Entreprendre dans le logiciel

Dossier : Économie numérique : Les succèsMagazine N°675 Mai 2012
Par Pierre HAREN (73)

REPÈRES

REPÈRES
Toutes les télé­com­mu­ni­ca­tions par télé­phone ou Inter­net n’existent que parce que des mil­lions de lignes de code fonc­tionnent cor­rec­te­ment dans les com­mu­ta­teurs et tout au long du réseau pour ache­mi­ner nos conver­sa­tions. Tout le com­merce élec­tro­nique dépend de chaînes logis­tiques d’une grande com­plexi­té, gérées par infor­ma­tique, au niveau de l’usine pro­dui­sant les biens com­man­dés, puis dans les dif­fé­rentes étapes de trans­port : l’ubi­qui­té du logi­ciel est une évidence.

Notre vie quo­ti­dienne est dépen­dante de l’industrie du logiciel.

Les appa­reils qui nous entourent sont de plus en plus intel­li­gents, inter­con­nec­tés et autonomes

Qui s’étonne encore de pou­voir par­ler par Skype à un membre de sa famille à l’autre bout de la pla­nète, ou de regar­der une vidéo en temps réel, alors que toute la conver­sa­tion ou la vidéo est tron­çon­née en petits paquets de don­nées qui voyagent tous indé­pen­dam­ment et sont recons­ti­tués à l’autre bout avec une qua­li­té ahu­ris­sante ? Ache­ter par Inter­net en se fai­sant livrer le colis à sa porte est sou­vent moins oné­reux que d’aller cher­cher soi-même l’objet dans un magasin.

Planète intelligente

Tous les appa­reils qui nous entourent sont de plus en plus intel­li­gents, inter­con­nec­tés et auto­nomes grâce à des mil­lions de lignes de logi­ciel. IBM pro­meut le concept de « pla­nète intel­li­gente », qui ras­semble les concepts d’instrumentation, de télé­com­mu­ni­ca­tions et de trai­te­ment intel­li­gent pour fusion­ner et inter­pré­ter d’immenses quan­ti­tés de don­nées sur dif­fé­rents sys­tèmes afin d’optimiser leur per­for­mance : villes intel­li­gentes, sys­tèmes de dis­tri­bu­tion d’énergie plus effi­caces, amé­lio­ra­tion des sys­tèmes de san­té, etc. Cepen­dant, l’ubiquité actuelle du logi­ciel ne garan­tit pas pour autant l’égalité des dif­fé­rents acteurs devant les avan­tages qui peuvent être reti­rés de celui-ci. Le logi­ciel apporte au contraire un for­mi­dable poten­tiel de dif­fé­ren­cia­tion de per­for­mance entre les entre­prises, voire les sociétés.

Per­for­mance et qua­li­té de vie
Pre­nons l’exemple de Sin­ga­pour, petit pays de 5 mil­lions d’habitants situé sous l’équateur, sans aucune res­source natu­relle, dont le PNB par habi­tant a dépas­sé celui de la France dans la fin des années 1990 en grande par­tie du fait de la qua­li­té de l’usage de l’informatique par la socié­té sin­ga­pou­rienne. Cette socié­té est en per­ma­nence à la recherche d’améliorations de la per­for­mance indi­vi­duelle et col­lec­tive par un usage plus pous­sé et plus intel­li­gent de l’informatique : qu’il s’agisse de l’aéroport qui opti­mise en per­ma­nence les flux de pas­sa­gers et de bagages pour mini­mi­ser les attentes, du port qui est le plus grand port de trans­bor­de­ment de conte­neurs au monde grâce à un usage très avan­cé de l’informatique, de l’automatisation de la vali­da­tion des per­mis de construire des bâti­ments, qui réduit les délais d’attente et d’immobilisation du capi­tal, de la ges­tion des infra­struc­tures de trans­port col­lec­tif, ou du péage variable pour les véhi­cules indi­vi­duels, qui mini­misent les embou­teillages tout en maxi­mi­sant le confort collectif.

Omni­pré­sente, déter­mi­nant la per­for­mance de nos socié­tés, l’informatique est aus­si une extra­or­di­naire source d’aventures. D’abord, parce que l’informatique elle-même évo­lue en per­ma­nence, et exige une atti­tude d’apprentissage per­ma­nent, mais aus­si parce qu’elle mêle de plus en plus étroi­te­ment tech­no­lo­gie et savoir dans la ges­tion de nos socié­tés complexes.

Une aventure du savoir

Jus­qu’à la fin des années 1950, le savoir était uni­que­ment pré­sent dans des livres ain­si que dans le cer­veau des pro­fes­seurs, étu­diants et pra­ti­ciens qui appli­quaient un savoir tech­nique ou régle­men­taire. De nos jours, ce savoir est plus en plus inté­gré de manière active dans des logi­ciels qui effec­tuent des tâches de rou­tine à la place des opé­ra­teurs. Par exemple, le site d’enchères pri­vées eBay n’aurait jamais pu voir le jour sans une infra­struc­ture infor­ma­tique avan­cée, notam­ment en détec­tion de fraude, néces­saire pour garan­tir à tous ses uti­li­sa­teurs un niveau accep­table de sécu­ri­té du sys­tème. Ana­ly­ser dif­fé­rents savoirs pour les inté­grer dans des sys­tèmes ser­vant des mil­lions d’utilisateurs en temps réel est une aven­ture extraordinaire.

Réseaux sociaux

Quand l’informatique réin­vente la médecine
C’est le sens de l’évolution du sys­tème Wat­son d’IBM, qui va sou­te­nir les méde­cins comme source addi­tion­nelle de conseil dans les diag­nos­tics dif­fi­ciles et com­plexes. Wat­son est une source connec­tée en per­ma­nence, dis­po­sant d’une mémoire infi­nie, d’une capa­ci­té tou­jours crois­sante à détec­ter des simi­la­ri­tés avec d’autres cas déjà en mémoire, et d’une constance dans la per­for­mance bien supé­rieure à celle que nos cer­veaux humains peuvent atteindre.

Une nou­velle dimen­sion dans la ges­tion du savoir est en train d’émerger rapi­de­ment sous nos yeux : celle de l’informatique des réseaux sociaux. Depuis l’émergence du Web, l’espèce humaine se trans­forme rapi­de­ment pour deve­nir une espèce col­lec­tive, dans un mou­ve­ment incroya­ble­ment auda­cieux simi­laire à celui du pas­sage des orga­nismes uni­cel­lu­laires aux orga­nismes plu­ri­cel­lu­laires. Nous n’en sommes encore qu’au début des bou­le­ver­se­ments qu’induira ce chan­ge­ment de nature. Aujourd’hui, les groupes d’amis favo­risent l’émergence d’un pro­duit plu­tôt que d’un autre grâce à l’usage que nous fai­sons des recom­man­da­tions de ces réseaux sociaux. Demain, les fonc­tion­na­li­tés de ces pro­duits seront défi­nies par avance par des groupes d’utilisateurs qui influen­ce­ront en temps réel les concep­teurs des pro­duits. La ges­tion du savoir et la réso­lu­tion de pro­blèmes com­plexes migrent ain­si de l’individuel au collectif.

Évolution de l’humanité

Dans ce contexte, l’informatique four­nit à la fois le moyen de com­mu­ni­ca­tion et une contri­bu­tion unique à notre intel­li­gence col­lec­tive. Entre­prendre dans l’informatique, c’est donc appor­ter sa pierre à cette phase essen­tielle de l’évolution de l’humanité, pour créer de nou­veaux pro­duits, ser­vices, résul­tats. Du fait de l’intérêt finan­cier d’un suc­cès indus­triel en infor­ma­tique, qui attire les meilleurs esprits de la pla­nète, créer une entre­prise infor­ma­tique, c’est aus­si choi­sir d’entrer en com­pé­ti­tion rapi­de­ment avec les meilleurs Indiens, Chi­nois ou Amé­ri­cains, ce qui devrait plaire à l’esprit com­pé­ti­tif français.

Un levier indispensable

L’informatique évo­lue en per­ma­nence et exige une atti­tude d’apprentissage permanent

Pour une jeune pousse, le ter­reau ini­tial est déter­mi­nant. L’informatique est un levier indis­pen­sable pour l’administration, qui doit four­nir le meilleur ser­vice pos­sible aux citoyens au coût le plus faible, et pour les entre­prises, qui doivent en per­ma­nence offrir des ser­vices ou des pro­duits de meilleure qua­li­té au meilleur prix. L’intégration de pro­duits et ser­vices inno­vants issus de jeunes pousses fran­çaises repré­sente pour les uti­li­sa­teurs une oppor­tu­ni­té unique de déte­nir un atout de per­for­mance, et pour ces start-ups une néces­si­té abso­lue. La posi­tion de la France en tant que « ter­reau de jeunes pousses » est miti­gée. La taille du mar­ché fran­çais per­met de sou­te­nir le déve­lop­pe­ment d’une pre­mière phase de crois­sance, mais requiert aus­si de déve­lop­per rapi­de­ment l’international afin de finan­cer l’adaptation des pro­duits aux autres langues et cultures, notam­ment anglaises et chi­noises, et de créer un réseau de distribution.

Position concurrentielle

Notre posi­tion concur­ren­tielle dans l’informatique a été lon­gue­ment ana­ly­sée ailleurs, avec des points extrê­me­ment posi­tifs tels que le cré­dit d’impôt recherche et la qua­li­té de nos ingé­nieurs, ain­si que l’appétence du grand public pour les tech­no­lo­gies nou­velles démon­trée par des suc­cès tels que ceux du Mini­tel et du GSM, mais aus­si des obs­tacles, tels que celui de la langue ain­si que cer­taines lour­deurs admi­nis­tra­tives et une image sou­vent néga­tive des entre­prises et des entrepreneurs.

3 Commentaires

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Babon­neau Jean-Yvesrépondre
15 mai 2012 à 8 h 24 min

Entre­prendre dans le logi­ciel
Je par­tage tout à fait cette vision fort per­ti­nente de l’im­por­tance du domaine du logi­ciel dans l’é­vo­lu­tion de la socié­té humaine et pour la com­pé­ti­ti­vi­té de la France.
(Jean-Yves Babon­neau, un fon­da­teur de l’In­ter­net en France)

Yan Geor­getrépondre
16 mai 2012 à 12 h 24 min

logi­ciel vs ser­vices
L’in­for­ma­tique et le logi­ciel occupent et occu­pe­ront une place de plus en plus impor­tante dans nos vies.

Néan­moins, le logi­ciel dis­pa­raît au pro­fit de ser­vices dis­po­nibles sur inter­net (pour­quoi ins­tal­ler un logi­ciel sur sa machine quand un ser­vice équi­valent est dis­po­nible sur le cloud).

Donc « entre­prendre dans l’in­for­ma­tique » a de l’a­ve­nir, « vendre du logi­ciel » sera pro­ba­ble­ment de plus en plus difficile.


Yan Geor­get – VP R&D Criteo

Phi­lippe Cuvillierrépondre
12 octobre 2012 à 14 h 36 min

« C’est la per­sonne humaine,

« C’est la per­sonne humaine, libre et créa­trice qui façonne le beau et le sublime, alors que les masses res­tent entraî­nées dans une ronde infer­nale d’im­bé­cil­li­té et d’a­bru­tis­se­ment. » Cita­tion d’Ein­stein à médi­ter d’ur­gence afin de tem­pé­rer l’en­goue­ment actuel pour cette idéo­lo­gie qui prêche sans com­plexe le pas­sage de « Réseau sociaux », « Intel­li­gence col­lec­tive » à l” « Évo­lu­tion de l’hu­ma­ni­té ». Les jus­ti­fi­ca­tions manquent tou­jours à cette asser­tion inédite dans l’his­toire intel­lec­tuelle de l’Humanité.

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