Finance durable : entre croissance et doute

L’idée de finance durable n’est pas nouvelle. La littérature considère en général qu’elle s’est développée il y a plus d’un siècle aux États-Unis, juste après la Première Guerre mondiale, sous l’impulsion de quelques grandes congrégations religieuses soucieuses de l’usage de leur épargne. D’emblée, de fortes valeurs morales sont entrées en ligne de compte avec l’idée d’exclure des portefeuilles d’investissement des entreprises de secteurs sensibles pour leurs membres (jeu, pornographie, alcool, tabac, armement…). Cette logique d’exclusion, mais cette fois sur des bases politiques, a été reprise quelques décennies plus tard par d’autres acteurs engagés (activistes des droits civiques, étudiants sur les campus américains…) lors de la guerre du Viêtnam ou de la lutte contre l’Apartheid, pour peser contre des entreprises actives sur ces terrains. Cette dimension « exclusion » sur des fondements normatifs a donc beaucoup marqué l’histoire de la finance durable anglo-saxonne.
La France a suivi une autre trajectoire. Elle s’est davantage développée avec une logique de best in class : on peut investir dans tous les secteurs, y compris certains très controversés comme le pétrole ou l’alcool, mais dans chacun on doit retenir les acteurs ayant les meilleures pratiques ESG (environnement, social, gouvernance). Cette approche plus ouverte et moins normative est l’une des explications clés du poids actuel de la finance durable dans notre pays. Elle a permis son fort développement depuis une quinzaine d’années, d’autant plus que de nombreux travaux universitaires démontrent que performances financières et ESG ne sont pas forcément incompatibles.
“Performances financières et ESG ne sont pas forcément incompatibles.”
Couplées à la prise de conscience d’enjeux comme le réchauffement climatique, ces ouvertures techniques ont conduit à une explosion du marché avec une profusion de fonds responsables, de labels et de discours plutôt globalement favorables à cette finance devenue acceptable. Quelques événements récents, comme la guerre en Ukraine, la fermeture des vannes du gaz russe ou la montée en puissance de discours politiques ultra-conservateurs très hostiles à toute forme de réglementation poussant les sujets ESG, ont néanmoins jeté un petit coup de froid, depuis quelques années.
Et cela d’autant plus, comme ce dossier l’illustrera, que la croissance du concept de finance durable dans presque tous les compartiments de l’économie s’est accompagnée de vraies interrogations sur la réalité de ses impacts, voire d’accusations virulentes de greenwashing. Entre « croissance et doute », tel est donc le fil conducteur des articles qui suivent. Nul doute qu’ils permettront à la fois de mieux comprendre les ressorts structurels de cette croissance impressionnante de la finance durable et de lever de nombreux doutes…