Etymologie de la dette

Étymologie :
À propos de la dette

Dossier : DetteMagazine N°766 Juin 2021
Par Pierre AVENAS (X65)

La dette, c’est ce qui est à un tiers, ce que l’on doit rem­bours­er, ce dont on est redev­able, et c’est un devoir pour le débi­teur de s’en acquit­ter, ce qui ren­voie six fois au verbe devoir, par lequel l’étude du mot dette doit commencer.

La dette et le débit

Le verbe devoir vient du latin debere, de même sens, avec l’évolution habituelle de la con­sonne /b/ en /v/. Le par­ticipe passé de debere est deb­i­tum « dû », util­isé comme un nom, deb­i­tum « ce qui est dû », d’où en français débit, au sens financier (puis dans des sens fig­urés non détail­lés ici, tels que le débit d’un fleuve). D’autre part, le nom neu­tre deb­i­tum avait pour pluriel en latin deb­i­ta, pris en bas latin pour un nom féminin, deb­i­ta, d’où en ancien français debt, dete et finale­ment dette en français, où coex­is­tent des dou­blets éty­mologiques : débit, le terme savant opposé à crédit en compt­abil­ité, et dette, le terme pop­u­laire, util­isé aus­si en économie.

La ques­tion est main­tenant de com­pren­dre ce verbe latin debere ; il est com­posé de deux élé­ments, mais cela ne se voit pas d’emblée.

Une dette doit être remboursée

En effet, le verbe latin debere se com­prend comme [de + habere], où le pré­fixe de sig­ni­fie « retiré à », et où habere « avoir » est à l’origine même d’avoir en français, avec la même évo­lu­tion phoné­tique de /-bere/ à /-voir/ que celle de debere à devoir.

Et donc debere sig­ni­fie lit­térale­ment « avoir (quelque chose qui est) retiré à (quelqu’un) ». Le mot dette insiste sur le fait que la somme emprun­tée appar­tient à un tiers, et qu’il fau­dra la ren­dre. Ces noms dette et débit ont des équiv­a­lents dans les langues romanes, en ital­ien deb­ito, en espag­nol deu­da, débito…, ain­si qu’en anglais, debt et deb­it emprun­tés à l’ancien français, et même en alle­mand Debet, pour le débit compt­able. Du latin debere vien­nent aus­si en anglais, par l’anglo-normand, l’adjectif due « qui est dû, qui va arriv­er », d’où duty « droit à pay­er, devoir » (cf. duty free). Cepen­dant le verbe devoir, en ital­ien dovere, en espag­nol deber…, se traduit en anglais par to owe, d’origine tout autre.

Dans les langues germaniques

En vieil-anglais, to owe ne sig­nifi­ait pas « devoir », mais « pos­séder », d’une racine indo-européenne *oik- rel­a­tive à la pos­ses­sion. Le par­ticipe passé de to owe (alors irréguli­er) était own, qui a été com­pris comme un adjec­tif, own « pro­pre, à soi » (équiv­a­lent de l’allemand eigen, de même sens). C’est de là que vient le verbe to own « pos­séder », alors que le sens de to owe (devenu réguli­er, owed) a glis­sé de « avoir » à « devoir » en pas­sant par « avoir quelque chose qui doit être payé ». D’où l’étrange ressem­blance entre to own « avoir, pos­séder » et to owe « devoir », dont l’étymologie incit­erait en quelque sorte à effac­er la dette ! A con­trario, l’allemand Schuld « dette », d’origine nor­roise, sig­ni­fie aus­si « faute », comme si l’endettement en alle­mand était une faute…, avant même le suren­det­te­ment (cf. la règle des 3 % de l’Union européenne).

À ces dif­férentes façons de nom­mer la dette, s’ajoute un autre point de vue plus large.

Épilogue

En latin, l’adjectif mutu­us sig­ni­fie à la fois « emprun­té » et « prêté » et se relie à une racine indo-européenne rel­a­tive à l’échange (cf. l’Éty­mologiX à pro­pos de l’Europe poli­tique, janv. 2021). La dette doit alors con­cré­tis­er une mutu­al­i­sa­tion entre prê­teur et emprun­teur. Cette con­fi­ance réciproque est d’autant plus néces­saire que les enjeux sont élevés, et plus encore lorsque la dette est mutu­al­isée entre les états de l’UE.

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