France Digitale : « Jouer collectif pour se faire entendre »

Fédérer pour faire caisse de résonance. La mission de France Digitale est ambitieuse : faire peser la France dans la balance mondiale.
Quelle est la mission première de France Digitale ?
France Digitale est une association loi 1901. Elle est née il y a 13 ans à un moment particulier pour l’écosystème des start-up et de l’innovation. À l’époque, le Mouvement des Pigeons regroupait des entrepreneurs et des investisseurs en désaccord avec la politique fiscale envisagée par François Hollande. C’est dans ce contexte de mouvement contestataire que France Digitale a émergé, avec pour objectif de fédérer cet écosystème, en lui donnant une voix. À l’époque, on parlait encore peu de start-up et d’investissement dans le numérique ou dans la tech en France – voire en Europe – ce qui a d’emblée posé l’originalité et l’inédit de notre création. Depuis, France Digitale est devenue la plus grande association européenne, avec plus de 2 000 membres qui couvrent tous les besoins de l’écosystème, de l’incubation (via les incubateurs notamment des grandes écoles) jusqu’à la sortie (revente, fusion-acquisition, introduction en Bourse…).
La seule condition pour être membre et avoir un droit de vote est d’être une entreprise française, ce qui ne nous empêche en rien de travailler avec des professionnels européens. Eux n’ont par contre pas de fonction de gouvernance dans l’association.
Le statut associatif : une force pour France Digitale ?
Le modèle associatif combiné à notre modèle de gouvernance paritaire est une double force. Chez France Digitale, investisseurs et entrepreneurs sont au cœur des décisions à égalité, avec un conseil d’administration renouvelé partiellement tous les ans. Cela apporte une vraie vitalité démocratique et une capacité à s’adapter aux enjeux en perpétuel mouvement. C’est également un gage d’indépendance, sans subvention de l’État, qui nous confère une vraie liberté de ton et une large capacité d’agir.
« Lobbying », un terme péjoratif ?
On peut complètement parler de lobbying. France Digitale se voit comme un lobby d’éducation. Il y a encore un vrai besoin d’acculturation des décideurs publics et voire même parfois, des décideurs économiques à ce qu’est l’innovation. Pourquoi est-il important de la soutenir ? Pourquoi l’innovation nécessite-t-elle parfois autant d’années de soutien ? Notre rôle est d’expliquer et de faire la pédagogie autour de tous les enjeux de notre écosystème. C’est dans ce sens que nous rencontrons régulièrement des décideurs publics et des politiques : leur faire remonter les réalités du terrain. Nous l’avons récemment fait autour de la loi de finances du gouvernement de François Bayrou. Tout l’intérêt de notre travail est de montrer les effets concrets d’une décision politico-économique in situ. Nous le faisons en France, mais aussi à Bruxelles. Car de nombreuses petites entreprises n’ont pas les réseaux ou la structure adéquate pour faire remonter ces sujets importants en haut lieu.
Membres comme gouvernance : les profils de France Digitale sont extrêmement variés…
Le plus petit dénominateur commun entre tous, c’est l’innovation. Pour être membre de France Digitale, il faut avoir l’envie de transformer un secteur, des process, ou tout simplement de vouloir créer une nouvelle façon de produire et de consommer. Nous nous voyons comme une association généraliste, aux membres très diversifiés, tant dans leur activité que dans leur taille.
Devant la grande diversité des enjeux et des thématiques, France Digitale tient à une gouvernance par un board le plus complet possible. Il doit être capable de représenter tous les sujets du moment.
Cette diversité nécessaire pour « créer des ponts » ?
Être une passerelle, c’est vraiment notre métier. La diversité, en plus de donner du poids dans nos actions de lobby d’éducation, apporte de la crédibilité à la fédération professionnelle. France Digitale a pour vocation de réunir les gens et de créer des réseaux. Cela s’opère autour d’événements : échanges, networking, matchmaking, connexions ciblées entre start-up et grands groupes… Ces formats sont plébiscités car ils connectent des entrepreneurs en recherche de fonds avec des investisseurs ou des partenaires en mesure de concrètement leur apporter une aide. C’est ce partage, cette entraide entre pairs qui fait monter en compétences tout l’écosystème.
“La diversité, en plus de donner du poids dans nos actions de lobby d’éducation, apporte de la crédibilité à la fédération professionnelle.”
Rester français pour peser à l’échelle globale, c’est très ambitieux…
C’est ambitieux et stimulant. L’ambition est un mot que nous n’avons pas peur d’employer chez France Digitale. Au contraire, nous souhaitons même décupler l’ambition. Certes, notre équipe est réduite comparée aux lobbies américains, ou aux géants asiatiques (et notamment chinois). Pour être compétitifs et crédibles, cela implique d’anticiper au maximum. Ce qui fait notre force, c’est d’avoir un temps d’avance : essayer de repérer le plus possible les signaux faibles, les textes sur lesquels on va devoir se positionner assez tôt pour travailler sur le fond et ainsi être identifiés comme des experts. Cela s’est vu sur le sujet de l’IA.
Nous avons été les premiers à nous positionner sur le texte européen AI Act. Très tôt, nous avons alerté l’Europe sur les conséquences qu’allaient avoir la réglementation et ses effets sur les start-up. La France est reconnue dans le domaine de la Tech, notamment au travers de la marque French Tech. Ce qui lui donne une force supplémentaire dans ce domaine, et fait d’elle certes un David contre Goliath… mais un David avisé et réactif.
Objectif : permettre aux Européens de reprendre des parts de marché aux géants américains et asiatiques, ou plus simplement d’assurer à l’Europe de ne pas en perdre ?
Nous avons ces deux compétences, qui varient en fonction des sujets. Sur des dossiers d’abus de position dominante, France Digitale porte la voix des acteurs européens pour reprendre des parts de marché et permettre d’exister dans des domaines ultra dominés par certains, les Américains notamment. Sur des sujets d’avenir, comme l’IA, le quantique, certaines thématiques d’industrie, de pointe ou de biotech, l’enjeu est d’assurer que l’Europe soit à la pointe et puisse protéger son écosystème en nous assurant une place de champion de taille mondiale.
L’Europe, un frein ou un moteur ?
Nous rencontrons encore beaucoup trop de barrières à Bruxelles. C’est un véritable millefeuille de 27 réglementations nationales, contenues tant bien que mal dans une réglementation européenne souvent interprétée différemment dans chaque pays membre. C’est un frein au fait de faire émerger une Europe unie, notamment de la Tech, alors même que nous sommes le premier marché en termes de consommateurs au monde, devant les États-Unis et la Chine.
Nous le revendiquons depuis longtemps, et les récents rapports d’Enrico Letta ou de Mario Draghi l’ont vraiment pointé. France Digitale se réjouit de l’existence de ces rapports qui vont dans le sens d’un 28e régime européen, c’est-à-dire un régime unique européen. Cela permettrait – sur certaines thématiques – aux entreprises de n’avoir à se conformer qu’à ce régime pour accélérer leur internationalisation. Concernant les capitaux européens, on attend également des annonces lors du prochain Capital Market Union (Union des marchés de capitaux). Jusqu’à aujourd’hui, on le percevait comme un serpent de mer, mais il semblerait qu’une réelle volonté de passer à l’action se profile concernant à la fois cette union de marchés et ce 28e régime.
“Il est illusoire de se dire que l’Europe ne doit pas avoir une vraie politique proactive pour la souveraineté.”
Nous allons également observer de très près le projet de « Buy European » qu’Ursula von der Leyen semble réamorcer. Les autres puissances le font, en réservant une partie de leurs commandes à leurs sociétés. Il est illusoire de se dire que l’Europe ne doit pas aussi avoir une vraie politique proactive pour la souveraineté et pour l’achat de produits et d’innovations européennes.
Le fait d’être apolitique vous confère-t-il davantage de portée ?
Être et rester apolitique est une des valeurs cardinales de l’association. Cela nous permet de parler avec tout le monde et d’être droit dans notre volonté d’éducation. Nous sommes transparents sur nos financements et notre gouvernance, afin de faire comprendre les enjeux et les besoins de notre écosystème à tous les acteurs. Certains lobbies de la tech dans le monde sont politisés ou financés par les GAFAM.
Quels sont selon vous les grands enjeux à venir ?
Le sujet de l’IA va encore nous préoccuper pendant quelque temps. Le récent IA Action Summit (Sommet pour l’action sur l’intelligence artificielle) de février a permis de réfléchir et d’agir autour de l’adoption de l’IA dans les entreprises de toutes les tailles.
Nous allons également nous concentrer sur notre France Digitale Day (FDDAY) à la rentrée de septembre au musée des arts forains à Paris. L’objectif étant de donner en une journée la quintessence de nos actions sur toute l’année. Elle mettra en scène des rencontres d’investisseurs, des échanges et des rencontres entre start-up et grands groupes, des rencontres avec des décideurs et des ministres pour mettre en avant la diversité de l’écosystème et les problèmes qui en découlent. Depuis 2 ans, nous invitons toutes les autres associations sectorielles à tenir une partie de la programmation, toujours dans le but de fédérer le plus largement tous les acteurs.
“Les enjeux de transition écologique liés à la Tech sont omniprésents. L’Europe et la France ont une vraie carte à jouer.”
Nous allons tout au long de l’année énormément travailler et alerter sur les sujets de défense et de cybersécurité, qui ne vont avoir de cesse de s’intensifier dans le contexte géopolitique actuel.
Les enjeux de transition écologique liés à la Tech seront également omniprésents, et France Digitale est persuadée que l’Europe et la France y ont une vraie carte à jouer.

Accompagner l’entrepreneuriat féminin, une autre priorité de France Digitale ?
Depuis trois ans, le France Digitale Tour 100 % féminin vient compléter notre tour de France « classique ». Nous l’avons mis en place afin d’accélérer le financement des projets portés par les femmes. Le constat est clair : malgré les évolutions de mentalité, il y a de grosses attentes autour de ce format. On observe, dans notre écosystème, encore trop de différences de financement entre des projets portés par les femmes et portés par les hommes. Le FDTour 100 % féminin est un temps fort de communication mêlant entrepreneures et investisseuses, qui donne un coup de projecteur sur des projets variés et qualitatifs. L’innovation n’est pas une question de genre.
