Fabienne Keller (1979)

Dossier : Femmes de polytechniqueMagazine N°Fabienne Keller (1979) Par Solveig GODELUCK

Quand Fabienne Kel­ler se déplace, il émane d’elle une forme d’énergie joyeuse et conta­gieuse. Déjeune-t-elle au Sénat, on lui glisse un mot gen­til, on vient lui faire un brin de cour.

Le peps est-il trans­mis­sible par la voie des airs ? Quand Fabienne Kel­ler se déplace, il émane d’elle une forme d’énergie joyeuse et conta­gieuse. Déjeune-t-elle au Sénat, on lui glisse un mot gen­til, on vient lui faire un brin de cour, jusqu’au ser­veur qui lui apporte un plein bocal de cho­co­lats. La séna­trice et ex-maire de Stras­bourg dis­tri­bue les sou­rires avec grâce, du haut de son mètre soixante-seize. La force de cette Alsa­cienne d’origine et de cœur, c’est de ne jamais s’être inter­dit d’aller plus loin, là où l’on n’attend pas for­cé­ment les femmes – et notam­ment en poli­tique. « C’est un monde dur, car nous sommes mino­ri­taires, et la prise de pou­voir est un moment violent, explique-t-elle. Les femmes hésitent à se battre jusqu’au bout, à uti­li­ser tous les leviers. Moi, j’ai per­sé­vé­ré, car j’aime l’action publique. J’aime ma ville. »

Les choses comme elles viennent

Certes, l’X n’est pas a prio­ri l’école qui vous pré­pare le mieux à faire de la poli­tique, à écrire de beaux dis­cours et à argu­men­ter en public. Cepen­dant, Fabienne Kel­ler estime que Poly­tech­nique l’a for­gée pour ce métier. C’est là que la gamine débar­quée de sa petite ville de Séles­tat, dans le Bas-Rhin, a pris de l’assurance : « Cela ne vous pré­pare pas aux stra­té­gies flo­ren­tines et de contour­ne­ment, mais cela vous donne une ratio­na­li­té, une char­pente qui font défaut à d’autres », avance-t-elle. Et tant pis si elle sèche lorsqu’on lui pose des ques­tions sur des sujets qu’elle ne maî­trise pas suf­fi­sam­ment : l’ingénieur en elle se refuse à par­ler de ce qu’elle ne connaît pas. Fabienne Kel­ler semble ne jamais avoir vu le dilemme ou l’impossibilité sys­té­mique là où ils sau­taient aux yeux. Un soir, son mari, un X‑Télécom qu’elle a ren­con­tré dans sa pro­mo­tion, sou­pire en évo­quant leurs cama­rades qui partent en voyage au bout du monde. Pour eux, ce serait trop com­pli­qué. Ils ont eu leur pre­mier enfant à l’X. Ni l’un ni l’autre ne veut mettre sa car­rière en veilleuse. Ah bon ? C’est ce qu’on va voir. « Miracle ! » s’exclame Fabienne : les voi­là bien­tôt en famille à l’université de Ber­ke­ley, avec deux bourses d’études. Pour la diplô­mée de l’École du génie rural et des eaux et forêts, ce sera un mas­ter d’économie. « À l’époque, on vou­lait tout. Je ne me suis jamais posé la ques­tion de l’équilibre entre ma vie fami­liale et pro­fes­sion­nelle, j’ai pris les choses comme elles venaient », déclare la sénatrice.

La situa­tion se corse rapi­de­ment car nous sommes en 1983 : la troi­sième déva­lua­tion du franc en dix-huit mois va rui­ner les finances pré­caires du jeune couple. « Nous étions éli­gibles aux bons ali­men­taires. Mais je n’y ai pas eu recours car nous avons béné­fi­cié de la grande soli­da­ri­té des Amé­ri­cains au sein du vil­lage des étu­diants mariés », explique-t-elle. L’université fait éga­le­ment preuve de géné­ro­si­té : elle leur concède un prêt d’honneur, et la sala­rie en tant que répé­ti­teur pour un jeune homme en fau­teuil rou­lant. Plus tard, la maire s’est sou­ve­nue de son élève, notam­ment en fai­sant tes­ter l’accessibilité de la gare de Stras­bourg par des repré­sen­tants des asso­cia­tions de handicapés.

Mais Fabienne Kel­ler a pris son temps avant de débou­ler en poli­tique. La poly­tech­ni­cienne aurait dû deve­nir maî­tresse d’école si elle avait sui­vi la voie que lui tra­çait sa maman. Sa pas­sion à elle, c’était plu­tôt les rap­ports Nord-Sud. Ce qui ne donne qu’une idée assez vague du métier souhaité.

Elle a donc com­men­cé dans l’administration, d’abord au minis­tère de l’Agriculture où elle fai­sait la navette entre Paris et Bruxelles pour négo­cier le prix des céréales, puis à la direc­tion du Tré­sor. Mais sa car­rière fait une embar­dée en 1989. « Miracle ! » se réjouit Fabienne en piquant de sa four­chette une asperge d’Alsace : son Mar­seillais de mari est muté à Stras­bourg. Voi­là qui jus­ti­fie par­fai­te­ment qu’elle devienne ban­quière en déta­che­ment, d’abord au Cré­dit indus­triel d’Alsace-Lorraine, puis au Cré­dit com­mer­cial de France.

Tracts et porte-à-porte

En ren­trant sur ses terres, elle découvre la poli­tique, les tracts, le porte-à-porte, les mar­chés. Très rapi­de­ment, elle est même élue sous l’étiquette CDS (« miracle ! »). Elle est la pre­mière femme poli­tique à entrer au conseil géné­ral du Bas-Rhin en 1992. À trente-deux ans, c’est aus­si la plus jeune. Eu égard à sa condi­tion fémi­nine, le pré­sident lui pro­pose benoî­te­ment de par­ti­ci­per à la com­mis­sion sociale : elle décline et exige l’économie. « J’ai pas­sé un man­dat à tra­vailler sur ma légi­ti­mi­té », se sou­vient-elle. Six ans plus tard, le pré­sident de la région Alsace, Adrien Zel­ler, anti­ci­pant la loi sur la pari­té, lui demande d’être la numé­ro deux sur sa liste régio­nale. Puis le RPR et l’UDF font liste com­mune, et en 2001 la voi­là pro­pul­sée à la tête de la capi­tale alsacienne.

L’un de ses grands chan­tiers sera la réno­va­tion urbaine, un sujet sur lequel elle a conti­nué à tra­vailler après 2008 au Sénat. L’ex-scoute vou­drait que l’on traite les pro­blèmes comme un ensemble : les enfants qui gran­dissent dans des quar­tiers mar­qués par la misère et le chô­mage n’ont pas besoin d’être dro­gués à la Rita­line, mais plu­tôt de trou­ver des stages en dehors de leur cité, qui ne soient ni au McDo ni à la Mai­son pour tous. Il faut aus­si réflé­chir sur l’histoire com­mune, amé­lio­rer l’accès à la san­té, le loge­ment, l’alimentation, le som­meil, l’exercice phy­sique, etc.

Quant à l’emploi, c’est tou­jours le sou­ci numé­ro un. Fabienne Kel­ler est fière d’avoir négo­cié avec Alstom le déve­lop­pe­ment d’un bureau d’é­tude et ain­si confor­té le site de pro­duc­tion de Reich­shof­fen, lors de la com­mande de qua­rante et une rames pour son tram. Aujourd’hui, on y fabrique encore des trains Regio­lis pour d’autres régions de France. Pour­tant, ce contrat lui a valu quelques sueurs froides car, à l’époque, on ne savait pas trop si Alstom pas­se­rait l’année. Ce qu’ignorait sans doute le patron du groupe indus­triel, Patrick Kron, c’est que le che­min de Fabienne Kel­ler est semé de miracles.

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