Emploi et carrières : le fil conducteur

Dossier : Gestion de carrièreMagazine N°659 Novembre 2010
Par Michel PRUDHOMME (64)

REPÈRES

REPÈRES
Pen­dant de nom­breuses années, Michel Prud­homme a ani­mé des ate­liers et sémi­naires à l’AX : ate­liers “Cur­ricu­lum Vitae “, pour les élèves présents à l’É­cole ; ate­liers ” Début de car­rière “, pour les pro­mo­tions 2001 à 2006 ; ate­liers ” Pre­miers emplois “, pour les pro­mo­tions 1995 à 2000 ; et sémi­naires “Recherche d’emploi”, pour tous les cama­rades. Il a ensuite reçu indi­vidu­elle­ment la plu­part d’en­tre eux. Si on y rajoute les per­son­nes qu’il ren­con­tre dans son méti­er de coach ou à l’AX, il dis­pose d’un échan­til­lon représen­tatif des sit­u­a­tions d’emploi et de car­rière des poly­tech­ni­ciens, qu’il peut com­par­er aux autres écoles.

Les car­rières des X sont extrême­ment var­iées comme le mon­tre un cer­tain nom­bre de cas typ­iques présen­tés dans ce dossier : con­seil, finance, recherche, expa­tri­a­tion, recherche d’emploi, fin de car­rière. Cette obser­va­tion soulève la ques­tion suiv­ante : qu’est-ce qui fait la dif­férence ? Avec la même for­ma­tion de départ, pourquoi tant de diver­sités, de réus­sites écla­tantes et d’échecs patents ? Est-ce la chance ? Je ne crois pas : il faut aller chercher du côté des car­ac­téris­tiques individuelles.

Deux qualités et un défaut

For­mule 1 ou 4 x 4
J’ai dans l’e­sprit l’im­age suiv­ante, très per­son­nelle, mais qui me sert sou­vent : le jeune poly­tech­ni­cien est une voiture de course. Il va très vite, a besoin d’une piste réservée, est dif­fi­cile à pilot­er, peut sor­tir de la route. D’autres écoles pro­duisent plutôt des mod­èles plus proches du 4 x 4 tout-terrain.

Est-ce l’É­cole qui nous les a don­nés, ou bien sommes-nous ren­trés à l’É­cole parce que nous les avions ? Tou­jours est-il que nos cama­rades ont, en général, deux qual­ités et un défaut. La pre­mière qual­ité est la curiosité intel­lectuelle : un intense bouil­lon­nement d’idées, une capac­ité à analyser et à syn­thé­tis­er, à décou­vrir et à innover dans les sit­u­a­tions les plus com­plex­es, à trou­ver des solu­tions. Et la sec­onde, c’est le sens des valeurs : respect des engage­ments, du devoir, droi­ture, rejet des com­pro­mis et com­pro­mis­sions. Le défaut, c’est sou­vent une cer­taine rigid­ité psy­chologique : dif­fi­culté à se remet­tre en ques­tion, résis­tance au change­ment, tout d’une pièce. 

Début de carrière

Je crois que plus des deux tiers d’une pro­mo­tion de jeunes sont dans le privé cinq ans après la sor­tie de l’É­cole. Or qu’ob­ser­vons-nous ? La voiture fonc­tionne sou­vent avec le même moteur : la sat­is­fac­tion intel­lectuelle de résoudre des prob­lèmes com­plex­es. Si c’est ce que demande l’en­tre­prise, tout va bien. Si ce n’est pas le cas, ou plus le cas, il y a problème.

Il est dan­gereux de ne pas avoir de pro­jet pro­fes­sion­nel à 30 ans

Pre­mier exem­ple : les respon­s­abil­ités d’en­cadrement. La demande peut arriv­er très tôt, et réus­sir comme man­ag­er néces­site la mise en œuvre d’autres moteurs, comme le sens poli­tique ou les con­tacts humains, par lesquels notre jeune cama­rade est sur­pris. Autre exem­ple : le change­ment de méti­er. Nom­bre d’en­tre eux veu­lent quit­ter la recherche, avoir un tra­vail plus con­cret. Réus­sir ce pre­mier change­ment n’est pas facile. Il est nor­mal que notre jeune cama­rade n’ait pas de pro­jet pro­fes­sion­nel en sor­tant de l’É­cole, il est par con­tre dan­gereux de ne pas en avoir à 30 ans : il faut donc bâtir ce pro­jet en début de carrière. 

Vers 30 ans

C’est à cet âge que les dif­férences com­men­cent à se faire sen­tir. Cer­tains ont piloté leur pro­jet, ont généré la con­fi­ance et fait preuve de suff­isam­ment de sta­bil­ité pour avoir eu une ou deux belles pro­mo­tions. D’autres ont papil­lon­né, pas­sant d’un cen­tre d’in­térêt à un autre, acquérant des com­pé­tences très var­iées sans encore avoir de méti­er, pen­sant ain­si se pré­par­er à des postes de direc­tion générale. Cer­tains ont changé leur pre­mier moteur, et adop­té un mode de propul­sion hybride, posi­tif (goût du con­cret, besoin de résul­tats, envie de réalis­er) ou négatif (goût du pou­voir, besoin de vis­i­bil­ité) selon les dis­po­si­tions naturelles de cha­cun. D’autres ont même oublié qu’ils avaient un moteur et con­tin­u­ent à l’al­i­menter. Con­naître ses forces et faib­less­es, être clair avec soi-même sur ses freins et moteurs, ain­si que sur ses moti­va­tions pro­fondes, se fix­er des objec­tifs à cinq ans, à dix ans me sem­ble indis­pens­able vers 30 ans.

Vers 45 ans

Sit­u­a­tions difficiles
Un exem­ple est celui de “l’ours savant “, très com­pé­tent dans un domaine tech­nique pointu, et qui n’a pas réal­isé qu’il était exploité par son employeur depuis dix ans. Il le sera jusqu’à ce que ce domaine dis­paraisse de l’ac­tu­al­ité, et ce jour-là il se trou­vera dans une impasse.

Les dif­férences sont établies. La plu­part ont réal­isé leur pro­jet pro­fes­sion­nel, en l’adap­tant au fur et à mesure aux con­traintes de la vie. Peu importe qu’il y ait eu une ou deux péri­odes dif­fi­ciles, une sor­tie de route ou une panne sèche : la voiture avance et c’est heureuse­ment le cas majori­taire. Par con­tre, il y a des sit­u­a­tions dif­fi­ciles et à cet âge, le marché ne fait plus de cadeaux. Et mal­heureuse­ment, l’employabilité de cer­tains s’avère prob­lé­ma­tique et peut con­duire à des sit­u­a­tions comme celles pour lesquelles la Caisse de sec­ours intervient.

Vers 55 ans

Cas extrêmes
Quelques can­di­da­tures d’an­ciens X révè­lent des traits de car­ac­tère par­fois car­i­cat­u­raux. Ain­si, celui qui, à 40 ans, indique sur son CV son rang de sor­tie de l’É­cole poly­tech­nique. Cer­tains, ayant fait tous les métiers, esti­ment pour l’avenir ne pou­voir en faire qu’un seul, celui de directeur général. D’autres, ayant fait du con­seil pen­dant quelques années dans un grand cab­i­net anglo-sax­on, pensent ne pou­voir inté­gr­er un grand groupe qu’à un poste de direc­tion de cen­tre de profits.

Gér­er la fin de sa vie pro­fes­sion­nelle n’est pas aisé. Et pour­tant, c’est encore une his­toire de moteur. Celui qui est adap­té dépend de cha­cun, mais doit absol­u­ment favoris­er le plaisir de tra­vailler. En effet, beau­coup ressen­tent à cet âge l’en­vie de faire quelque chose de dif­férent : quit­ter le salari­at, se met­tre à son compte, faire du bénévolat, dimin­uer son rythme de tra­vail. Dans mon Cab­i­net, l’ex­péri­ence nous mon­tre tous les jours que la plu­part sous-esti­ment les dif­fi­cultés et se lan­cent à fond sans pré­pa­ra­tion préalable.

Prendre en main sa carrière

Même si on oublie cer­tains cas atyp­iques, il n’en reste pas moins que la sit­u­a­tion glob­ale de l’emploi des poly­tech­ni­ciens n’est pas aus­si facile que ce que l’on pour­rait croire.

L’in­térêt de l’employeur et celui de l’in­téressé peu­vent ne pas coïncider

L’amélior­er par des actions ciblées comme l’AX le fait depuis des années est néces­saire, mais pas suff­isant : c’est à l’É­cole même que le mes­sage doit pass­er, comme il passe dans d’autres écoles à voca­tion plus com­mer­ciale. Le mes­sage, c’est d ‘abord qu’une car­rière se con­stru­it et se pilote par l’in­téressé lui-même. Et aus­si que l’in­térêt de l’employeur et celui de l’in­téressé peu­vent ne pas coïn­cider : il faut donc savoir rester et chang­er à bon escient. Il faut aus­si com­pren­dre que si le cap­i­tal d’employabilité est le même au départ pour tous, il faut savoir le faire fruc­ti­fi­er et ne pas le dilapi­der dès 30 ans. Enfin, ne pas oubli­er qu’on ne tra­vaille pas que pour soi, mais aus­si (et surtout) pour une entreprise.

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