Étymologie : À propos du luxe et de ses paradoxes

Le paradoxe du luxe réside dans l’ambivalence entre d’un côté le travail méticuleux et modeste d’artisans au service d’une fabrication d’exception et de l’autre, la consommation, parfois futile, de biens iconiques et onéreux.
Du latin luxus au mot luxe
On aimerait que le mot luxe vienne du latin lux « lumière », qui est symbole d’élévation de l’esprit, mais il vient en fait d’un autre mot latin, luxus « excès dans la façon de vivre, excès, débauche, splendeur, faste… ». En latin, de luxus dérive luxuria « exubérance, excès, surabondance, profusion, vie voluptueuse… » d’où est issu, dès l’ancien français, le mot luxure, au sens de « débauche », désignant l’un des sept péchés capitaux de la tradition médiévale. Comme si le mot luxure s’était chargé du côté le plus excessif du latin luxus, le sens du mot luxe lui-même s’est développé du côté élégance et raffinement, tradition et qualité, créativité et désirabilité. Enfin, le latin avait aussi le verbe luxuriare « être en excès », dont le participe présent est à l’origine de l’adjectif luxuriant, devenu un terme valorisant qui aujourd’hui s’applique surtout à un environnement végétal.
Les mots luxe, luxueux et luxure, luxurieux ont des équivalents dans les langues romanes, comme en espagnol lujo, lujoso et lujuria, lujurioso, ou en italien lusso, lussuoso et lussuria, lussurioso. En anglais, c’est différent car les mots luxe, luxury ont conservé le sens de « luxure » jusqu’au XIXe siècle. Ensuite l’usage a abandonné luxe tout en atténuant le sens de luxury, et développé pour la luxure le mot lust, sans doute issu d’une racine indo-européenne *las- « avidité ». De là, les faux amis actuels : luxury « luxe », luxurious « luxueux » et lust « luxure », lustful « luxurieux ». En allemand, on a Luxus « luxe », luxuriös « luxueux » et Lust, Wollust « luxure », wollüstig « luxurieux », avec l’élément wol-, issu de wohl « certainement ».
Il reste une question : d’où vient ce mot latin luxus ?
Il y a luxus et luxus en latin
Le Gaffiot distingue plusieurs mots : 1 luxus, a, um « ôté de sa place, déboîté, luxé », 2 luxus « excès, luxe » dont il vient d’être question, et 3 luxus « luxation », auquel se relie le verbe luxare « déboîter, luxer ». Y aurait-il un rapport entre le luxe et une luxation ? On peut s’en étonner mais selon le Dictionnaire étymologique de la langue latine d’Ernout et Meillet, c’est très probable. L’idée est que luxus était d’abord 1 luxus « luxé, mis de travers », d’où « ayant poussé de travers », devenant 2 luxus « ayant poussé avec excès », l’excès étant un travers. Le passage habituel du concret à l’abstrait se retrouve dans cette hypothèse, qui explique l’assimilation à un défaut de 2 luxus en latin et de luxe à l’origine.
Quant au latin 1 luxus « luxé », son origine est incertaine. Selon le même dictionnaire d’Ernout et Meillet, on pense à une relation avec le grec luein, le latin luere « délier, dégager » ? ou avec le grec lugizein « plier, courber » ? car une luxation délie, ou courbe, l’articulation.
En définitive, une notion de dislocation, de pliure, se retrouverait dans luxation, d’où viendrait luxe, terme qui est valorisé aujourd’hui dans l’industrie du luxe, même s’il peut aussi qualifier un certain superflu en langage courant (cf. c’est du luxe !), d’où un certain paradoxe.
Épilogue
Il y avait plus à dire sur luxe que sur paradoxe, du grec paradoxon, désignant simplement ce qui est contraire à l’opinion générale, la doxa (cf. ÉtymologiX de janv. 2025, à propos de l’éducation).