Le conseil d’administration et l’équipe de France Digitale.

France Digitale : « Jouer collectif pour se faire entendre »

Dossier : Vie des entreprises - Transformation numérique et intelligence artificielleMagazine N°805 Mai 2025
Par Alexandre LABARRIÈRE

Fédé­rer pour faire caisse de réso­nance. La mis­sion de France Digi­tale est ambi­tieuse : faire peser la France dans la balance mondiale.

Quelle est la mission première de France Digitale ?

France Digi­tale est une asso­cia­tion loi 1901. Elle est née il y a 13 ans à un moment par­ti­cu­lier pour l’écosystème des start-up et de l’innovation. À l’époque, le Mou­ve­ment des Pigeons regrou­pait des entre­pre­neurs et des inves­tis­seurs en désac­cord avec la poli­tique fis­cale envi­sa­gée par Fran­çois Hol­lande. C’est dans ce contexte de mou­ve­ment contes­ta­taire que France Digi­tale a émer­gé, avec pour objec­tif de fédé­rer cet éco­sys­tème, en lui don­nant une voix. À l’époque, on par­lait encore peu de start-up et d’investissement dans le numé­rique ou dans la tech en France – voire en Europe – ce qui a d’emblée posé l’originalité et l’inédit de notre créa­tion. Depuis, France Digi­tale est deve­nue la plus grande asso­cia­tion euro­péenne, avec plus de 2 000 membres qui couvrent tous les besoins de l’écosystème, de l’incubation (via les incu­ba­teurs notam­ment des grandes écoles) jusqu’à la sor­tie (revente, fusion-acqui­si­tion, intro­duc­tion en Bourse…).

La seule condi­tion pour être membre et avoir un droit de vote est d’être une entre­prise fran­çaise, ce qui ne nous empêche en rien de tra­vailler avec des pro­fes­sion­nels euro­péens. Eux n’ont par contre pas de fonc­tion de gou­ver­nance dans l’association.

Le statut associatif : une force pour France Digitale ? 

Le modèle asso­cia­tif com­bi­né à notre modèle de gou­ver­nance pari­taire est une double force. Chez France Digi­tale, inves­tis­seurs et entre­pre­neurs sont au cœur des déci­sions à éga­li­té, avec un conseil d’administration renou­ve­lé par­tiel­le­ment tous les ans. Cela apporte une vraie vita­li­té démo­cra­tique et une capa­ci­té à s’adapter aux enjeux en per­pé­tuel mou­ve­ment. C’est éga­le­ment un gage d’indépendance, sans sub­ven­tion de l’État, qui nous confère une vraie liber­té de ton et une large capa­ci­té d’agir.

« Lobbying », un terme péjoratif ?

On peut com­plè­te­ment par­ler de lob­bying. France Digi­tale se voit comme un lob­by d’éducation. Il y a encore un vrai besoin d’acculturation des déci­deurs publics et voire même par­fois, des déci­deurs éco­no­miques à ce qu’est l’innovation. Pour­quoi est-il impor­tant de la sou­te­nir ? Pour­quoi l’innovation néces­site-t-elle par­fois autant d’années de sou­tien ? Notre rôle est d’expliquer et de faire la péda­go­gie autour de tous les enjeux de notre éco­sys­tème. C’est dans ce sens que nous ren­con­trons régu­liè­re­ment des déci­deurs publics et des poli­tiques : leur faire remon­ter les réa­li­tés du ter­rain. Nous l’avons récem­ment fait autour de la loi de finances du gou­ver­ne­ment de Fran­çois Bay­rou. Tout l’intérêt de notre tra­vail est de mon­trer les effets concrets d’une déci­sion poli­ti­co-éco­no­mique in situ. Nous le fai­sons en France, mais aus­si à Bruxelles. Car de nom­breuses petites entre­prises n’ont pas les réseaux ou la struc­ture adé­quate pour faire remon­ter ces sujets impor­tants en haut lieu.

Membres comme gouvernance : les profils de France Digitale sont extrêmement variés…

Le plus petit déno­mi­na­teur com­mun entre tous, c’est l’innovation. Pour être membre de France Digi­tale, il faut avoir l’envie de trans­for­mer un sec­teur, des pro­cess, ou tout sim­ple­ment de vou­loir créer une nou­velle façon de pro­duire et de consom­mer. Nous nous voyons comme une asso­cia­tion géné­ra­liste, aux membres très diver­si­fiés, tant dans leur acti­vi­té que dans leur taille. 

Devant la grande diver­si­té des enjeux et des thé­ma­tiques, France Digi­tale tient à une gou­ver­nance par un board le plus com­plet pos­sible. Il doit être capable de repré­sen­ter tous les sujets du moment. 

Cette diversité nécessaire pour « créer des ponts » ?

Être une pas­se­relle, c’est vrai­ment notre métier. La diver­si­té, en plus de don­ner du poids dans nos actions de lob­by d’éducation, apporte de la cré­di­bi­li­té à la fédé­ra­tion pro­fes­sion­nelle. France Digi­tale a pour voca­tion de réunir les gens et de créer des réseaux. Cela s’opère autour d’événements : échanges, net­wor­king, match­ma­king, connexions ciblées entre start-up et grands groupes… Ces for­mats sont plé­bis­ci­tés car ils connectent des entre­pre­neurs en recherche de fonds avec des inves­tis­seurs ou des par­te­naires en mesure de concrè­te­ment leur appor­ter une aide. C’est ce par­tage, cette entraide entre pairs qui fait mon­ter en com­pé­tences tout l’écosystème.

“La diversité, en plus de donner du poids dans nos actions de lobby d’éducation, apporte de la crédibilité à la fédération professionnelle.”

Rester français pour peser à l’échelle globale, c’est très ambitieux… 

C’est ambi­tieux et sti­mu­lant. L’ambition est un mot que nous n’avons pas peur d’employer chez France Digi­tale. Au contraire, nous sou­hai­tons même décu­pler l’ambition. Certes, notre équipe est réduite com­pa­rée aux lob­bies amé­ri­cains, ou aux géants asia­tiques (et notam­ment chi­nois). Pour être com­pé­ti­tifs et cré­dibles, cela implique d’anticiper au maxi­mum. Ce qui fait notre force, c’est d’avoir un temps d’avance : essayer de repé­rer le plus pos­sible les signaux faibles, les textes sur les­quels on va devoir se posi­tion­ner assez tôt pour tra­vailler sur le fond et ain­si être iden­ti­fiés comme des experts. Cela s’est vu sur le sujet de l’IA.

Nous avons été les pre­miers à nous posi­tion­ner sur le texte euro­péen AI Act. Très tôt, nous avons aler­té l’Europe sur les consé­quences qu’allaient avoir la régle­men­ta­tion et ses effets sur les start-up. La France est recon­nue dans le domaine de la Tech, notam­ment au tra­vers de la marque French Tech. Ce qui lui donne une force sup­plé­men­taire dans ce domaine, et fait d’elle certes un David contre Goliath… mais un David avi­sé et réactif.

Objectif : permettre aux Européens de reprendre des parts de marché aux géants américains et asiatiques, ou plus simplement d’assurer à l’Europe de ne pas en perdre ?

Nous avons ces deux com­pé­tences, qui varient en fonc­tion des sujets. Sur des dos­siers d’abus de posi­tion domi­nante, France Digi­tale porte la voix des acteurs euro­péens pour reprendre des parts de mar­ché et per­mettre d’exister dans des domaines ultra domi­nés par cer­tains, les Amé­ri­cains notam­ment. Sur des sujets d’avenir, comme l’IA, le quan­tique, cer­taines thé­ma­tiques d’industrie, de pointe ou de bio­tech, l’enjeu est d’assurer que l’Europe soit à la pointe et puisse pro­té­ger son éco­sys­tème en nous assu­rant une place de cham­pion de taille mondiale.

L’Europe, un frein ou un moteur ?

Nous ren­con­trons encore beau­coup trop de bar­rières à Bruxelles. C’est un véri­table mil­le­feuille de 27 régle­men­ta­tions natio­nales, conte­nues tant bien que mal dans une régle­men­ta­tion euro­péenne sou­vent inter­pré­tée dif­fé­rem­ment dans chaque pays membre. C’est un frein au fait de faire émer­ger une Europe unie, notam­ment de la Tech, alors même que nous sommes le pre­mier mar­ché en termes de consom­ma­teurs au monde, devant les États-Unis et la Chine.

Nous le reven­di­quons depuis long­temps, et les récents rap­ports d’Enrico Let­ta ou de Mario Dra­ghi l’ont vrai­ment poin­té. France Digi­tale se réjouit de l’existence de ces rap­ports qui vont dans le sens d’un 28e régime euro­péen, c’est-à-dire un régime unique euro­péen. Cela per­met­trait – sur cer­taines thé­ma­tiques – aux entre­prises de n’avoir à se confor­mer qu’à ce régime pour accé­lé­rer leur inter­na­tio­na­li­sa­tion. Concer­nant les capi­taux euro­péens, on attend éga­le­ment des annonces lors du pro­chain Capi­tal Mar­ket Union (Union des mar­chés de capi­taux). Jusqu’à aujourd’hui, on le per­ce­vait comme un ser­pent de mer, mais il sem­ble­rait qu’une réelle volon­té de pas­ser à l’action se pro­file concer­nant à la fois cette union de mar­chés et ce 28e régime. 

“Il est illusoire de se dire que l’Europe ne doit pas avoir une vraie politique proactive pour la souveraineté.”

Nous allons éga­le­ment obser­ver de très près le pro­jet de « Buy Euro­pean » qu’Ursula von der Leyen semble réamor­cer. Les autres puis­sances le font, en réser­vant une par­tie de leurs com­mandes à leurs socié­tés. Il est illu­soire de se dire que l’Europe ne doit pas aus­si avoir une vraie poli­tique proac­tive pour la sou­ve­rai­ne­té et pour l’achat de pro­duits et d’innovations européennes.

Le fait d’être apolitique vous confère-t-il davantage de portée ?

Être et res­ter apo­li­tique est une des valeurs car­di­nales de l’association. Cela nous per­met de par­ler avec tout le monde et d’être droit dans notre volon­té d’éducation. Nous sommes trans­pa­rents sur nos finan­ce­ments et notre gou­ver­nance, afin de faire com­prendre les enjeux et les besoins de notre éco­sys­tème à tous les acteurs. Cer­tains lob­bies de la tech dans le monde sont poli­ti­sés ou finan­cés par les GAFAM.

Quels sont selon vous les grands enjeux à venir ?

Le sujet de l’IA va encore nous pré­oc­cu­per pen­dant quelque temps. Le récent IA Action Sum­mit (Som­met pour l’action sur l’intelligence arti­fi­cielle) de février a per­mis de réflé­chir et d’agir autour de l’adoption de l’IA dans les entre­prises de toutes les tailles.

Nous allons éga­le­ment nous concen­trer sur notre France Digi­tale Day (FDDAY) à la ren­trée de sep­tembre au musée des arts forains à Paris. L’objectif étant de don­ner en une jour­née la quin­tes­sence de nos actions sur toute l’année. Elle met­tra en scène des ren­contres d’investisseurs, des échanges et des ren­contres entre start-up et grands groupes, des ren­contres avec des déci­deurs et des ministres pour mettre en avant la diver­si­té de l’écosystème et les pro­blèmes qui en découlent. Depuis 2 ans, nous invi­tons toutes les autres asso­cia­tions sec­to­rielles à tenir une par­tie de la pro­gram­ma­tion, tou­jours dans le but de fédé­rer le plus lar­ge­ment tous les acteurs.

“Les enjeux de transition écologique liés à la Tech sont omniprésents. L’Europe et la France ont une vraie carte à jouer.”

Nous allons tout au long de l’année énor­mé­ment tra­vailler et aler­ter sur les sujets de défense et de cyber­sé­cu­ri­té, qui ne vont avoir de cesse de s’intensifier dans le contexte géo­po­li­tique actuel.

Les enjeux de tran­si­tion éco­lo­gique liés à la Tech seront éga­le­ment omni­pré­sents, et France Digi­tale est per­sua­dée que l’Europe et la France y ont une vraie carte à jouer.

Le FDDAY, événement phare annuel de l’association.
Le FDDAY, évé­ne­ment phare annuel de l’association. © France Digitale

Accompagner l’entrepreneuriat féminin, une autre priorité de France Digitale ?

Depuis trois ans, le France Digi­tale Tour 100 % fémi­nin vient com­plé­ter notre tour de France « clas­sique ». Nous l’avons mis en place afin d’accélérer le finan­ce­ment des pro­jets por­tés par les femmes. Le constat est clair : mal­gré les évo­lu­tions de men­ta­li­té, il y a de grosses attentes autour de ce for­mat. On observe, dans notre éco­sys­tème, encore trop de dif­fé­rences de finan­ce­ment entre des pro­jets por­tés par les femmes et por­tés par les hommes. Le FDTour 100 % fémi­nin est un temps fort de com­mu­ni­ca­tion mêlant entre­pre­neures et inves­tis­seuses, qui donne un coup de pro­jec­teur sur des pro­jets variés et qua­li­ta­tifs. L’innovation n’est pas une ques­tion de genre.

FDTour 100 % Féminin.
FDTour 100 % Fémi­nin. © David Arrous

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