En Asie, le poids croissant de la Chine

Dossier : L'électricité nucléaireMagazine N°643 Mars 2009
Par Hervé MACHENAUD (68)

Plusieurs pays asi­a­tiques ont déjà un pro­gramme et une base indus­trielle. C’est le cas pour la Corée, le Japon, l’Inde et la Chine. Ces pays représen­tent 90 % des cen­trales nucléaires actuelle­ment en con­struc­tion dans le monde (si l’on exclut la Russie, 70 % si on l’in­clut), et la Chine, à elle seule, 55 %.

Repères
Alors que se des­sine ce que l’on a pris l’habi­tude d’ap­pel­er, peut-être un peu hâtive­ment, la ” renais­sance du nucléaire “, il y a en Asie des pays qui n’ont pas d’his­toire indus­trielle nucléaire et envis­agent de lancer un pro­gramme. Ce sont le Viêt­nam, la Thaï­lande et l’In­donésie. Ces pays man­i­fes­tent aujour­d’hui une forte volon­té poli­tique de s’en­gager dans la pro­duc­tion d’élec­tric­ité nucléaire et l’am­bi­tion d’at­tein­dre selon les cas un, deux ou qua­tre GW en exploita­tion en 2020. Ils font l’ob­jet de beau­coup d’at­ten­tion et de con­voitise de la part des four­nisseurs d’équipements. Le Viêt­nam sera sans doute le pre­mier de sa caté­gorie. Parvien­dra-t-il à lancer la pre­mière unité en 2015 comme il l’af­fiche ? Le choix du four­nisseur et de la tech­nolo­gie qu’il fera aura une forte influ­ence sur le développe­ment nucléaire dans la région.
Le poids indus­triel de ces pays restera faible pour les deux décen­nies à venir.

La Corée exploite 20 réac­teurs et va pour­suiv­re son pro­gramme avec quelques unités dans la prochaine décen­nie. Son prin­ci­pal indus­triel Doosan a une ambi­tion et com­mence à jouer un rôle international.

Le Japon au troisième rang mondial

Le Japon avec 55 réac­teurs en exploita­tion (troisième rang mon­di­al) et trois réac­teurs en con­struc­tion est une puis­sance nucléaire de pre­mier plan. Il est cepen­dant très frag­ilisé par des prob­lèmes suc­ces­sifs d’ex­ploita­tion, de sûreté et de trans­parence, avec en toile de fond un pro­fond déficit d’ac­cep­tion publique du nucléaire. Les prob­lèmes tech­niques ren­con­trés à Mon­ju et Rokkasho-Mura qui vont con­duire à de nou­veaux retards, et la cat­a­stro­phe sis­mique qui a provo­qué l’ar­rêt de sept tranch­es de TEPCO à Kashi­wasa­ki-Kari­na sans per­spec­tive pré­cise de remise en ser­vice, ren­dent ce paysage encore plus sombre.

Le Japon affiche une volon­té de développe­ment du nucléaire domestique

Pour­tant le Japon affiche une volon­té de développe­ment du nucléaire domes­tique et plus encore inter­na­tion­al, ambitieuse et même agres­sive. Orchestrée par le METI, elle s’ap­puie sur les grands con­struc­teurs japon­ais, Toshi­ba, Hitachi et Mit­subishi. Ceux-ci sont-ils à même de relever le défi ? Le rachat de West­ing­house par Toshi­ba pour­rait s’avér­er être une pierre d’a­choppe­ment pour les con­struc­teurs japonais.

Con­naî­tra-t-il le suc­cès escomp­té en Chine ? Franchi­ra-t-il le stade de la licence par la NRC pour être con­stru­it en série aux USA dans la prochaine décen­nie comme l’af­firme Toshi­ba ? Il est plus vraisem­blable que Toshi­ba, s’il digère cet achat, con­tin­uera de con­stru­ire le pro­gramme bouil­lant japon­ais avec ses alliés GE et Hitachi devenus récem­ment parte­naires. Le pro­gramme nucléaire d’un Japon entré en réces­sion et dont le prin­ci­pal élec­tricien est finan­cière­ment très affaib­li ne dépassera pas un réac­teur tous les trois ou qua­tre ans. MHI après le ” choc West­ing­house ” pour­suit le licens­ing de son APWR pour le ven­dre aux USA, et aus­si le développe­ment avec Are­va du réac­teur de 1 000 MW pour le marché des pays émer­gents. La réal­ité de la ” renais­sance nucléaire “, en par­ti­c­uli­er aux USA, et son cal­en­dri­er seront donc déter­mi­nants pour les con­struc­teurs japonais.

L’Inde entre maîtrise industrielle et choix de technologie

L’Inde est un cas par­ti­c­uli­er. Elle dis­pose d’un parc CANDU de 4 500 MW qu’elle a dévelop­pé elle-même depuis l’embargo qui l’a frap­pée en 1974.

L’embargo sur les équipements nucléaires en Inde a été levé 

Elle dis­pose donc d’une organ­i­sa­tion et d’un tis­su indus­triel autonomes. 660 MW de sa pro­pre fil­ière et 2 VVER de 1 000 MW four­nis par la Russie sont en con­struc­tion en Inde en plus d’un RNR de 500 MW.

Après trois ans de négo­ci­a­tion inter­na­tionale et de trac­ta­tions internes, l’embargo sur les équipements nucléaires a été levé. Quels seront le vol­ume et le cal­en­dri­er du pro­gramme ” importé ” indi­en ? On par­le de 20 GW en 2020.

Des choix préal­ables sont à faire qui pour­raient pren­dre du temps :
1) celui de l’or­gan­i­sa­tion indus­trielle : NPCIL a été le con­cep­teur-con­struc­teur-exploitant nation­al. Il vient de sign­er avec l’élec­tricien nation­al NTPC un accord pour le développe­ment du nucléaire. Sont-ils prêts à renon­cer à leur maîtrise indus­trielle pour adopter un sché­ma clé en main ?
2) celui du mod­èle tech­nologique : les Indi­ens com­met­tront-ils l’er­reur des Chi­nois dans les années qua­tre-vingt-dix d’in­ve­stir simul­tané­ment dans qua­tre fil­ières dif­férentes ? Sinon dans laque­lle ? La russe en cours de con­struc­tion ? L’améri­caine en recon­nais­sance de la lev­ée de l’embargo ? La française du fait de son avance indus­trielle ? Ou la japon­aise ? Ces ques­tions atten­dent leur réponse.

En Chine, le plus grand programme nucléaire du monde

La Chine, elle, a lancé la con­struc­tion de 10 GW entre 1985 et 1995 dans qua­tre tech­nolo­gies dif­férentes, puis, après dix ans d’in­ter­rup­tion, a engagé en 2004 ce qui va être le plus grand pro­gramme nucléaire du monde.

Des cen­trales ther­miques à bas coût
La Chine a lancé en 2003 un pro­gramme de cen­trales ther­miques qui utilisent les tech­nolo­gies les plus récentes et atteignent des ren­de­ments de 43 à 45 %. Depuis trois ans la Chine met en ser­vice 90 GW de cen­trales ther­miques par an, soit 1 600 MW par semaine. Avec comme con­séquence un coût de con­struc­tion qui est proche du tiers (500 dol­lars par kW) des coûts ren­con­trés en Occident.

En par­al­lèle avec les pro­jets de con­struc­tion de l’AP1000 et de l’EPR qui ont en Chine le car­ac­tère de test, ce pro­gramme est lancé sur la base de la tech­nolo­gie CPR1000 qui a pour référence le 1 000 MW français pro­gres­sive­ment mod­ernisé depuis Daya Bay. Le mod­èle indus­triel qu’elle a choisi est celui du con­struc­teur-exploitant mis en œuvre pour la con­struc­tion du pro­gramme français.

Il y a aujour­d’hui 10 GW (10 réac­teurs) en con­struc­tion en Chine (sur les 23 en con­struc­tion dans le monde dont 16 en Asie). La Chine va lancer la con­struc­tion de 10 GW en 2009 et autant en 2010. Si l’on exclut les AP1000 et les EPR cela représente 7 unités CPR1000 par an et il est vraisem­blable que la Chine con­tin­uera à ce rythme au long de la prochaine décen­nie. La Chine aurait ain­si env­i­ron 70 GW en exploita­tion et 35 en con­struc­tion en 2020. Ce sont d’ailleurs les nou­veaux chiffres offi­ciels de la plan­i­fi­ca­tion chinoise.

De la même manière que pour les cen­trales ther­miques (voir encadré), par son vol­ume et sa rapid­ité, le pro­gramme d’équipement nucléaire chi­nois va provo­quer une baisse du coût des équipements com­pa­ra­ble à ce qu’a con­nu la France dans les années qua­tre-vingt. De récentes études réal­isées en Chine par­lent déjà d’un coût de 1 100 dol­lars par kW pour le CPR1000. Mais il va aus­si provo­quer le déplace­ment vers la Chine des four­nisseurs de l’in­dus­trie nucléaire mon­di­ale. Cela est d’au­tant plus impor­tant pour la France que l’évo­lu­tion des équipements et des stan­dards chi­nois risque d’in­flu­encer forte­ment son parc en exploitation.

Dix fois plus que l’Occident

Il est dif­fi­cile de savoir quand et à quel rythme la ” renais­sance du nucléaire ” va se faire en Occi­dent. Son poids indus­triel en dépen­dra grande­ment car, même si on peut espér­er une ou deux unités par an aux États-Unis à par­tir de 2010 et une unité par an au Roy­aume-Uni à par­tir de 2012, en Asie, c’est plutôt dix unités par an qui seront con­stru­ites, dont la plu­part en Chine. Celle-ci con­stru­it la base indus­trielle pour fab­ri­quer les équipements néces­saires à ce pro­gramme. Elle pèsera lourd sur la carte indus­trielle du nucléaire mondial.

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