étymologie de la finance durable

Étymologie :
À propos de la finance durable

Dossier : La finance durableMagazine N°804 Avril 2025
Par Pierre AVENAS (X65)

S’agissant de finance durable, ce n’est pas la finance qui est durable mais l’objet du finan­ce­ment. C’est là une sorte de rac­cour­ci consis­tant à dépla­cer le qua­li­fi­ca­tif, ici durable, de l’objet finan­cé à l’agent finan­ceur. En rhé­to­rique, cette figure de style se nomme une hypal­lage, déjà pra­ti­quée par les Grecs anciens sous le nom hupal­la­gê, du verbe hupa­lat­tein « échan­ger ». Et pour res­ter dans les figures de style, si finance durable n’était pas une hypal­lage, ce serait un oxy­more éty­mo­lo­gique. En effet, finance se relie, éton­nam­ment peut-être, à la notion de fin, donc à l’opposé de durable (cf. Éty­mo­lo­giX de février 2019 à pro­pos du déve­lop­pe­ment durable).

De la fin à la finesse…

Le point de départ, concret comme tou­jours, est le latin finis « borne, limite », d’où finire, defi­nire « bor­ner », fini­tio « bor­nage », infi­ni­tus « sans borne », confi­nis « voi­sin », ou adfi­nis « limi­trophe »… Dès le latin, ces mots prennent des sens figu­rés qui se retrouvent en ancien fran­çais puis en fran­çais, fin, finir, défi­nir, fini­tion, infi­ni, confi­ner, ou l’adjectif affin, affine « en rap­port »… mais en outre, du nom fin dérive l’adjectif fin, fine qui prend deux grandes signi­fi­ca­tions, l’une concrète et l’autre abstraite.

La concrète est la plus récente : on consi­dère la « fin », c’est-à-dire le bout, l’extrémité d’un objet, là où ses dimen­sions rape­tissent et l’on en vient à l’idée de min­ceur, d’où fin, fine au sens de « mince », « aigu » comme pour une pointe fine, d’où aus­si (r)affiner « rendre fin ».

L’autre signi­fi­ca­tion, abs­traite, existe dès l’ancien fran­çais : on consi­dère que ce qui est fini, c’est com­plet, par­fait et donc de qua­li­té, d’où fin, fine au sens de « excellent, ce qu’il y a de meilleur », comme pour la fine fleur « l’élite ». Les deux signi­fi­ca­tions se retrouvent dans de nom­breux déri­vés : par exemple, on parle aus­si bien de la finesse d’un che­veu que de la finesse d’un raisonnement.

… et à la finance

L’excellence s’assimile à la pure­té pour une sub­stance, d’où l’or fin ou les pierres fines. En ancien fran­çais, on trou­vait la locu­tion argent fin, ou même du fin pour « de l’argent » et faire fin « payer », d’où est venu finer, variante de finir attes­tée au XIe siècle dans le sens de « ter­mi­ner une affaire en payant, payer ». C’est de ce verbe finer que vient finance, attes­té au XIIIe siècle, signi­fiant « res­source, argent », ce qui est néces­saire pour payer. Le mot s’appliquait même au paie­ment d’une ran­çon : une libé­ra­tion moyen­nant finance.

Alors que le verbe finer est tom­bé en désué­tude, le mot finance a pros­pé­ré, au sin­gu­lier et au plu­riel, les finances, y com­pris par ses déri­vés, comme le nom du finan­cier, attes­té selon le TLF en 1494 pour dési­gner celui qui manie les affaires d’argent, puis sous l’Ancien Régime, celui qui s’occupe des finances publiques. Curieu­se­ment, l’adjectif finan­cier, ière, appa­raît au XVIe siècle dans un usage très par­ti­cu­lier : l’écri­ture finan­cière, un type d’écriture manus­crite, ronde, fine et incli­née, uti­li­sée jusqu’au XXe siècle dans l’administration. L’Académie ne valide l’adjectif finan­cier dans l’usage cou­rant que dans la 6e édi­tion (1835) de son dictionnaire.

Enfin, le mot finance se retrouve dans les langues voi­sines, finan­za en ita­lien, finan­zas en espa­gnol, Finan­zen en alle­mand, finance en anglais, où le mot fine « amende » est une trace de l’ancien fran­çais finer « payer ».

Épilogue

En fait, les pro­blèmes éco­lo­giques sont sans fin et néces­sitent en défi­ni­tive un finan­ce­ment durable. In fine, on n’échappe pas à l’oxymore.

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