Finance durable : entre croissance et doute

Finance durable : entre croissance et doute

Dossier : La finance durableMagazine N°804 Avril 2025
Par Nicolas MOTTIS (D93)

L’idée de finance durable n’est pas nou­velle. La lit­té­ra­ture consi­dère en géné­ral qu’elle s’est déve­lop­pée il y a plus d’un siècle aux États-Unis, juste après la Pre­mière Guerre mon­diale, sous l’impulsion de quelques grandes congré­ga­tions reli­gieuses sou­cieuses de l’usage de leur épargne. D’emblée, de fortes valeurs morales sont entrées en ligne de compte avec l’idée d’exclure des por­te­feuilles d’investissement des entre­prises de sec­teurs sen­sibles pour leurs membres (jeu, por­no­gra­phie, alcool, tabac, arme­ment…). Cette logique d’exclusion, mais cette fois sur des bases poli­tiques, a été reprise quelques décen­nies plus tard par d’autres acteurs enga­gés (acti­vistes des droits civiques, étu­diants sur les cam­pus amé­ri­cains…) lors de la guerre du Viêt­nam ou de la lutte contre l’Apartheid, pour peser contre des entre­prises actives sur ces ter­rains. Cette dimen­sion « exclu­sion » sur des fon­de­ments nor­ma­tifs a donc beau­coup mar­qué l’histoire de la finance durable anglo-saxonne.

La France a sui­vi une autre tra­jec­toire. Elle s’est davan­tage déve­lop­pée avec une logique de best in class : on peut inves­tir dans tous les sec­teurs, y com­pris cer­tains très contro­ver­sés comme le pétrole ou l’alcool, mais dans cha­cun on doit rete­nir les acteurs ayant les meilleures pra­tiques ESG (envi­ron­ne­ment, social, gou­ver­nance). Cette approche plus ouverte et moins nor­ma­tive est l’une des expli­ca­tions clés du poids actuel de la finance durable dans notre pays. Elle a per­mis son fort déve­lop­pe­ment depuis une quin­zaine d’années, d’autant plus que de nom­breux tra­vaux uni­ver­si­taires démontrent que per­for­mances finan­cières et ESG ne sont pas for­cé­ment incompatibles.

“Performances financières et ESG ne sont pas forcément incompatibles.”

Cou­plées à la prise de conscience d’enjeux comme le réchauf­fe­ment cli­ma­tique, ces ouver­tures tech­niques ont conduit à une explo­sion du mar­ché avec une pro­fu­sion de fonds res­pon­sables, de labels et de dis­cours plu­tôt glo­ba­le­ment favo­rables à cette finance deve­nue accep­table. Quelques évé­ne­ments récents, comme la guerre en Ukraine, la fer­me­ture des vannes du gaz russe ou la mon­tée en puis­sance de dis­cours poli­tiques ultra-conser­va­teurs très hos­tiles à toute forme de régle­men­ta­tion pous­sant les sujets ESG, ont néan­moins jeté un petit coup de froid, depuis quelques années.

Et cela d’autant plus, comme ce dos­sier l’illustrera, que la crois­sance du concept de finance durable dans presque tous les com­par­ti­ments de l’économie s’est accom­pa­gnée de vraies inter­ro­ga­tions sur la réa­li­té de ses impacts, voire d’accusations viru­lentes de green­wa­shing. Entre « crois­sance et doute », tel est donc le fil conduc­teur des articles qui suivent. Nul doute qu’ils per­met­tront à la fois de mieux com­prendre les res­sorts struc­tu­rels de cette crois­sance impres­sion­nante de la finance durable et de lever de nom­breux doutes…

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