Éditorial

Dossier : Les X et le droitMagazine N°625 Mai 2007
Par Bruno PICHARD (82)

Dans une récente his­toire de l’É­cole poly­tech­nique, les auteurs avaient pla­cé les X juristes dans les voca­tions sin­gu­lières, hors du champ des acti­vi­tés éco­no­miques, juste après les musi­ciens, les peintres et les hommes de lettres et juste avant les reli­gieux… acti­vi­tés des plus hono­rables mais dont on sai­sit mal le lien avec les milieux juridiques.

Cette clas­si­fi­ca­tion qui fait des juristes, semble-t-il, des hommes d’es­prit, voire des artistes peut être jugée sym­pa­thique. Elle est sur­tout révé­la­trice de la per­plexi­té des scien­ti­fiques et des ingé­nieurs vis-à-vis du droit.

Le droit est en effet per­tur­bant pour un scien­ti­fique et peut sem­bler peu rigou­reux et aléa­toire. Cer­tains textes manquent de clar­té. D’autres se contre­disent. En par­tant des mêmes textes, les tri­bu­naux peuvent prendre des déci­sions à l’op­po­sé les unes des autres ; la posi­tion d’une même juri­dic­tion peut varier avec le temps alors que le texte de réfé­rence, lui, n’a pas changé.

Certes, il existe aus­si en sciences des incer­ti­tudes mais lorsque des scien­ti­fiques y sont confron­tés, comme en méca­nique quan­tique, ils en font un prin­cipe avec des équa­tions et des fonc­tions. Il y a donc des incer­ti­tudes mais elles sont enca­drées. Au pire on ajoute des pro­ba­bi­li­tés. Du côté des juristes, il y a aus­si des incer­ti­tudes. Mais il est dou­teux que per­sonne ait réus­si à les mettre en équa­tions. Ou alors ce n’é­tait pas un juriste.

Asso­cier les X et le Droit est donc une asso­cia­tion assez inat­ten­due, presque l’al­liance de l’eau et du feu.

Négli­ger pour­tant le droit serait une erreur. Il ne s’a­git pas d’une acti­vi­té mineure ou secon­daire. On lais­se­ra de côté ici la ques­tion essen­tielle des liber­tés et de la sécu­ri­té qui ne peuvent se pas­ser du droit et on en res­te­ra aux ques­tions pure­ment économiques.

En pre­mier lieu, il s’a­git d’une acti­vi­té éco­no­mique au sens propre du terme qui compte, si on se limite aux seuls avo­cats, envi­ron 40 000 pro­fes­sion­nels en France. À cela s’a­joute les autres pro­fes­sions juri­diques (magis­trats, notaires, huis­siers…) et le per­son­nel employé. Au regard d’un cer­tain nombre de mul­ti­na­tio­nales, ces chiffres peuvent paraître moyens mais ils ne sont pas négli­geables pour autant.

Mais sur­tout le droit consti­tue au moins un outil, voire une véri­table arme éco­no­mique. Dans une négo­cia­tion entre deux par­ties de natio­na­li­tés dif­fé­rentes, le choix de la norme juri­dique est une ques­tion majeure. Celui qui se sou­met à une norme étran­gère sera inévi­ta­ble­ment désa­van­ta­gé. Il pour­ra bien sûr être assis­té par des avo­cats qui la maî­trisent mais, moins habi­tué à cette norme, des nuances pour­ront lui échap­per et, plus grave, des risques d’in­com­pré­hen­sions voire d’er­reurs pour­ront sur­gir, y com­pris dans ses rap­ports avec ses propres conseils. Et natu­rel­le­ment cette adap­ta­tion à une norme étran­gère aura un coût, y com­pris en temps passé.

Plus géné­ra­le­ment, dans la com­pé­ti­tion inter­na­tio­nale, un pays est aus­si jugé sur son sys­tème juri­dique et les dif­fé­rentes règles sont mises en concur­rence. C’est le sens des rap­ports » Doing Busi­ness » pré­pa­rés par la Banque Mon­diale qui éva­luent les régle­men­ta­tions com­mer­ciales et leur mise en oeuvre. Au bout du compte est éta­bli un clas­se­ment qui a certes été contes­té mais qui ne pla­çait la France qu’en 47e rang en 2005 et au 35e rang en 2006.

Les X ne peuvent donc pas se dés­in­té­res­ser du droit, et ce d’au­tant plus qu’ils y sont mieux pré­pa­rés qu’ils ne l’i­ma­ginent sou­vent. Il y a une rigueur dans le rai­son­ne­ment scien­ti­fique, comme il y a une rigueur dans le rai­son­ne­ment juri­dique. Aus­si bien pour le conseil que pour le conten­tieux, il faut choi­sir une règle, démon­trer que la règle choi­sie cor­res­pond bien à la situa­tion exa­mi­née et en tirer les consé­quences logiques.

Dans ce dos­sier appa­raissent dif­fé­rents aspects du droit dans lequel des X inter­viennent : juges au tri­bu­nal de com­merce, conseils en pro­prié­té indus­trielle, offi­ciers de gen­dar­me­rie et avocats…

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