Edmond Bour (X1850), le Graylois
Edmond Bour, de la promotion 1850, est un exemple des succès de la promotion sociale au mérite du milieu du XIXe siècle. Il fut un savant, un ingénieur et un professeur marquants. Sa vie fut malheureusement écourtée par la maladie. Du moins son décès fut-il à l’origine de la Société amicale de secours des anciens élèves de l’École polytechnique, ancêtre de notre actuelle AX qui consacre la moitié de son budget à la Caisse de solidarité.
Jacques, Edmond, Émile Bour (X1850), un des polytechniciens qui a laissé son nom à la postérité pour ses travaux et également pour la suite de sa disparition – nous y reviendrons à la fin de cet article –, est né à Gray en 1832, le 19 mai 1832 plus précisément, fils de Joseph, horloger, et de Gabrielle Jeunet, domiciliés au 65 de la Grande Rue, à deux pas du collège de la ville de l’époque. Il est l’aîné de cinq garçons et d’une fille. Michel Mauclair, professeur agrégé, ancien élève de l’ENS Cachan et surtout animateur bénévole du fonds ancien de la bibliothèque municipale de la ville de Gray depuis sa retraite, nous a permis de résumer sa vie en tant que Graylois d’abord, ensuite en tant que polytechnicien et scientifique jusqu’à sa mort prématurée à l’âge de 34 ans, le 8 mars 1866 à l’hôpital du Val-de-Grâce (Paris).
La ville de Gray, patrie de Bour
Gray est une petite ville d’environ 5 500 habitants située en Haute-Saône (70), à distance égale entre Dijon (Côte-d’Or), Dole (Jura), Besançon (Doubs) et Vesoul (Haute-Saône). Sise au bord de la Saône, elle peut surprendre ses passants par ses restes qui paraîtraient bien au-delà de l’importance actuelle de la ville : un hôtel de ville avec sa toiture très décorée, certains bâtiments qui ont une allure haussmannienne, quoiqu’un peu délabrés faute d’entretien, un théâtre à l’italienne, l’ancien bâtiment de la Banque de France non loin de la Saône, pour n’en citer que certains. En réalité, elle était une ville importante à la frontière de la Franche-Comté, qui était espagnole pendant des siècles avant d’être conquise par Louis XIV au XVIIe siècle, et surtout un des plus grands ports intérieurs de toute la France, idéalement situé pour le passage des marchandises à l’est de la France durant tout le XIXe siècle, avant son déclin depuis la fin du même siècle à cause de l’avènement du chemin de fer et du transport routier. Elle a donc été très commerçante et il est possible de toujours sentir cette âme chez ses habitants aujourd’hui. Son cimetière actuel, construit au XIXe siècle justement, témoigne de la richesse de l’époque avec de nombreuses tombes dignes d’un Père-Lachaise, même si plusieurs monuments y ont été malheureusement volés. Au milieu de ce quartier le plus riche du cimetière, il est impossible de ne pas remarquer une grande colonne brisée réalisée en belle pierre.
Son parcours de vie avant l’entrée à l’École polytechnique
À l’âge de huit ans (1840), il entre au collège de Gray, devenu lycée Augustin Cournot, où il reste jusqu’en 1849, année de son baccalauréat ès lettres. À la fin de cette année scolaire et sur la demande de ses professeurs, qui lui trouvent de bonnes dispositions intellectuelles pour envisager la poursuite d’études supérieures, il est interrogé par l’inspecteur général de l’Université. L’entretien dure une heure, pendant laquelle il est soumis à un ensemble de questions dont le niveau est proche de celui de l’entrée à l’École polytechnique. À la fin de celui-ci, l’inspecteur avoue « ne pas avoir pensé rencontrer un tel niveau dans un collège communal ». Il considère que Bour est tout à fait capable d’entrer à l’École polytechnique, mais conseille une année spéciale au lycée de Dijon pour préparer le concours dans les meilleures conditions. Les parents d’Edmond Bour en sont informés et acceptent de laisser leur fils s’engager dans cette voie qu’il a choisie. C’est ainsi qu’en octobre 1849 il rejoint ce lycée où il s’intégrera très vite. En effet, dès les premières compositions il s’installe en tête de classe, position qu’il ne quittera pas de l’année. Même le préfet de Haute-Saône est étonné que « le collège de Gray soit capable de produire de si bons élèves ».


Son parcours de polytechnicien
À la fin de l’année scolaire 1849-1850, Edmond Bour se présente au concours d’entrée à l’École polytechnique. Il réussit et se classe 61e sur les 90 admis de sa promotion. Mais, ici comme au lycée de Dijon, il conquiert la 1re place qu’il conservera jusqu’à la fin de sa scolarité parisienne en 1852. Il sort donc « major » avec le titre d’élève ingénieur des Mines. Nommé ingénieur des Mines, il est envoyé en 1855 à Saint-Étienne comme professeur de mécanique à l’École des mines de cette ville, avant de rejoindre celle de Paris. En 1855, il présente devant l’Institut un mémoire qui lui permet d’obtenir le Grand Prix de mathématiques. Il n’a que 23 ans. Pour le remercier et en guise de félicitations, il reçoit une édition très rare des œuvres de Lagrange, déjà passée dans les mains d’autres grands savants. En 1859, sur le thème de la déformation des surfaces, Bour publie une nouvelle étude qui lui permet d’obtenir le Grand Prix de l’Académie. Cette même année, il rejoint l’École polytechnique pour occuper une des deux chaires vacantes de mécanique. Cela semble une juste récompense, car ses pairs lui reconnaissent un avenir brillant. Il est titulaire de deux doctorats. Au-delà de ses recherches, il n’oublie pas son rôle de professeur. Il publie son cours de mécanique, dont seule une partie – la cinématique – est éditée avant sa mort. Les autres le seront en 1868 pour la statique et en 1874 concernant la dynamique et l’hydraulique.
Ses missions au titre d’ingénieur des Mines
En tant qu’ingénieur des Mines, Edmond Bour n’est pas que professeur. Il est aussi appelé à participer à des missions en rapport avec son titre. Ainsi, il est envoyé dans le nord de la France, en Belgique et en Allemagne, relativement au développement de l’industrie du charbon. En 1860, il part en Algérie avec quatre collègues pour observer l’éclipse du Soleil du 18 juillet (cf. article « L’éclipse du 18 juillet 1860 » dans La Jaune & la Rouge n° 780 de décembre 2022). Puis en 1863 il rejoint la partie asiatique de la Turquie. Cette dernière mission est plus douloureuse, puisque c’est là qu’Edmond Bour va voir s’aggraver la maladie qui l’emportera.
“C’est dans la science qu’il puise les forces de continuer.”
Il a apprécié ces voyages lui faisant découvrir des choses extraordinaires, mais ceux-ci l’ont beaucoup fatigué. De plus, l’ambiance studieuse de Paris lui manque beaucoup. S’il lui arrive de se décourager, c’est dans la science qu’il puise les forces de continuer.
Décès et obsèques
Edmond Bour, sur son lit de mourant, reçoit de la part de l’Empereur la croix de la Légion d’honneur, en reconnaissance de son apport aux sciences mathématiques. Celle-ci lui est remise par le général Favé, directeur de l’École polytechnique. Il décède le 8 mars 1866 à Paris. Ses obsèques parisiennes se déroulent le 10 mars 1866 à midi, à l’hôpital du Val-de-Grâce et en présence de toute l’École polytechnique. Une foule d’ingénieurs, de professeurs, de savants est là, entourant l’état-major de l’École, ses collègues professeurs, de nombreux Graylois vivant à Paris. Des discours sont prononcés par le colonel du génie Riffault, directeur des études, au nom de l’École et par Augustin Cournot (normalien, mathématicien, et surtout un autre Graylois) au nom de la science. À l’annonce de sa mort, le maire de Gray évoque la personnalité d’Edmond Bour et considère qu’il appartient à sa ville de Gray par sa naissance, sa famille, ses amis et son attachement fidèle à sa petite patrie grayloise. Aussi la ville de Gray demande-t-elle avec empressement « le privilège de faire revenir son corps et de prendre à sa charge les frais engendrés par les funérailles ».

Rendez-vous à Gray
Les obsèques grayloises sont célébrées le 12 mars 1866 en présence des autorités civiles et militaires, des fonctionnaires présents à Gray, des professeurs et des élèves du collège et d’une forte représentation de la population. La dépouille est escortée par la compagnie des sapeurs-pompiers et un détachement du 29e régiment de ligne. Au cimetière, le capitaine d’état-major Bertrand, représentant l’École polytechnique, insiste sur le rôle d’Edmond Bour, « génie mathématique ». Au nom de l’École, il remercie la ville de Gray « car, en lui accordant de telles funérailles, elle rend à Bour un honneur et une fierté à sa mémoire ». En acceptant de publier la lettre d’un élève de l’École polytechnique, la presse grayloise rend public le ressenti des élèves de la promotion 1864 : « Les élèves ont pu mesurer la qualité de son excellent cours, quoiqu’il fût déjà malade. Ses dernières leçons furent un martyre. Ne pouvant plus se tenir debout, il demanda à un répétiteur de les continuer. Il traitait ses élèves comme des camarades. » Lors de sa réunion du 20 mars 1866, le conseil municipal de Gray étudie les mesures à prendre pour honorer le mieux possible la mémoire d’Edmond Bour : le monument de la colonne brisée au cimetière de Gray et un buste destiné à être exposé à l’hôtel de ville, aujourd’hui conservé au musée Baron Martin de Gray. Sa bibliothèque historique dénommée « le fonds ancien » conserve également ses publications.


Lettres choisies relatives à Edmond Bour
En 1905, le docteur Bertin et Charles Godard, tous deux historiens de la ville, publient un ouvrage intitulé Edmond Bour, lettres choisies à sa famille. Il nous permet de comprendre que la famille était une de ses préoccupations, au même titre que la science ; on découvre, par exemple, que la souscription lancée pour l’édification d’un monument au cimetière a produit un tel résultat qu’il a été possible d’acheter des obligations des chemins de fer de l’Est au nom d’Anna Bour, sœur d’Edmond. Napoléon III lui-même apporte son soutien financier au père d’Edmond Bour. Dans ses lettres, il s’intéresse et se préoccupe de la santé et des progrès de ses jeunes frères et sœur, leur donne des conseils et les encourage. L’ouvrage nous rapporte une circulaire lancée par les élèves de l’École polytechnique datant du 20 avril 1866, soit un mois après le décès.
Monsieur et cher camarade,
La science et l’École polytechnique viennent de faire une perte profondément regrettable dans la personne de Monsieur Edmond Bour, ingénieur des Mines, professeur à l’École polytechnique. Cet excellent camarade n’était pas seulement un géomètre éminent, aussi remarquable par le cœur que par l’esprit, il était l’espoir et le soutien de sa famille. A force de sacrifices, il était parvenu à ouvrir une carrière à ses deux frères, mais la mort ne lui a pas laissé le temps d’assurer l’avenir de sa sœur. Quelques amis, témoins de ses derniers moments, et voulant répondre à ce vœu de son cœur, ont ouvert une souscription dans le but de constituer une dot à mademoiselle Bour. Déjà l’Académie des sciences et l’École polytechnique se sont associées à cette pensée ; nous avons été chargés de nous adresser plus spécialement aux camarades du corps des Ponts et Chaussées. Nous espérons faire connaître l’ouverture et le but de cette souscription à tous les camarades qui n’auraient pas été prévenus directement.
Agréez, monsieur et cher camarade, l’expression de mes sentiments affectueux et dévoués.
Avec un commentaire de la part des auteurs : « On s’est appuyé sur ce précédent pour fonder la Société amicale de secours des anciens élèves de l’École polytechnique, laquelle se substitue, dans bien des cas, au membre décédé étant soutien de famille. » Ainsi pour dire que nous lui devons en quelque sorte l’actuelle Association des anciens élèves de l’École polytechnique, qui en est le successeur.
Bibliographie :
- Mairie de Gray : registres de l’état civil ;
- La Presse grayloise, hebdomadaire local créé en 1842 ;
- Fonds ancien de la bibliothèque municipale n° 41 de Gray ;
- Docteur Bertin et Charles Godard, Edmond Bour. Lettres choisies à sa famille, 1905 ;
- Page web dédiée (https://www.annales.org/site/archives/x/bour.html) des Annales des Mines, recensant plusieurs sources dont la notice nécrologique rédigée par Aimé-Henry Résal (X1847), publiée en 1879 ;
- Article « L’éclipse du 18 juillet 1860 et les expéditions d’Aimé Laussedat (X1838) et d’Urbain Le Verrier (X1831) », La Jaune et la Rouge, décembre 2022 n° 780 ;
- Article « Le cours des machines, une clé pour l’innovation », La Jaune et la Rouge, septembre 2015 n° 707 ;
- Le buste, l’épée et les aquarelles d’Edmond Bour se trouvent au musée Baron Martin à Gray (http://www.musee-baronmartin.fr/).





