Sunanda Prabhu-Gaunkar (2004)

Dossier : Femmes de polytechniqueMagazine N°Sunanda Prabhu-Gaunkar (2004)

Namaste ! Je m’appelle Sunan­da et j’ai eu l’honneur d’être la pre­mière Indienne à inté­grer l’École poly­tech­nique, dont l’expérience a lar­ge­ment influen­cé ma carrière.

La France et l’X

Enfant, fas­ci­née par les énigmes mathé­ma­tiques, je rem­por­tais sou­vent les concours locaux. Mon père et des amis fran­çais que nous rece­vions me par­laient de grands mathé­ma­ti­ciens ou phy­si­ciens, Fou­rier, Cau­chy, Monge, Gay-Lus­sac, Poin­ca­ré : cela m’a don­né envie de pré­pa­rer le concours inter­na­tio­nal de l’X, grâce aux infor­ma­tions éparses que mon père avait pu gla­ner auprès de ses contacts en France, mais aus­si grâce aux cours de mathé­ma­tiques de l’IIT. Je suis arri­vée en France, sur le cam­pus de l’X, pour le concours. J’ai été très frap­pée par les exa­mens, sur­tout les oraux où, par exemple, l’approche d’un pro­blème était consi­dé­rée comme plus impor­tante que sa solu­tion finale, contrai­re­ment à ce dont j’avais l’habitude. Jean-Louis Bas­de­vant fait par­tie des pro­fes­seurs qui m’ont encou­ra­gée à inté­grer Poly­tech­nique, mal­gré mes craintes liées à mes lacunes en fran­çais. Mon niveau en mathé­ma­tiques et phy­sique étant solide, j’ai été admise. J’envisageais de par­tir pour les États-Unis, mais les impres­sions de ma pre­mière visite à l’X et en France, ain­si que ma réus­site au concours, m’ont déci­dée à res­ter. Mon père, doc­teur d’État en France et ayant tra­vaillé dans ce pays, ain­si que ma mère, ancienne étu­diante à la Sor­bonne, ont appuyé ma déci­sion. Ma sœur Nee­lam aurait vou­lu, elle aus­si, suivre mes pas.

Sur le Pla­teau, j’ai ren­con­tré mes meilleurs amis, filles et gar­çons, et je garde de très bons sou­ve­nirs de mon stage lin­guis­tique à Gre­noble, où j’ai fait la connais­sance de cama­rades chi­nois et ira­niens. J’ai fait des pro­grès rapides grâce aux cours inten­sifs de quatre mois. J’ai pas­sé les fêtes de Noël de cette année-là chez des amis de ma famille au Luxem­bourg. Bien qu’ils parlent tous un excellent anglais, ils ne se sont adres­sés à moi qu’en fran­çais. Bien obli­gée de répondre et de suivre la conver­sa­tion, je me suis aper­çue que j’arrivais à bien me faire com­prendre. En écou­tant atten­ti­ve­ment les autres, j’ai vite appris les expres­sions les plus cou­rantes. J’ai alors com­men­cé à m’exprimer natu­rel­le­ment. Puis j’ai fait la connais­sance de l’équipe de M. Chris­tian Boi­tet, seconde source d’apprentissage après le lycée Sten­dhal. Arri­vée sur le cam­pus, j’ai enta­mé un appren­tis­sage plus appro­fon­di et rigou­reux du fran­çais scien­ti­fique. J’ai aus­si ren­con­tré des cama­rades bré­si­liens, chi­liens, viet­na­miens, espa­gnols, etc.

À la fin de la pre­mière année sont arri­vés les élèves fran­çais qui venaient d’achever leur année de For­ma­tion mili­taire ini­tiale. Les quelques semaines de cours d’intégration ont été une excel­lente occa­sion de nous connaître tous ; les conver­sa­tions au dîner, après les cours, etc., m’ont per­mis de faire des pro­grès rapides. J’ai même appris l’argot potache ! Désor­mais plus à l’aise, j’ai com­men­cé à me faire de vrais amis. J’ai choi­si l’option équi­ta­tion, occa­sion de fré­quen­ter une équipe et des che­vaux extra­or­di­naires, mais aus­si de ren­con­trer des gens hors du milieu uni­ver­si­taire. J’ai pro­po­sé un voyage de sec­tion en Inde, ce qui a per­mis à mes cama­rades de connaître mon pays, et sur­tout ma pro­vince natale de Goa. Ils ont ain­si pu appré­cier mon envi­ron­ne­ment et ma culture d’origine.

Impliquée sur le plateau

La deuxième année, je me suis pré­sen­tée à la cam­pagne Kès, au poste de délé­gué inter­na­tio­nal. Nous avons pu mobi­li­ser les Anciens de l’X pour le sou­tien maté­riel de la cam­pagne. Si nous n’avons pas rem­por­té les élec­tions, mes efforts ont sou­li­gné aux yeux de mes cama­rades mon impli­ca­tion pour le bien-être des élèves sur le cam­pus. J’ai sou­vent reçu de l’aide de la part de mes cama­rades et des Anciens de l’X, notam­ment dans le cadre du tuto­rat. J’ai culti­vé ma pas­sion pour les langues étran­gères en étu­diant le japo­nais pen­dant deux ans, ce qui m’a per­mis d’aller à Kyo­to en stage lin­guis­tique. Le pas­sage à l’X m’a éga­le­ment per­mis de ren­con­trer des per­son­na­li­tés comme Umber­to Eco, avec qui j’ai pu par­ti­ci­per à plu­sieurs actions en dehors du cursus.

Un choc culturel

Mal­gré une simi­la­ri­té de niveau intel­lec­tuel avec mes cama­rades, j’ai dû affron­ter sur le Pla­teau plu­sieurs sin­gu­la­ri­tés cultu­relles. Ain­si des cours de des­sin avec modèle nu, un choc pour moi, mais aus­si l’occasion de par­ler entre cama­rades et avec les pro­fes­seurs de nos dif­fé­rences cultu­relles et men­tales. J’ai essayé d’apprécier et d’assimiler la riche culture fran­çaise, et réci­pro­que­ment mes amis ont expri­mé la curio­si­té de connaître les par­ti­cu­la­ri­tés cultu­relles de l’Inde. Lors de la semaine des langues et cultures, j’ai inter­pré­té la danse clas­sique indienne, le Kut­chi­pou­di, devant plus de cinq cents per­sonnes. Un de mes cama­rades a sou­li­gné qu’il n’y avait jamais eu autant d’élèves dans un amphi que pour regar­der Sunan­da ! J’ai invi­té l’attaché mili­taire de l’ambassade d’Inde pour la céré­mo­nie des cou­leurs, au cours de laquelle j’ai chan­té notre hymne natio­nal. Le cam­pus et l’École ont fait excel­lente impres­sion, et lors de la céré­mo­nie de remise des diplômes l’ambassadeur lui-même est venu me féliciter.

Une étape cruciale

Mon pas­sage à l’X a été une étape cru­ciale et aura for­te­ment mar­qué le dérou­le­ment de ma car­rière. Lors d’un congrès sur le cam­pus, j’ai eu l’occasion de ren­con­trer le pro­fes­seur Lee de Corée du Sud, qui avait tra­vaillé avec M. Pri­bat de PICM. À la suite de nos conver­sa­tions, il m’a offert un stage dans son labo­ra­toire. J’avais tra­vaillé chez Tha­lès et ai conti­nué mes recher­ché en Corée. Ces étapes m’ont offert une ouver­ture dans le domaine de la recherche scien­ti­fique et m’ont per­mis de pré­pa­rer le ter­rain pour les recherches doc­to­rales en génie élec­trique, ce que je pour­suis actuel­le­ment à l’université Nor­th­wes­tern de Chi­ca­go. Mon direc­teur de thèse, un cher­cheur for­mé dans le labo­ra­toire de M. Dan Sui, prix Nobel, appré­cie ma for­ma­tion scien­ti­fique solide ain­si que ma moti­va­tion et mon impli­ca­tion. Après une for­ma­tion plu­tôt dif­fi­cile et de très bon niveau, les cours aux États-Unis m’ont sem­blé rela­ti­ve­ment « légers », avis par­ta­gé par des cama­rades internationaux.

La plu­part des uni­ver­si­taires connaissent bien Poly­tech­nique et me témoignent une grande consi­dé­ra­tion sim­ple­ment parce que suis X. Je fré­quente sou­vent le milieu fran­co­phone de Chi­ca­go, où j’ai pu me faire d’autres amis, et j’ai eu l’occasion de par­ti­ci­per très acti­ve­ment aux actions scien­ti­fiques du consu­lat de France. J’ai pu contri­buer à l’organisation de la pre­mière conven­tion scien­ti­fique fran­co-amé­ri­caine en 2010, et je tra­vaille encore avec Adèle Mar­tial, atta­chée scien­ti­fique, à l’organisation du second congrès fran­co-amé­ri­cain à Chicago.

Je gar­de­rai à l’avenir des liens forts et pri­vi­lé­giés avec la France, que ce soit dans le cadre pro­fes­sion­nel ou pri­vé. J’envisage de m’orienter vers les recherches en tech­no­lo­gie, les nanos­ciences. Mon objec­tif est d’innover en faveur des éco­no­mies émer­gentes comme celles de l’Inde, et pour le pro­fit de l’humanité. L’X m’a offert un socle très solide et une ouver­ture d’esprit très enri­chis­sante, qui me donnent l’ambition et le cou­rage de croire que je par­vien­drai à faire hon­neur à la gloire et au pres­tige de l’École. Je viens d’apprendre que sept élèves indiens ont inté­gré l’X cette année ; j’en suis fière et heureuse.

L’immersion dans un milieu cultu­rel et social aus­si riche m’a certes beau­coup appris, et il était sans doute fatal que j’en assi­mile, peut-être sans m’en rendre compte, les meilleures valeurs. Il va sans dire que j’aime la cui­sine fran­çaise, une musique, une langue, un peuple, un pays qui me paraissent tel­le­ment fami­liers mal­gré mon actuel éloignement.

Je suis heu­reuse de noter en par­ti­cu­lier que le rap­port entre filles et gar­çons semble évo­luer en faveur de la pré­sence des filles sur le cam­pus. J’ai vu bien des cam­pus, mais celui de Palai­seau reste le plus cher à mon cœur.

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