Exotrail : l’odyssée d’un opérateur de services logistiques dans l’espace

En 2017, David Henri (X13) a cofondé Exotrail, qui vise à fournir un modèle de gestion spatiale encore plus durable, intégrant les concepts de réutilisation et de maintenance. Des innovations telles que l’inspection des infrastructures en orbite, le ravitaillement des satellites pour prolonger leur durée de vie et l’élimination des débris deviendront des pratiques courantes et Exotrail a l’ambition d’en être un fournisseur majeur.
Quel est ton parcours ?
J’ai 31 ans. Je suis poitevin et, après 17 ans à Poitiers, j’ai fait ma classe préparatoire au lycée Montaigne de Bordeaux. J’ai intégré l’X en 2013, dans un parcours combinant ingénierie mécanique et entrepreneuriat, et mêlant des disciplines techniques avec des projets d’entreprise. Paul Lascombes (de ma promotion et de la section volley comme moi), très intéressé par le spatial, faisait un projet scientifique collectif avec un chercheur du CNRS sur une balance pour mesurer la poussée d’un petit moteur pour satellite. Le 15 avril 2015, dans le RER B, on s’est dit : « Et si on faisait une boîte dans les petits satellites ? »
On a démarré Exotrail avec Jean-Luc Maria ; et le quatrième fondateur, Nicolas Heitz, nous a rejoints en 2017, date à laquelle Exotrail a été officiellement créée. J’ai terminé mes études à Cambridge avec un master en management des systèmes industriels et je suis devenu CEO d’Exotrail jusqu’en 2021. En 2021 j’ai créé et pris la responsabilité de l’équipe produit, qui manquait à Exotrail. Puis début 2024 je suis devenu directeur des opérations d’Exotrail, ce qui consiste à gérer la partie propulsion de la boîte, qui en représente la moitié.

Que fait Exotrail ?
Exotrail est une société de logistique spatiale. Le trafic dans l’espace a augmenté très rapidement : on a passé le cap des dix mille satellites actifs en orbite, contre moins de mille il y a dix ans. Cela a nécessité un changement de mode : d’une fusée par satellite lancé à une fusée qui transporte plusieurs dizaines de satellites, et donc à l’émergence du besoin de mobilité en orbite pour rejoindre l’orbite opérationnelle depuis l’orbite de lancement, s’y maintenir, éviter les collisions et se désorbiter en fin de mission, afin de ne pas créer de la pollution spatiale et des débris.
On fait cela avec deux lignes de produits. La première à avoir été créée est la ligne spaceware pour la propulsion des satellites, dont je m’occupe : on vend des moteurs à des constructeurs ou à des opérateurs de satellites pour leur permettre de se déplacer en orbite après lancement. La deuxième ligne développe et opère des spacevan, qui sont des satellites convoyeurs de quelques centaines de kilogrammes permettant de déplacer d’autres satellites ou des charges utiles sur différentes orbites, de l’orbite basse à l’orbite géostationnaire.

Quel a été le déclic de la création d’Exotrail ?
Il y a eu plusieurs déclics en 2015. Le premier a été cette discussion avec Paul, fana du spatial, qui me parle de ce qui se passe dans le NewSpace, les CubeSats, etc. Rapidement, il y a la rencontre avec le chercheur du CNRS qui avait développé le prototype d’un petit moteur pour satellite. Le troisième déclic, c’est la rencontre avec Jean-Luc Maria, qui gérait une plateforme de test de systèmes spatiaux (par la suite il est devenu directeur technique d’Exotrail, puis CEO à partir de 2021). Fin 2015, nous avons notre premier financement d’un million d’euros par la Société accélératrice de transfert de technologie de Saclay pour développer une première version du moteur. J’étais de plus en plus engagé et, quand j’ai terminé mes études en 2017, c’était naturel de fonder Exotrail.

As-tu rencontré des problèmes pour la création de ta boîte ?
Nous en avons eu, forcément ! Dans la première étape, jusqu’à la mi 2018, on était seulement tous les quatre avec quelques stagiaires ou contractants, et on a développé un premier prototype de notre moteur spaceware, sur lequel on a rencontré beaucoup de problèmes techniques. Mais il a fini par marcher et cette étape s’est conclue par une levée de fonds d’environ 3 millions d’euros. Après la première levée, on est passé à une vingtaine de personnes et on a construit et livré un démonstrateur en 2019, qui a volé en 2020. Ça a été une période très tendue, où nous avons livré le moteur en voiture jusqu’à Vilnius car nous étions en retard ! Cela nous a permis de sécuriser des premiers clients en 2020-2021.
À la deuxième levée, on a levé 10 millions d’euros et on est passé à 50 personnes. Le but était de mettre un produit sur le marché, de vendre plusieurs moteurs à plusieurs clients et de poser les fondements du spacevan. On l’a fait entre 2022 et 2024 ! En deux ans, on est passé de zéro à 35 % du marché de la propulsion pour des satellites de 100 à 300 kilos. À la troisième levée de fonds, notre but était de lever 50 millions d’euros pour déployer un spacevan en orbite (sur lequel on avait fait les premières études de définition), livrer nos premières dizaines de spaceware et pénétrer le marché en profondeur.
La levée de fonds a pris un an et elle a aussi été complexe que les précédentes, parce que personne n’avait levé autant d’argent en France sur ces sujets-là. On est passé en un an à plus de 150 personnes. Le problème devient alors d’industrialiser notre produit, ce qui est beaucoup plus compliqué qu’on ne pense. Industrialiser, c’est du process, du jalonnement, de la culture écrite, et c’est un chantier de deux ans de transformation, qui a démarré début 2024 pour passer de quelques moteurs à 150 moteurs produits par an.

Quel est le marché et quels sont vos principaux concurrents ?
Nous avons donc deux lignes de produits : les spaceware et les spacevan, donc. Le marché de nos moteurs spaceware, ce sont les satellites entre 50 et 1 000 kilos, avec trois produits : le spaceware nano de 50 à 100 kilos, le spaceware micro de 100 à 300 kilos et le spaceware mini de 300 à 1 000 kilos. Notre plus gros marché est celui du milieu, le micro. Notre position géographique nous facilite l’accès aux marchés européen et asiatique, et on a beaucoup de clients en Asie du Sud-Est, en particulier en Corée du Sud, en Inde, à Singapour et au Japon.
On accompagne la croissance de nos clients des plateformes moyennes vers des plateformes plus grosses. Ainsi, nous évoluons vers le marché des mini en utilisant la relation client-fournisseur et la capacité industrielle développées sur le marché du micro. Nos concurrents développent des moteurs électriques, par exemple ThrustMe ou Enpulsion en Europe, ExoTerra aux États-Unis. Notre valeur ajoutée, c’est qu’on a une meilleure poussée que ces moteurs utilisant d’autres technologies, ce qui permet de réduire la durée des manœuvres. Le nano est un marché de niche pour nous, des concurrents comme ThrustMe y sont plus adaptés. Néanmoins nous sommes actifs pour des missions stratégiques ou précises, comme la défense ou la science, qui ont besoin de beaucoup de capacité de propulsion. Nos deux principaux clients sur ce moteur sont le Cnes et la Nasa.

Et les spacevan ?

Pour les satellites convoyeurs spacevan, nous avons deux marchés : le transport (déplacer les satellites d’un endroit à un autre) et la charge utile à bord du convoyeur. Sur le transport, notre moteur à propulsion électrique permet de faire des manœuvres plus grandes que nos concurrents (comme D-Orbit). Pour le marché de charge utile embarquée, spacevan est un petit véhicule avec énormément de puissance (1 kW) et de propulsion, ce qui permet d’atteindre des orbites spécifiques et de répondre à des besoins en puissance et en propulsion spécifiques.
Nos concurrents sont par exemple Loft Orbital en France ou Impulse Space aux USA. Impulse Space a été créé par l’ancien vice-président propulsion de SpaceX, Tom Mueller. En 2016 ou 2017, j’avais fait une intervention à l’Assemblée nationale, devant un parterre de députés, et Tom Mueller en guest star. Je lui parle du spacevan : il était encore à SpaceX et semblait très peu convaincu de ce que je lui racontais sur le convoyeur. J’ai encore une photo de ce moment-là ! Cinq ans plus tard, il a créé sa start-up sur le même sujet et, comme il est plus connu que moi, il a levé 300 millions la semaine dernière.
Quels sont ton actualité et tes objectifs de l’année à venir ?
La semaine du Bourget (16 juin), on a annoncé la signature d’un deuxième contrat spacevan en orbite géostationnaire. On avait déjà signé un premier contrat avec le Cnes et ce deuxième contrat va cimenter notre activité spacevan et nous établir comme un leader mondial, avec deux ou trois autres acteurs sur le marché. Notre autre actualité, c’est qu’on a beaucoup recruté : Olivier Mathieu, ancien dirigeant d’Airbus Space, pour gérer le spacevan justement, et Laurent Javanaud, de chez Hemeria.
Enfin, nous avons ouvert notre nouvelle usine à Toulouse le 16 juin. On passe de 1 000 m² à 4 000, dont 2 000 m² de bâtiments techniques pour augmenter la production de moteurs à plus de 150 par an. Notre carnet de commandes est plein pour les dix-huit mois qui viennent sur nos deux lignes de produits. Il faut fournir ! On a déjà livré trois fois plus de moteurs que l’année dernière, ce n’est que le début.
As-tu eu une rencontre marquante dans ton parcours ?
Oui ; une en particulier avec quelqu’un que je considère comme mon mentor, Fabio Ferrari. Quand je l’ai rencontré en 2016, j’étais analyste stagiaire dans un fonds de capital-risque et lui PDG d’une boîte qui s’appelait Symbio et qui faisait des piles à combustible pour véhicules électriques. On avait investi dans sa boîte, j’en avais fait la due diligence, on s’est bien entendu et j’ai gardé contact avec lui.
Dans les premières étapes d’Exotrail, quand j’étais CEO, on a beaucoup parlé car je me sentais un peu seul au monde. Même si on était quatre fondateurs et une vraie équipe, c’était moi qui étais responsable et qui prenais les plombs. Cela m’a beaucoup aidé qu’il puisse challenger mon état d’esprit. Ce que j’en ai retiré, entre autres, c’est le besoin de connaître le détail, d’avoir un management un peu technique pour comprendre ce que les gens te racontent, et qu’il faut recruter aussi des gens meilleurs que toi, des seniors, des gens qui peuvent t’enseigner.
Quelle est ta journée type ?
Chaque journée est différente, mais il y a trois parties essentielles dans mon travail. La première partie est opérationnelle, il faut répondre à l’urgence, prioriser et faire tourner la boutique. La deuxième partie, c’est la structuration ; il faut prendre de la distance par rapport au feu quotidien. Il faut réfléchir, se demander ce qui fonctionne bien et ce qui ne fonctionne pas, et comprendre comment structurer la société afin de donner aux équipes le cap à suivre. La troisième partie, c’est l’humain. J’ai environ 80 personnes dans mon équipe et il faut sans cesse expliquer, répéter, clarifier, ajuster, poser des questions pour comprendre les problématiques. Cette partie-là est sur le terrain et je passe pas mal de temps dans les bureaux à être disponible et sentir l’ambiance.
Je suis un peu une boule d’énergie, et pour gérer ça j’ai besoin de deux choses. J’ai besoin de couper, j’ai appris ça en prépa, donc le week-end ou quand je suis en vacances je ne bosse pas du tout. Et l’autre besoin, c’est de faire du sport, au minimum deux fois par semaine : du badminton, de la course, du vélo… prendre soin de soi, c’est aussi prendre soin de sa boîte. Pour les vacances, c’est un peu de tout, randonnée, plage, vieilles pierres, mais en s’efforçant avec ma conjointe de limiter l’avion à une fois par an. Et en vacances je coupe entièrement avec le travail. Les seuls qui ont le droit de m’appeler, ce sont les clients !
Comment vois-tu Exotrail en 2030 ?
Déjà, Exotrail en 2025 est sensiblement tel qu’on pensait qu’il serait, il y a dix ans. Au moment de sa création en 2015, on se projetait dix ans plus tard avec deux lignes de produits sur le marché, démontré dans l’espace et étant leader du marché sur l’une des deux. Dans cinq ans, je nous projette comme leader stable et rentable sur la propulsion, ce qui nous permettra d’ouvrir et de financer la conquête de nouveaux marchés. Sur le spacevan, je nous vois comme un logisticien de l’espace, opérateur de flotte, avec plusieurs dizaines de véhicules dans l’espace multiorbite (orbites LEO, GEO, lunaires…), fournissant plusieurs types de services : convoyage de satellites mais aussi inspection de satellites dans l’espace. Exotrail pourrait à terme devenir un opérateur de services logistiques dans l’espace, au travers d’une plateforme de service.
Dernière question : quels conseils donnerais-tu à un(e) jeune polytechnicien(ne) qui voudrait monter sa boîte ?
Le premier conseil, c’est de ne pas le faire tout seul. Quand on n’est pas Elon Musk ou Steve Jobs, ce qui est le cas de la plupart des gens, s’accomplir dans une aventure entrepreneuriale, c’est à plusieurs – au moins deux. Nous étions quatre, c’est assez rare, ça fait dix ans et on est toujours quatre, c’est très, très rare ! Ensuite, il faut avoir conscience de ce que ça représente, mais pas trop non plus : si on m’avait dit à quel point ce serait difficile et exigeant, j’aurais pensé que c’était trop dur pour moi. Or en fait, une fois qu’on est dedans, on trouve les ressources et on repousse les limites. Il ne faut pas trop réfléchir. On est dans un monde où tout va très vite et où on peut changer de job tous les 2-3 ans.
Entreprendre est un engagement de long terme et, si on m’avait dit que dans dix ans j’y serais encore, je serais parti ! Aussi, si on aime le calme et la tranquillité, ce n’est pas le choix rêvé. La frontière avec la vie personnelle est plus floue.
Question joker : tu n’étais pas un passionné d’espace au départ. Alors quelle était ta motivation profonde ? qu’aurais-tu fait d’autre si tu n’avais pas fait Exotrail ?
Ma motivation forte était l’objectif de durabilité. J’ai la conviction absolue depuis le tout début d’Exotrail que la mobilité est une composante essentielle de notre capacité à avoir un espace durable : pour la gestion des débris qui nécessite de la propulsion afin d’éviter les collisions et de désorbiter les satellites ; et pour la durabilité économique, afin d’optimiser les orbites et le nombre d’objets à lancer, car une constellation propulsée nécessitera moins de satellites qu’une non propulsée. De plus, lancer plusieurs dizaines ou centaines de satellites avec un seul lanceur, c’est beaucoup plus efficace mais ça génère forcément des besoins de mobilité annexe.
Notre mission c’est d’apporter des solutions efficaces et durables. Si je n’avais pas fait Exotrail ? j’aurais travaillé dans l’énergie. Tous mes projets d’étude, systèmes de stockage d’énergie par pompage, conversions avec des capteurs piézoélectriques, élastomères diélectriques, traitaient de l’énergie. Je pense que c’est là où l’on peut avoir un vrai impact sur le changement climatique. Peut-être que j’y reviendrai un jour… pourquoi pas sur l’énergie dans l’espace ?





