Étymologie : À propos du renseignement criminel

Voilà deux mots indépendants, qui justifient un ÉtymologiX en deux temps : d’abord le renseignement, puis le crime.
Du signe au renseignement
Le mot renseignement dérive du verbe renseigner, attesté en 1358 (renseignier en 1145), lui-même du verbe enseigner, avec le préfixe re-, marquant ici le retour d’information. Quant au verbe enseigner (cf. l’ÉtymologiX de janvier 2025 à propos de l’éducation), il remonte au latin insignire « signaler, distinguer », formé comme insignis « qui porte un signe » de in– « dans » et signum « signe ». Enseigner c’est signaler les connaissances aux étudiants.
Dans le même esprit, renseigner c’est signaler les faits. On a même le mot signalement, apparu dans la deuxième édition (1718) du Dictionnaire de l’Académie française avec cette définition : « Description que l’on fait de la figure d’un deserteur ou d’un criminel, & que l’on donne pour le faire connoistre. » Autant le rapprochement entre signal et enseignant n’est pas immédiat, autant celui entre signalement et renseignement est tout naturel.
Venons-en maintenant à l’étymologie du mot crime, qui est plus surprenante.
De l’accusation au crime
Ce mot est attesté sous la forme crimne « manquement grave à la morale, à la loi » en 1165, puis crime en 1283. C’est un emprunt au latin crimen, criminis, apparenté au verbe cernere « trier, cribler, cerner », et dont le sens a évolué. En latin archaïque, crimen a dû d’abord désigner ce qui sert à trier, à décider, puis crimen a désigné en latin classique la décision elle-même, notamment la décision judiciaire, en particulier dans le sens d’« accusation d’un méfait ». De là, crimen a fini par désigner, dès le latin postclassique, le « méfait » lui-même, le crime. En bas latin, criminalis « relatif au méfait » est attesté dans le Code justinien (en l’an 529), d’où criminel en français.
Le latin a aussi le verbe criminari « accuser », puis recriminari « se défendre d’une accusation, récriminer » en bas latin, où apparaît aussi incriminari, avec le préfixe in– « dans », d’où en français incriminer, signifiant à l’origine « déclarer criminel » et aujourd’hui « accuser d’un crime ».
Une étrangeté : le latin incriminatio, avec le préfixe négatif in-, signifie « innocence ».
Enfin, on a aussi en latin discrimen « ce qui sépare, distinction, décision », apparenté à discernere « discerner », d’où aussi discriminare « discriminer ». Au verbe cernere sont aussi apparentés le latin cribrum « crible, tamis » et son diminutif cribellum, en bas latin criblum d’où crible, cribler, une autre façon de trier.
À ce stade, une question subsiste : si ce n’est pas crimen, quel mot désignait alors le crime en latin classique ?
Criminel pour ne pas dire scélérat
L’appellation la plus ancienne du crime en latin est scelus, sceleris, que l’on peut rapprocher du grec skolios « oblique, tortueux » (cf. la scoliose), lié à skelos « jambe (oblique ou pliée) ». De scelus dérive scelestus ou sceleratus « criminel, scélérat ». Dès lors, on comprend l’expression employée notamment par Cicéron, crimen sceleris « accusation d’un méfait », où curieusement c’est donc le mot crimen désignant l’accusation qui a fini par désigner le méfait lui-même. Un comble vis-à-vis du principe de présomption d’innocence, qui veut justement que la seule accusation ne soit pas interprétée comme une culpabilité.
Épilogue
Pour traquer le crime, on a besoin du renseignement, dont les signalements doivent cependant être passés au crible du discernement, ce qui rappelle l’étymologie du mot crime.
En illustration : Basil Rathbone dans le rôle de Sherlock Holmes





