Est-elle retrouvée ? Quoi ? ” La Chasse spirituelle ”

Dossier : Arts, Lettres et SciencesMagazine N°703 Mars 2015Rédacteur : Jonathan CHICHE (05)

Au cours de cent quar­ante années de quête autour de La Chas­se spir­ituelle, man­u­scrit per­du d’Arthur Rim­baud, si nom­breux sont les témoignages diver­gents, les inco­hérences, les fauss­es pistes, les men­songes, les secrets, les brouil­lages volon­taires de cartes, les coups bas, les insultes et les règle­ments de comptes, que qual­i­fi­er de per­plex­ité le sen­ti­ment qu’ils font naître relèverait de la litote.

Pour évo­quer ce célèbre « texte per­du retrou­vé qui se révèle faux mais peut-être en par­tie seule­ment », nous nous appuierons sur l’ouvrage de syn­thèse présen­té par Jean- Jacques Lefrère1.

Les ver­sions de l’histoire générale­ment présen­tées, qu’il serait char­i­ta­ble de qual­i­fi­er de peu rigoureuses, com­men­cent par met­tre en doute, quand ce n’est pas en exclure la pos­si­bil­ité, l’existence même, dès 1872, de ce man­u­scrit de Rim­baud que Ver­laine affir­mait alors avoir oublié chez sa belle-famille.

Rien ne se passerait jusqu’à ce qu’Akakia Viala et Nico­las Bataille, afin de se venger de cri­tiques émis­es à l’encontre de leur mise en scène de 1948 d’Une sai­son en enfer, n’entreprennent la rédac­tion d’un texte présen­té comme une copie du fameux man­u­scrit, qu’ils pré­ten­dent con­servé chez un col­lec­tion­neur anonyme.

Après quelques rup­tures de promess­es de con­fi­den­tial­ité, la pub­li­ca­tion du texte sous le nom de Rim­baud par le Mer­cure de France se trou­ve annon­cée par le jour­nal Com­bat du 19 mai 1949, lequel imprime quelques phras­es de l’œuvre en exclusivité.

Suiv­ant tou­jours les par­ti­sans de ver­sions présen­tant l’avantage d’être sim­ples mais l’inconvénient d’être fauss­es, André Bre­ton dénonce aus­sitôt l’imposture sur la base de ces seules cita­tions ; les deux auteurs, eux, devant l’ampleur prise par l’affaire à leur insu, se dénon­cent et don­nent toutes les preuves néces­saires à la con­clu­sion des débats, dont sor­tent décon­fits l’éditeur et les cri­tiques Mau­rice Nadeau, Mau­rice Sail­let et Pas­cal Pia.

En fait, Bre­ton, s’il a fait preuve de courage, s’appuyait égale­ment sur des sources qu’il a tues. Il est par ailleurs remar­quable que les détracteurs du texte pub­lié par le Mer­cure ont avancé bon nom­bre d’arguments ne résis­tant pas à l’examen, quand il ne s’agissait pas de sim­ples attaques ad hominem, dont l’on peut s’étonner que cer­tains leur accor­dent encore valeur de démonstration.

Cela ne sig­ni­fie pas pour autant que les par­ti­sans de l’authenticité, même par­tielle, soient tous sor­tis gran­dis des querelles dont la lec­ture de la presse de l’époque per­met de pren­dre la mesure.

En 2010, Jean-Jacques Lefrère se voy­ait con­firmer des soupçons de longue date relat­ifs à la par­tic­i­pa­tion de Pia dans la con­fec­tion du faux, par la pro­pre fille du cri­tique, dont on ne pour­rait donc défini­tive­ment plus affirmer qu’il s’est lais­sé bern­er. Cette révéla­tion ne démon­tre pas non plus le car­ac­tère con­trou­vé de l’intégralité du texte.

Pia lui-même affir­mait avoir eu vent de la ces­sion, « vers 1905 ou 1908 », par le mys­térieux Charles Car­ring­ton, d’un man­u­scrit de cette œuvre de Rim­baud. S’il est très risqué de con­clure quant au bien-fondé des rumeurs divers­es por­tant sur l’identité des pos­sesseurs ultérieurs de cet hypothé­tique doc­u­ment à l’origine assez peu claire pour que son éventuel déten­teur puisse tenir à ne pas se faire con­naître, des bruits couraient vers 1949 quant à l’existence de pho­togra­phies d’un manuscrit.

L’édition de 1949 com­po­sait l’intégralité du texte en car­ac­tères romains. Celle de 2012 met en valeur cer­tains pas­sages par l’emploi d’italiques qu’aucune glose ne vient jus­ti­fi­er dans le vol­ume, mal­gré la « post­face » de plus de deux cent cinquante pages.

En qua­trième de cou­ver­ture, sans plus d’explication, le lecteur décou­vre la repro­duc­tion pho­tographique d’une page man­u­scrite dont le texte cor­re­spond à cinq para­graphes en italiques dans le vol­ume. On aimerait donc croire que les italiques cor­re­spon­dent à ce que l’on peut affirmer être de Rim­baud sur la base de doc­u­ments préservés.

Peut-être ces derniers sor­tiront-ils enfin de l’ombre, s’ils existent ?

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1. Arthur Rim­baud, La Chas­se spir­ituelle, post­face de Jean-Jacques Lefrère, Édi­tions Léo Scheer, 2012.

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