Caroline Aigle (1994)

Dossier : Femmes de polytechniqueMagazine N°Caroline Aigle (1994) Par Solveig GODELUCK

Le 21 août 2007, Caro­line Aigle s’est éteinte, fou­droyée en deux mois par un can­cer de la peau. Elle n’avait que trente-trois ans. Juste avant de mou­rir, elle a don­né nais­sance à son deuxième enfant, Gabriel, qu’elle aura por­té aus­si long­temps que la mala­die le lui a per­mis. Un choix qu’elle a payé avec sa souf­france, et avec sa san­té. Per­sonne n’a jamais réus­si à faire flé­chir la volon­té de ce petit brin de femme, si déter­mi­née, si endu­rante. « Ce matin, Caro­line s’est envo­lée pour l’éternité », a annon­cé par SMS son mari Chris­tophe Deke­te­laere, pilote de chasse comme elle. Belle épi­taphe pour la pre­mière femme de France à avoir accé­dé à ce métier réser­vé aux sei­gneurs de la guerre, demeu­ré un bas­tion mas­cu­lin jusqu’en 1995.

La reine des batailles

Caro­line Aigle est par­ve­nue au grade de com­man­dant, avec à son actif 1 542 heures de vol. Mais que de sacri­fices et d’obstination pour en arri­ver là ! Dans sa bio­gra­phie, Caro­line Aigle. Vol bri­sé, le jour­na­liste Jean­Do­mi­nique Mer­chet raconte le pre­mier coup de gueule mémo­rable de la jeune fille. Sitôt après son entrée à l’X, en 1994, elle doit choi­sir son affec­ta­tion pour le ser­vice mili­taire : « Caro­line se lève dans l’amphi et demande car­ré­ment l’infanterie, la reine des batailles. Stu­peur dans l’encadrement de l’École. On n’a jamais vu cela. » On lui ordonne de dis­po­ser. Qu’à cela ne tienne, elle se rend chez le géné­ral qui com­mande l’École et demande à voir le règle­ment qui inter­dit l’infanterie aux femmes. Il n’existe pas. Elle obtient fina­le­ment le droit d’aller cou­rir, mon­ter des embus­cades, dor­mir à la belle étoile et tirer à la mitrailleuse, avec les hommes. À l’occasion, elle se révèle un bon soldat.

L’année sui­vante, la car­rière de pilote de chasse est ouverte aux femmes. La blon­di­nette aux yeux bleus s’y engouffre, en com­men­çant par pas­ser son bre­vet de pilote à Saint-Cyr, dans le pri­vé. Elle sait qu’elle s’engage dans un par­cours du com­bat­tant. Tou­te­fois, un rêve secret lui donne des ailes : elle veut aller dans l’espace. En deve­nant astro­naute, cette tri­ath­lète inépui­sable, assoif­fée de savoirs, pour­ra repous­ser encore les limites.Après l’X, la voi­là à l’École de l’air de Salon- de-Pro­vence, puis à l’École de l’aviation de chasse à Tours où elle apprend la vol­tige, le vol en for­ma­tion ser­rée, le vol de nuit et même le vol avec une bâche opaque sur la ver­rière de l’avion. C’est là qu’elle ren­contre son futur mari, qui est son moni­teur. En mai 1999, Caro­line Aigle reçoit enfin son bre­vet. Comme Guy­ne­mer, elle choi­sit la voie des che­va­liers du ciel, le com­bat en vol contre d’autres pilotes, plu­tôt que le lar­gage de bombes. Puis elle pose ses valises à la base aérienne de Dijon.

Une course d’obstacles

Mais seules les valises demeurent à terre. La jeune femme, désor­mais aux manettes d’un Mirage, a fort à faire depuis les atten­tats du 11 sep­tembre 2001, qui pro­voquent une mul­ti­pli­ca­tion des opé­ra­tions de sur­veillance aérienne du ter­ri­toire. Elle com­mence éga­le­ment à pré­pa­rer le vol spa­tial auquel elle n’a jamais ces­sé de son­ger. Cours de russe, cours d’astrophysique, son modèle est Clau­die Hai­gne­ré, bac + 19. Elle prend contact avec la ministre, qui l’assure de son sou­tien. « Caro­line mesure par­fai­te­ment dans quelle nou­velle course d’obstacles elle s’engage. Six à huit mois de sélec­tion. Des tests médi­caux à n’en plus finir, des épreuves phy­siques qui res­semblent par­fois à de la tor­ture, comme les cen­tri­fu­geuses ou les tabou­rets tour­nants, des entre­tiens psy­cho­lo­giques, etc. Repar­tir de zéro, comme le jour où elle a déci­dé de deve­nir pilote de chasse », écrit Jean-Domi­nique Mer­chet. Comme si cela ne suf­fi­sait pas, Caro­line Aigle attend son deuxième enfant. C’est à ce moment que la tra­jec­toire super­so­nique se brise, fau­chée en plein vol par la mala­die. « Tout va si vite, à peine le temps d’en pro­fi­ter », a écrit un jour l’aventurière à pro­pos de l’une de ses virées aériennes. De même, son pas­sage sur terre n’aura duré qu’un bref émerveillement.

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