Franck Javary (X86), polytechnicien et évêque

Franck Javary (X86), De l’X en tant que chemin du Seigneur

Dossier : Trajectoires | Magazine N°807 Septembre 2025
Par Jérôme BASTIANELLI (X90)


« Il me semble que, si l’on ne peut pas prouver par a + b l’existence de Dieu, l’esprit scientifique permet de saisir la volonté créatrice qui existe derrière l’ordonnancement du monde. Certes, Dieu n’est pas perceptible par un télescope, mais pour autant la foi n’a rien d’irrationnel. » Ainsi s’exprime Franck Javary, X86, ordonné évêque de Châlons-en-Champagne le 1er mars 2025, lorsqu’on l’interroge sur la convergence possible entre ses études d’ingénieur et son sacerdoce. Et il ajoute, souriant et plus pragmatique : « En outre, quand l’imprimante du presbytère est en panne ou quand le chauffage de l’église ne fonctionne plus, c’est vers l’ancien ingénieur que l’on se tourne tout d’abord. » 

Celui qui est aujourd’hui le gardien des âmes d’un diocèse plutôt rural avait grandi en région parisienne, entre Saint-Cloud et Garches. Deuxième enfant d’une fratrie de quatre, élevé dans une famille « catholique mais non militante » (le père est centralien, la mère s’occupe d’orientation scolaire), il fait ses études chez les Frères des écoles chrétiennes, à Passy-Buzenval. La foi, déjà, est là, mais l’adolescent a aussi d’autres centres d’intérêt plus matériels : le football et l’automobile.

Bon en mathématiques, Franck choisit naturellement de poursuivre ses études en classes préparatoires, à Ginette, et il intègre Polytechnique en 3/2. Il garde d’excellents souvenirs de sa scolarité et de son service militaire effectué dans la marine, embarqué sur un chasseur de mines. « Le papillon était sorti de sa chrysalide ! J’étais très actif – sauf dans le domaine des études. J’ai découvert le scoutisme, fait du catéchisme auprès des enfants de Palaiseau et j’ai même été kessier, au sein de la Kestard-Cravate ! »

Une vocation progressive

Jeune diplômé, il fréquente des groupes de recherches spirituelles, mais ne se sent pas encore prêt à « répondre à l’appel ». Il entre donc aux Ponts et Chaussées, tout en étant parallèlement recruté, par goût pour les voitures, chez Peugeot. Il sera tout d’abord responsable qualité au sein d’une usine implantée à Coventry, puis consacrera une année à un stage ouvrier sur les chaînes de production de Poissy, avant de rejoindre le siège de l’entreprise, avenue de la Grande-Armée, où il sera chargé de réfléchir au développement produit du modèle 306.

Mais, pendant qu’il s’occupe d’automobiles, c’est un cheminement plus intérieur qui s’opère en lui : après trois ans de bons et loyaux services pour la marque au lion, il démissionne pour entrer au séminaire. Le voilà parti pour six années d’études théologiques à l’Institut catholique de Paris – il y croisera d’ailleurs plusieurs autres polytechniciens. « Ce furent des années intenses, exigeantes, intellectuelle­ment très fécondes. On pousse l’intelligence de la foi dans ses derniers retranchements. Un séminariste sur deux abandonne en cours de route », déclare-t-il.


“La consommation
et le progrès technique ne suffisent pas
à être heureux.”

Des Hauts-de-Seine à Châlons

Ordonné prêtre en 1999, il a le sentiment « d’être à sa place » et enchaîne les affectations dans les Hauts-de-Seine. À Boulogne-Billancourt, il est aumônier des jeunes, puis curé à Issy-les-Moulineaux avant de l’être à la cathédrale de Nanterre. On le retrouve ensuite à Bagneux, où il s’occupe notamment de migrants, en les aidant dans leurs démarches administratives ou professionnelles. « J’ai découvert la foi des gens qui traversent de telles épreuves, c’est bouleversant. » Et puis, un jour de novembre 2024, le nonce apostolique, représentant du pape en France, le convoque à un entretien. On lui propose de devenir évêque de Châlons-en-Champagne. Il accepte et quitte donc la ville pour la campagne.

Et même Rome !

Son quotidien, désormais, c’est de sillonner les routes – en Peugeot 308 – pour visiter les différentes paroisses de son diocèse et d’animer l’équipe épiscopale. Là encore, il pense que sa formation d’ingénieur lui est utile : « C’est un mode de pensée, on cherche des solutions quand un problème se pose, on organise les choses avec rationalité », témoigne-t-il.

Ses satisfactions sont nombreuses : il se réjouit par exemple de voir la démultiplication des demandes de baptême chez les adultes, « alors que l’image publique de l’Église n’est pas toujours excellente. Mais beaucoup de gens se rendent compte que, dans nos sociétés occidentales, la consommation et le progrès technique ne suffisent pas à être heureux : la religion peut leur apporter d’autres réponses. »

En septembre, il sera convié au Vatican, avec tous les nouveaux évêques de l’année, qui rencontreront le pape Léon XIV pour la première fois. Une nouvelle démonstration du fait que tous les chemins, même ceux de Polytechnique, peuvent mener à Rome. 

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