Étymologie :
À propos des territoires

Dossier : TerritoiresMagazine N°760 Décembre 2020
Par Pierre AVENAS (X65)

Les ter­ri­toires for­ment une struc­ture gigogne : com­mune, can­ton, arrondisse­ment, départe­ment, région, pays. Avant de se pencher sur l’étymologie de ces dif­férents noms, con­cen­trons-nous sur celle de ter­ri­toire, qui part vis­i­ble­ment de la terre.

De la terre à la Terre 

Le mot terre vient du latin ter­ra, désig­nant l’un des qua­tre élé­ments de l’Antiquité (feu, air, eau, terre). Il est lié au verbe tor­rere « séch­er » (cf. tor­ride), lui-même d’une racine indo-européenne *ters- (cf. l’anglais thirst « soif »). Le mot ter­ra désig­nait aus­si la terre ferme par oppo­si­tion à la mer, l’étendue des con­ti­nents, d’où la Terre. Dans ce même sens, le latin avait aus­si tel­lus (cf. les plaques tel­luriques). Le globe ter­restre était per­son­nifié par Tel­lus, la déesse Terre des Romains, nom­mée aus­si Ter­ra Mater. Mal­gré les apparences, il n’y a pas de rap­port établi entre tel­lus et ter­ra, qui sont sans rela­tion avec un autre nom latin humus « sol, terre », relié à une racine indo-européenne rel­a­tive à la terre et à l’homme. En effet, à humus se relie le nom homo, de l’homme, le ter­rien par oppo­si­tion au dieu céleste, celui qui est né de la terre. Ain­si dans la Bible, « Dieu mod­ela l’homme avec la glaise du sol » et le nom même d’Adam rap­pelle l’hébreu adama « terre ». L’attachement des humains à leur ter­ri­toire vient de loin.

De la terre au territoire

Déjà en latin, ter­ra a désigné aus­si une con­trée, habitée par une com­mu­nauté humaine. Dans ce sens, le latin employ­ait aus­si ter­ri­to­ri­um, un dérivé un peu inat­ten­du de ter­ra. Nor­male­ment, le suf­fixe -ium mar­que un lieu en rela­tion avec une activ­ité : prae­tor « pré­teur », d’où prae­to­ri­um « pré­toire », audi­tor « audi­teur », d’où audi­to­ri­um, resté le nom du lieu, et devenu audi­toire pour l’assistance. Par analo­gie sans doute, la finale -tori­um s’est appliquée à ter­ra, d’où ter­ri­to­ri­um, devenu ter­ri­toire en français, mais aus­si *ter­ra­to­ri­um en bas latin, puis ter­roier en ancien français, et enfin ter­roir, c’est-à-dire un ter­ri­toire agricole.

Un autre dérivé de ter­ra est ter­renus « for­mé de terre », d’où ter­renum, devenu en français ter­rain. De ter­ra vien­nent les trois appel­la­tions ter­rain, ter­roir et ter­ri­toire.

Les noms variés de quelques territoires

La France répub­li­caine n’est plus un roy­aume mais un pays, un nom plus terre à terre : il vient du latin pagus « borne fichée en terre », puis « ter­ri­toire délim­ité par des bornes », d’où pagen­sis « paysan » devenant pays, paysan, mais aus­si païen et pagan­isme. Le départe­ment, terme sim­ple­ment issu du latin par­tire « divis­er en par­ties », a rem­placé la province, du latin provin­cia, nom d’origine obscure mais rap­proché par éty­molo­gie pop­u­laire de vin­cere « vain­cre », rap­pelant que les provinces romaines étaient des ter­ri­toires con­quis. Puis est apparue la région, du latin regio « direc­tion, droite, fron­tière » puis « ter­ri­toire », un mot de la famille de regere « diriger », comme rex, reg­is « roi ». Ironie de l’étymologie, on retrou­ve en forçant le trait quelque chose de roy­al dans région, alors que l’arrondisse­ment aurait une forme de rond, mot dérivé du latin rota « roue » et que le can­ton, de l’ancien provençal can­ton « coin », serait un petit coin de campagne.

Épilogue

Rien de com­mun donc entre can­ton, arrondisse­ment, départe­ment, région, pays, ni d’ailleurs com­mune, déjà en latin com­mune, de cum « ensem­ble » et munis « rem­plis­sant son devoir ». La meilleure des éty­molo­gies pour un nom de col­lec­tiv­ité territoriale.


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