Étymologie :
À propos de la finance durable

S’agissant de finance durable, ce n’est pas la finance qui est durable mais l’objet du financement. C’est là une sorte de raccourci consistant à déplacer le qualificatif, ici durable, de l’objet financé à l’agent financeur. En rhétorique, cette figure de style se nomme une hypallage, déjà pratiquée par les Grecs anciens sous le nom hupallagê, du verbe hupalattein « échanger ». Et pour rester dans les figures de style, si finance durable n’était pas une hypallage, ce serait un oxymore étymologique. En effet, finance se relie, étonnamment peut-être, à la notion de fin, donc à l’opposé de durable (cf. ÉtymologiX de février 2019 à propos du développement durable).
De la fin à la finesse…
Le point de départ, concret comme toujours, est le latin finis « borne, limite », d’où finire, definire « borner », finitio « bornage », infinitus « sans borne », confinis « voisin », ou adfinis « limitrophe »… Dès le latin, ces mots prennent des sens figurés qui se retrouvent en ancien français puis en français, fin, finir, définir, finition, infini, confiner, ou l’adjectif affin, affine « en rapport »… mais en outre, du nom fin dérive l’adjectif fin, fine qui prend deux grandes significations, l’une concrète et l’autre abstraite.
La concrète est la plus récente : on considère la « fin », c’est-à-dire le bout, l’extrémité d’un objet, là où ses dimensions rapetissent et l’on en vient à l’idée de minceur, d’où fin, fine au sens de « mince », « aigu » comme pour une pointe fine, d’où aussi (r)affiner « rendre fin ».
L’autre signification, abstraite, existe dès l’ancien français : on considère que ce qui est fini, c’est complet, parfait et donc de qualité, d’où fin, fine au sens de « excellent, ce qu’il y a de meilleur », comme pour la fine fleur « l’élite ». Les deux significations se retrouvent dans de nombreux dérivés : par exemple, on parle aussi bien de la finesse d’un cheveu que de la finesse d’un raisonnement.
… et à la finance
L’excellence s’assimile à la pureté pour une substance, d’où l’or fin ou les pierres fines. En ancien français, on trouvait la locution argent fin, ou même du fin pour « de l’argent » et faire fin « payer », d’où est venu finer, variante de finir attestée au XIe siècle dans le sens de « terminer une affaire en payant, payer ». C’est de ce verbe finer que vient finance, attesté au XIIIe siècle, signifiant « ressource, argent », ce qui est nécessaire pour payer. Le mot s’appliquait même au paiement d’une rançon : une libération moyennant finance.
Alors que le verbe finer est tombé en désuétude, le mot finance a prospéré, au singulier et au pluriel, les finances, y compris par ses dérivés, comme le nom du financier, attesté selon le TLF en 1494 pour désigner celui qui manie les affaires d’argent, puis sous l’Ancien Régime, celui qui s’occupe des finances publiques. Curieusement, l’adjectif financier, ière, apparaît au XVIe siècle dans un usage très particulier : l’écriture financière, un type d’écriture manuscrite, ronde, fine et inclinée, utilisée jusqu’au XXe siècle dans l’administration. L’Académie ne valide l’adjectif financier dans l’usage courant que dans la 6e édition (1835) de son dictionnaire.
Enfin, le mot finance se retrouve dans les langues voisines, finanza en italien, finanzas en espagnol, Finanzen en allemand, finance en anglais, où le mot fine « amende » est une trace de l’ancien français finer « payer ».
Épilogue
En fait, les problèmes écologiques sont sans fin et nécessitent en définitive un financement durable. In fine, on n’échappe pas à l’oxymore.