Portrait d'Éric Féron

Éric Féron (86), de l’optimisation convexe aux animaux à roues

Dossier : TrajectoiresMagazine N°752 Février 2020
Par Éric FÉRON (86)
Par Pierre LASZLO

Ce pro­fesseur des grandes uni­ver­sités améri­caines — Geor­gia Tech à Atlanta, après le MIT — a une fibre his­to­ri­enne : sa mod­estie le fait citer quelqu’un d’autre, un ini­ti­a­teur, pour cha­cune de ses mul­ti­ples activ­ités, qu’il s’agisse d’un ancêtre, d’un précurseur ou de l’un de ses enseignants de Palaiseau.

De qui tenir

Des exem­ples ? Dans sa famille : le cheva­lier Christophe Paulin de La Poix de Fréminville (1787–1848), un marin, cap­i­taine des fré­gates du Roi ; Antoine Joseph de La Poix de Fréminville (1821–1888), X1841, mem­bre de l’Académie des sci­ences et pro­fesseur à l’École cen­trale, qui dirigea les con­struc­tions navales à Lorient.

La pas­sion pour l’air de ce pro­fesseur d’aéronautique ? Un grand-père avi­a­teur des années 30, ami de Mau­rice Bel­lonte (le coéquip­i­er de Dieudon­né Costes pour la pre­mière tra­ver­sée est-ouest de l’Atlantique Nord en 1930) ; l’abbé Jean Robin, son enseignant au lycée Bossuet, pas­sion­né de mod­élisme, créa­teur de maque­ttes de pla­neurs et pilote instructeur.

Son engage­ment pro­fes­sion­nel ? Se col­leter avec des prob­lèmes pra­tiques ardus, comme des méth­odes avancées d’optimisation et de local­i­sa­tion d’invariants dans des logi­ciels de con­trôle, par exem­ple les logi­ciels d’asservissement de l’A‑380. Il l’impute à des col­lègues du MIT, « des vision­naires ». Répon­dre à des prob­lèmes, tels que mesur­er la com­plex­ité de la cir­cu­la­tion aéri­enne : il cite élo­gieuse­ment Stéphane Puech­morel (lui aus­si X86), de l’Enac à Toulouse, et note que le prob­lème de com­plex­ité du traf­ic pié­ton, auto­mo­bile ou aérien, même s’il est triv­ial à for­muler, est loin d’être résolu.

Tou­jours pour l’optimisation : les enseignants l’ayant ori­en­té vers Stan­ford après l’X, Patrick Cousot et Claude Puech avec leur DEA d’informatique, math­é­ma­tiques, et appli­ca­tions, Pierre Fau­rre (60), fon­da­teur du Cen­tre automa­tique et sys­tèmes des Mines, « le meilleur au monde », que dirige à présent Pierre Rou­chon (80) ; Pierre Bern­hard (64), qui dirigea l’Inria à Sophia-Antipolis.

Un précurseur au XVIIIe siècle

En opti­mi­sa­tion, dont Éric Féron est l’un des chefs de file mon­di­aux : Éti­enne Bézout (1730–1783). Lors d’un pas­sage par l’Onera à ­Toulouse, il y ren­con­tra l’un des chercheurs, Alain Le Pourhi­et, pro­fesseur à Sup’Aéro, qui lui procu­ra à un prix dérisoire l’édition orig­i­nale de la Théorie générale des équa­tions algébriques (1779). L’un des col­lègues de Féron au MIT, l’enseignant d’informatique Pablo A. Par­ri­lo, y avait présen­té un sémi­naire, Sum of squares, sur les opti­mi­sa­tions poly­no­mi­ales. Hilbert était tenu pour le grand savant les ayant intro­duites. En réal­ité, Bézout en était le précurseur. Afin de lui en restituer le mérite, Éric Féron tint à traduire en anglais ce traité, que Prince­ton Uni­ver­si­ty Press pub­lia en 2006.

Se pos­er des prob­lèmes non seule­ment ardus mais décoif­fants : con­cevoir une évo­lu­tion vers des ani­maux à roues, plutôt qu’à pattes. Il prit un brevet sur les bagages à roues ne tor­dant pas le poignet. Il a con­stru­it un sys­tème à roue sans essieu. Son arti­cle sur le sujet cite à la fois Claude Bernard et Paul Dirac, ce dernier pour le célèbre prob­lème de la rota­tion sur 720° d’un verre plein sans le ren­vers­er – en ter­mes tech­niques, la dou­ble cou­ver­ture de SO(3) par SU(2).

“Se poser des problèmes
non seulement ardus mais décoiffants.

Un polytechnicien complet

Ce math­é­mati­cien eut une enfance et une sco­lar­ité parisi­ennes : mater­nelle à côté du Jardin des Plantes, pri­maire dans le 14e ; exter­nat aux lycées Bossuet et Mon­taigne, pré­pa à Louis-le-Grand – avec une enseignante de maths excep­tion­nelle, proche d’Élie Car­tan, Chan­tal de Zamaroczy.

Il pra­tique la voile avec jubi­la­tion. Ce fut sa sec­tion sportive à Palaiseau, que l’administration de l’École soute­nait avec de gros moyens. En 1987, il fit le tour de France à la voile. À présent, il gare son petit bateau sur un lac au nord d’Atlanta ; il le remorque pour se régaler de nav­i­ga­tions au long de la Floride, de la Géorgie, de la Car­o­line du Nord.

Son engage­ment musi­cal ? À l’École, il fit par­tie du petit groupe, focal­isé sur le syn­thé­tiseur, créé par Alain Bonar­di (86). Ce dernier pas­sa ensuite par l’Ircam, devint musi­cien pro­fes­sion­nel et ­com­pos­i­teur de musique élec­tron­ique. Éric Féron, pianiste ama­teur, est amoureux de musique clas­sique et d’opéra. Atlanta est bien ­pourvue en con­certs et représentations.

Sa femme, elle aus­si française, et lui ont eu trois filles, améri­caines, adultes à présent, dont il est extrême­ment fier. Sa qual­ité la plus engageante pour­rait bien être son tal­ent d’expression : tou­jours avec fran­chise, allant droit au but, claire­ment et sans jamais se met­tre en avant.


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