Étude de l’association Espaces pour demain relative à la répartition des sols en France en 2050

Dossier : La France en 2050Magazine N°603 Mars 2005
Par Jean-Pierre BOURGIN

Préambule

Devant l’ex­plo­sion, dans les années qua­tre-vingt-dix, d’une série d’opin­ions aus­si péremp­toires que défini­tives exprimées dans les médias telles que :

  • sauvons la forêt française,
  • vive le pét­role vert, la France n’a pas de pét­role mais elle a des idées,
  • le manque d’e­spaces blo­quera la crois­sance urbaine et le développe­ment des infrastructures,


les mem­bres de l’as­so­ci­a­tion Espaces pour demain se sont légitime­ment inter­rogés sur la per­ti­nence de ces affir­ma­tions énon­cées même par­fois sous forme de slogans.

Dans cette per­spec­tive l’as­so­ci­a­tion a décidé dès 1992 de lancer une étude sur la répar­ti­tion des sols en France à l’hori­zon 2050.

Il ne peut être ques­tion dans le cadre de cet arti­cle d’évo­quer, même d’une manière suc­cincte, toutes les con­clu­sions et recom­man­da­tions de cette étude aus­si nous nous bornerons à une courte présen­ta­tion focal­isée sur la méthodolo­gie employée et les prin­ci­paux résul­tats obtenus.

Organisation

Le dis­posi­tif mis en œuvre comprenait :

  • un groupe de tra­vail com­posé d’une quin­zaine de mem­bres permanents ;
  • une pléi­ade d’in­ter­venants occa­sion­nels d’o­rig­ines les plus divers­es1, sus­cep­ti­bles d’ap­porter un éclairage orig­i­nal et remar­quable sur tel ou tel aspect des prob­lèmes étudiés ;
  • enfin un comité de rédac­tion, directe­ment ani­mé par l’as­so­ci­a­tion, regroupait thésards et bénévoles.


Au total, une quar­an­taine de per­son­nal­ités et d’ex­perts, agis­sant à titre per­son­nel et en toute liber­té intel­lectuelle, a par­ticipé aux travaux.

Méthodologie

Le car­ac­tère très ambitieux de l’hori­zon embrassé (cinquante-huit ans) a eu deux corol­laires importants :

  • la mise en œuvre d’un principe assez con­nu selon lequel une solide étude de rétro­spec­tive est un préam­bule très utile, voire indis­pens­able, à une saine prospective,
  • la par­tie rétro­spec­tive de l’é­tude a con­sisté à remon­ter jusqu’en 1850, parce que c’est vers cette époque qu’avec l’es­sor des sci­ences et des tech­niques ont com­mencé l’ex­ode agri­cole, le développe­ment de l’in­dus­trie, la crois­sance des villes, mar­quant ain­si le début d’une phase nou­velle de l’his­toire de l’oc­cu­pa­tion des sols et des paysages en France.


La néces­sité d’en­cadr­er la prospec­tive de base, qui sera évo­quée ci-après, par une sorte de “test de sen­si­bil­ité” con­sis­tant à envis­ager non plus le main­tien, pour l’essen­tiel, du sys­tème économique, social et insti­tu­tion­nel que nous con­nais­sons aujour­d’hui (hypothèse de la prospec­tive de base), mais deux vari­antes extrêmes :

  • la “recherche per­ma­nente du prof­it à court terme” (que d’au­cuns auraient appelé “ultra-libéral­isme”) sans grande préoc­cu­pa­tion du long terme, sans ménage­ments par­ti­c­uliers pour la ressource sol qu’elle soit qual­i­ta­tive (épuise­ment, dégra­da­tion) ou quan­ti­ta­tive (équili­bre du territoire) ;
  • l’é­colo­gie pro­fonde (plus con­nue sous sa ver­sion anglaise “deep ecol­o­gy”) con­sis­tant à rejeter la démarche anthro­pocen­trique qui nous est famil­ière, en par­ti­c­uli­er depuis le XVIIIe siè­cle, au prof­it d’une pri­mauté accordée à la préser­va­tion de la biosphère, des écosystèmes.

Carte extraite de l’étude “Espaces pour 2050”.
L’étude a pris en con­sid­éra­tion (entre autres) les espaces pro­tégés (10 % du ter­ri­toire nation­al à l’époque).


Rétrospective

La rétro­spec­tive 1850–1990 a con­duit à soulign­er quelques don­nées (en principe con­nues) telles que :

  • la très forte réduc­tion de la pop­u­la­tion active agri­cole, aus­si bien en valeur absolue qu’en valeur rel­a­tive (par rap­port à la pop­u­la­tion active totale) ;
  • l’ab­sence, en dépit de cette réduc­tion de la pop­u­la­tion active agri­cole, de réduc­tion sig­ni­fica­tive de la sur­face agri­cole util­isée (S.A.U.) grâce à une très forte aug­men­ta­tion de la pro­duc­tiv­ité de l’agriculture ;
  • l’aug­men­ta­tion impor­tante de la sur­face boisée ;
  • le rétré­cisse­ment ressen­ti de l’e­space, grâce aux pro­grès des moyens de transport.


Facteurs d’évolution

Les fac­teurs d’évo­lu­tion, calés sur l’é­tude rétro­spec­tive puis util­isés pour la prospec­tive, ont été réca­pit­ulés en trois familles :

  • pop­u­la­tion (nom­bre, com­po­si­tion, répar­ti­tion sur le territoire),
  • tech­niques (trans­ports et télé­com­mu­ni­ca­tions — énergie — agronomie),
  • admin­is­tra­tion et amé­nage­ment du ter­ri­toire (décen­tral­i­sa­tion — Europe — espaces protégés).


Quelques résultats

En matière de démo­gra­phie la sit­u­a­tion au milieu du XXIe siè­cle sera forte­ment influ­encée par les poli­tiques publiques à venir (poli­tique famil­iale — poli­tique d’im­mi­gra­tion) ce qui a con­duit à une fourchette assez large de 47 à 70 millions.

En ce qui con­cerne la pop­u­la­tion active agri­cole, la pour­suite de sa baisse appa­raît inéluctable, mais accom­pa­g­née de muta­tions pro­fondes, en par­ti­c­uli­er sur le plan de la qualification.

Sur un plan plus général, quelques ten­dances lour­des ont pu être dégagées :

  • pour­suite, notam­ment sous l’im­pul­sion de l’U­nion européenne d’une poli­tique d’amé­nage­ment du ter­ri­toire, en par­ti­c­uli­er en faveur des zones rurales,
  • pour­suite du développe­ment des sites et espaces protégés,
  • pour­suite d’une cer­taine diminu­tion de la S.A.U. qui pour­rait ten­dre vers 28 mil­lions d’hectares (con­tre un peu plus de 30 aujourd’hui).


Les fac­teurs de cette évo­lu­tion sont cepen­dant com­plex­es, les pro­grès tech­niques (avec ou sans OGM) ten­dent à la réduc­tion ; les cul­tures indus­trielles (fil­ière ami­don, fil­ière bio­car­bu­rants) ten­dent à frein­er cette réduction.

Le développe­ment ain­si amor­cé (et d’ailleurs volon­tariste) des bio­car­bu­rants ne pour­ra cepen­dant jamais con­stituer un apport énergé­tique du même ordre de grandeur que l’actuelle con­som­ma­tion de pét­role, tant s’en faut. Force sera donc d’avoir recours à d’autres sources d’én­ergie, y com­pris le nucléaire.

Enfin on peut prévoir que la sur­face boisée con­tin­uera à croître à un rythme de l’or­dre de 1 % du ter­ri­toire tous les dix ans, ce qui l’amèn­erait vers 2050 à un tiers du ter­ri­toire, soit 17,6 mil­lions d’hectares (con­tre un plus de 15 actuellement).

Quelques enseignements

La France dis­pose de l’e­space néces­saire, hormis peut-être le long du couloir rhé­nan et surtout rho­danien, pour per­me­t­tre son développe­ment har­monieux sans que pour autant soit nég­ligée l’im­périeuse néces­sité du main­tien en bon état du pat­ri­moine national.
Jamais, depuis de nom­breux siè­cles, la forêt française n’a été en aus­si bonne san­té sur une sur­face aus­si importante.

Le pét­role vert, pour intéres­sant qu’il soit, ne pour­ra con­stituer à lui seul une alter­na­tive au pét­role quand se fer­ont sen­tir, dans les années 2050, les pre­miers frémisse­ments de l’ar­rivée de l’ère postpétrolière.

Le ter­ri­toire français, fer­tile, var­ié, vaste et sus­cep­ti­ble d’u­til­i­sa­tions mul­ti­ples, sou­vent réversibles (exem­ple : refor­esta­tion de sur­faces agri­coles dev­enues excé­den­taires) con­stitue un atout considérable.

Cepen­dant, les vari­a­tions évo­quées ci-dessus dans la par­tie méthodologique à titre de test de sen­si­bil­ité con­stituent des sujets de préoc­cu­pa­tions : une évo­lu­tion dans le sens de l’une d’en­tre elles (même sans aller jusqu’au bout de ses pos­tu­lats) pour­rait com­pro­met­tre grave­ment les poten­tial­ités de notre ter­ri­toire, en le saccageant ou en le stéril­isant. Ces vari­antes appa­rais­sent donc comme des dérives dan­gereuses2.

En guise de conclusion

Tout ou par­tie des résul­tats d’une étude qui remonte main­tenant à plus de dix ans mérit­erait sans doute d’être nuancés ou complétés.
Il appa­rais­sait cepen­dant intéres­sant, dans la con­jonc­ture actuelle, de rap­pel­er cette étude, qui témoigne de la réma­nence des préoc­cu­pa­tions qui con­duisent aujour­d’hui à leur con­sacr­er un numéro thé­ma­tique de La Jaune et la Rouge.

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1. Hauts fonc­tion­naires et experts du Com­mis­sari­at général au Plan du min­istère de l’Équipement plus spé­ciale­ment du C.G.P.C., du min­istère de l’A­gri­cul­ture plus spé­ciale­ment du C.G.G.R.E.F. et du ser­vice sta­tis­tiques, du min­istère de l’En­vi­ron­nement, du Con­seil nation­al du Tourisme ; cadres dirigeants de la S.N.C.F., de La Poste, de France Télé­com, d’EDF, de l’O.N.F. mais aus­si de divers­es organ­i­sa­tions pro­fes­sion­nelles agri­coles ; pro­fesseurs d’u­ni­ver­sités, chercheurs notam­ment de l’I.N.R.A.
2. Une cita­tion d’Hu­bert REEVES “Il faut à la fois préserv­er l’in­dus­trie qui nous fait vivre et la nature qui nous per­met de vivre” con­sti­tu­ait la devise de l’as­so­ci­a­tion Espaces pour demain. Il s’ag­it, en sub­stance, d’une pro­fes­sion de foi pour le développe­ment durable.

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