Et si on plantait des forêts sur la Lune ?



Le projet Spring vise à démontrer qu’il est possible pour la vie de prospérer en autonomie dans l’espace. Il débouche sur l’idée que nous pourrions implanter un écosystème vivant en autosuffisance sur le sol lunaire. Mais serait-il possible, serait-il envisageable qu’on plante des forêts sur la Lune ? Quel serait alors le message porté dans l’espace et sur Terre ? Spring ouvre cette réflexion à travers le monde et les disciplines avec la perspective de faire de l’espace un enjeu partagé, dépassant les frontières des grandes agences et des entreprises privées.
Les premières formes de vie sur Terre remontent à 3,5 milliards d’années, soit un petit milliard d’années seulement après la formation de notre planète. À ses débuts pourtant, la Terre était loin d’être accueillante : pas d’oxygène dans l’atmosphère, un volcanisme effréné, un bombardement quasi continu de météorites et un sol stérile. Il aura fallu 3,5 milliards d’années pour rendre la Terre habitable par l’humain.
3,5 milliards d’années pour que des algues primitives photosynthétisent sans relâche, jusqu’à changer la composition de l’atmosphère.
3,5 milliards d’années pour que la vie sorte des océans et que les plantes s’affirment en maîtres de la planète, représentant 82 % de toute la biomasse terrestre, loin devant les petits 0,01 % que représentent les humains.
3,5 milliards d’années et cinq extinctions massives, pour que notre biosphère devienne celle que l’on connaît aujourd’hui.
Au-delà de notre planète, le mystère plane toujours. L’astrobiologie fait des bonds de géant ces dernières années et décèle de solides candidatures parmi les milliers d’exoplanètes de la Galaxie. Mais, pour l’instant, impossible d’affirmer le contraire : nous sommes seuls dans l’immensité de l’Univers.
Étendre la biosphère au-delà de la Terre : la mission de Spring
Pendant que l’on se tourne vers l’espace extra-atmosphérique pour y trouver de la vie, l’intensité des activités humaines à l’ère industrielle est source de destruction de cette biodiversité si unique dans l’Univers. Selon toute vraisemblance, la seule trace qui restera de l’Homo sapiens dans quelques milliards d’années sera la concomitance de son règne avec l’Anthropocène, correspondant au début de la sixième extinction massive des espèces. Il n’y a que peu de raisons de penser que cette sixième extinction ne se terminera pas comme les cinq précédentes : une terrible hécatombe suivie de l’explosion d’une nouvelle biodiversité.
“Démontrer que les écosystèmes
sont autonomes dans l’espace
autant qu’ils le sont sur Terre.”
Avec cette strate géologique bien distincte, notre espèce aura laissé derrière elle un triste héritage. Et pourtant l’humanité est capable d’un exploit unique : voyager d’une planète à une autre. Cette aptitude, qui pourrait rester anecdotique, a pourtant le potentiel de permettre à la vie de s’implanter sur de nouveaux territoires. Et si l’humanité portait l’heureuse responsabilité d’une nouvelle expansion de la biosphère au-delà de ses frontières actuelles ? Telle est la vision que porte l’association The Spring Institute for Forests on the Moon. L’objectif est à très long terme, c’est le moins que l’on puisse dire, mais permet de concevoir des jalons intermédiaires pour s’en approcher. Première étape de ce long voyage : démontrer que les écosystèmes sont autonomes dans l’espace autant qu’ils le sont sur Terre.
The Spring Institute for Forests on the Moon
Fondé entre autres par deux anciens responsables du Centre spatial étudiant de Polytechnique, Louise Fleischer (X13) et Florian Marmuse (X12), cet institut de recherche à but non lucratif s’est constitué autour d’un but symbolique enraciné dans son nom : planter des forêts sur la Lune.
Un écosystème fermé en microgravité : SCAMPI
Projet phare de l’association, SCAMPI consiste en la conception d’une écosphère, un microaquarium contenant des crevettes, des algues et des microbes, qui sera envoyé dans l’ISS (Station spatiale internationale) en 2026. Sous la direction de Tarek Ben Slimane (X15, responsable projet FuseX 2019-2023), le projet a su convaincre l’ESA Academy qui lui apporte son soutien logistique et le Cnes qui lui apporte son soutien financier. SCAMPI vise à étudier l’impact de la microgravité sur la dynamique de cet écosystème aquatique fermé avec le concours d’une équipe multidisciplinaire – botanique, biologie, bioinformatique, microbiologie, génie mécanique… – au sein de laquelle des étudiants polytechniciens ont pu effectuer leur projet scientifique collectif (PSC) (SCAMPI X2023 et SCAMPI X2024).
Au cours des trois mois que durera la mission, seul l’environnement thermique et lumineux de l’aquarium sera contrôlé, afin de maintenir des conditions favorables à l’écosystème. Les populations de crevettes et d’algues ainsi que la flore microbienne évolueront en autarcie. Des échantillons récoltés en amont et en aval de la mission seront comparés à un groupe contrôle resté à terre, afin d’évaluer l’influence de la microgravité sur ce système fermé. Spring émet l’hypothèse que, s’il est possible que l’équilibre du système évolue, celui-ci restera cependant fonctionnel. Spring ne cherche pas à mettre en place des jachères, mais bien à prouver la résilience des friches.
J’irai planter des forêts sur la Lune
SCAMPI n’est que la première étape d’une aventure sur plusieurs siècles. Si le projet est tourné vers la Lune, il est surtout le porte-drapeau de réflexions bien ancrées dans nos réalités terrestres. Notre satellite naturel, distant de moins de 400 000 km, est un environnement extrême, plus que n’importe quel désert terrestre présent ou à venir. Y établir des habitats lunaires autosuffisants et pérennes serait la parfaite représentation de la circularité ultime des éléments indispensables à la vie (eau, nutriments, oxygène). La présence prolongée d’astronautes sur la Lune ou sur Mars nécessiterait ainsi de construire un support-vie biorégénératif, avec un ravitaillement minimal en ressources depuis la Terre.
Les agences spatiales se penchent déjà avec sérieux sur la faisabilité d’une telle installation à l’horizon de quelques décennies. À l’Agence spatiale européenne, le programme Melissa a développé un système de régénération des eaux usées, déjà déployé dans son siège social et à Roland-Garros. Spring s’inscrit dans la continuité de ces travaux, notamment en se penchant sur le recyclage des eaux noires des bases lunaires par phytoépuration, procédé naturel de filtration ou de dépollution des eaux usées par les plantes. Ainsi, le programme The Marshian entend spatialiser le concept de filtre planté qui a déjà fait ses preuves sur Terre. Transposer des solutions locales et low-tech au milieu du spatial permet à Spring de s’inscrire dans des réflexions environnementales, sociales et politiques actuelles.

les cycles de l’oxygène et des nutriments pour former un écosystème stable sur le long terme.

Les ressources matérielles et symboliques
À l’ère de l’Anthropocène, l’exploitation et le partage des ressources matérielles et symboliques sont des objectifs fondamentaux que Spring met en relation avec l’exploration spatiale. À qui appartiennent la Lune, le ciel, les étoiles ? Quelques nations seulement prennent des décisions qui ont un impact sur le ciel qui appartient à toutes et tous, soulevant des questions éthiques dépassant le cadre du spatial. La commercialisation de l’espace a déjà modifié le ciel nocturne en ouvrant la voie à des milliers de satellites qui strient la nuit silencieusement dans leurs nuées de métal.
Dans son objectif symbolique, Spring pose indirectement une question : accepterions-nous que la Lune verdisse ? Cette réponse serait-elle la même sur tous les continents ? Dans toutes les disciplines ? Spring souhaite ouvrir le débat au stade même de la réflexion, dans une logique de démocratisation de ces questions planétaires. Avec plus de soixante-dix volontaires actifs tout autour du globe, l’approche pluridisciplinaire de Spring continue d’ouvrir le dialogue entre des profils issus des STEM, des artistes et des chercheurs en sciences humaines. Les actions de médiation et d’« aller vers » dépassent les frontières de l’institut grâce à des interventions en milieu scolaire, du primaire à l’université, à l’organisation de hackathons internationaux (Rwanda, Tunisie, France, États-Unis, Chine) et à un projet de résidence artistique en milieu rural.
Spring œuvre pour que l’espace ne soit pas l’apanage de quelques nations ou personnes, mais bien du vivant dans son ensemble. Et, si l’attention médiatique se concentre aujourd’hui sur la poignée d’élus qui participent à des vols habités après des années de sélection et de rigoureux entraînements, il se pourrait que les candidats les plus performants à représenter la Terre au-delà de la planète soient… des plantes.
Les systèmes de survie biorégénératifs sont des écosystèmes artificiels constitués de nombreuses relations symbiotiques complexes entre des plantes supérieures, des animaux et des micro-organismes.





