DURABILITÉ DES INFRASTRUCTURES : « Notre mission n’a jamais eu autant de sens ! »

Dossier : Vie des entreprisesMagazine N°785 Mai 2023
Par Hervé LANÇON
Par Thibault GOUACHE (X04)

Depuis 40 ans, SITES assure la dura­bi­li­té et la péren­ni­té des ouvrages, un enjeu cri­tique alors que les ponts, les tun­nels et les infra­struc­tures de trans­port sont for­te­ment impac­tés par le réchauf­fe­ment cli­ma­tique et ses nom­breuses consé­quences. En capi­ta­li­sant sur une exper­tise et une expé­rience avé­rée et une forte capa­ci­té d’innovation tech­no­lo­gique, SITES accom­pagne et conseille ses clients, en France et dans le monde, pour mieux moni­to­rer leurs ouvrages dans la durée. Expli­ca­tions de Her­vé Lan­çon, pré­sident de SITES, et Thi­bault Gouache (X04), direc­teur géné­ral délégué.

Présentez-nous SITES.

Her­vé Lan­çon : SITES a vu le jour en 1984. Depuis sa créa­tion, l’entreprise est posi­tion­née dans le domaine de la dura­bi­li­té des actifs struc­tu­rels et équi­pe­ments excep­tion­nels et leurs avoi­si­nants natu­rels. Nous nous inté­res­sons donc à toutes les struc­tures sen­sibles afin qu’elles puissent assu­rer leurs fonc­tions et obli­ga­tions dans la durée, dans des condi­tions de sécu­ri­té opti­males vis-à-vis des usa­gers et de la sécu­ri­té éco­no­mique de leur exploi­ta­tion. Il s’agit essen­tiel­le­ment d’infrastructures de l’énergie décar­bo­née (nucléaire, hydrau­lique, éolien…), du trans­port fer­ro­viaire, rou­tier, mari­time incluant les tun­nels tout comme les espaces sou­ter­rains ou les ouvrages enter­rés comme les conduites et cana­li­sa­tions… SITES est une ETI indé­pen­dante de 500 sala­riés. Au quo­ti­dien, nos tech­ni­ciens, doc­teurs et ingé­nieurs œuvrent et se mobi­lisent sur plus de 10 000 infra­struc­tures grâce à ses 6 agences en France et 2 filiales en Chine et en Afrique de Sud.

Quels sont vos principaux métiers et votre périmètre d’intervention ?

H.L : Nous inter­ve­nons sur ces ouvrages et infra­struc­tures à dif­fé­rents niveaux :

• Les études de péren­ni­té per­mettent d’identifier les vul­né­ra­bi­li­tés et com­prendre com­ment ces infra­struc­tures évo­luent dans le temps ;

• Ins­pec­tion : à l’instar d’un méde­cin géné­ra­liste, nous détec­tons, recen­sons et clas­si­fions les patho­lo­gies visibles sur une struc­ture pou en déduire un état de san­té, des pré­co­ni­sa­tions d’entretien cou­rant ou spécialisé ;

• Tests, contrôles et rele­vés de mesures : on col­lecte des infor­ma­tions rela­tives à la san­té de l’ouvrage. Pour ce faire, nous avons recours à des « tests à l’effort », des mesures ther­miques, de cor­ro­sion, du contrôle non des­truc­tif, de l’analyse dyna­mique et vibratoire… ;

• Le moni­to­ring : nous ins­tal­lons des cap­teurs sur les infra­struc­tures afin de pou­voir recueillir de manière auto­ma­tique des infor­ma­tions. Ce tra­vail nous per­met de consti­tuer des bases de don­nées impor­tantes et d’alimenter des modèles prédictifs ;

• L’assistance aux maîtres d’ouvrage dans leur poli­tique de sur­veillance et d’entretien de leurs actifs.

Pour mener à bien ces dif­fé­rentes mis­sions, nous avons déve­lop­pé des outils tech­no­lo­giques dotés d’une dimen­sion d’imagerie et de carac­té­ri­sa­tion à haute réso­lu­tion et grand ren­de­ment qui per­mettent de mini­mi­ser la gêne à l’usager. Ces méthodes per­for­mantes et fur­tives nous per­mettent ain­si d’acquérir et de valo­ri­ser le maxi­mum de don­nées. D’ailleurs, chaque année, nous consa­crons près de 10 % de notre chiffre d’affaires à la R&D. Dans le domaine des tun­nels, nous défi­nis­sons les méthodes de sur­veillance les plus per­ti­nentes à déployer en phase tra­vaux mais aus­si en exploi­ta­tion. Nous pre­nons en charge la sur­veillance d’ouvrages exis­tants, construits il y a plu­sieurs années, décen­nies ou siècles, pour appré­hen­der l’apparition ou la ciné­tique d’évolution des patho­lo­gies sus­cep­tible d’affecter ces tun­nels. Concrè­te­ment, notre offre couvre toute la durée de vie d’une infra­struc­ture, et en par­ti­cu­lier d’un tunnel.

La technologie est au cœur de votre modèle et de vos activités. Comment cela se traduit-il concrètement ?

Thi­bault Gouache : His­to­ri­que­ment, l’inspection était réa­li­sée « la main sur l’ouvrage », c’est-à-dire manuel­le­ment et au contact des infra­struc­tures. Ce mode de fonc­tion­ne­ment est assez contrai­gnant : il génère une gêne pour les usa­gers, il doit être réa­li­sé de nuit ce qui n’est pas opti­mal pour les tech­ni­ciens et les opé­ra­teurs (fatigue, risque d’erreurs…). D’autre part, il faut plu­sieurs nuits consé­cu­tives pour ins­pec­ter un tunnel.

Les nou­velles tech­no­lo­gies per­mettent aujourd’hui de numé­ri­ser des kilo­mètres et des kilo­mètres de tun­nels en quelques heures et d’obtenir des pho­tos de très haute réso­lu­tion qui sont ensuite exploi­tables en pho­to­gram­mé­trie. En capi­ta­li­sant sur ces tech­no­lo­gies, SITES a déve­lop­pé une solu­tion pro­prié­taire Scan­Tubes qui per­met un avan­ce­ment de 4 à 6 kilo­mètres par heure, là où manuel­le­ment il faut comp­ter 100 mètres par heure.

» SITES a développé une solution propriétaire ScanTubes qui permet un avancement de 4 à 6 kilomètres par heure, là où manuellement il faut compter 100 mètres par heure. »

À par­tir de ce tra­vail d’inspection numé­ri­sée, nous sommes aus­si en mesure de docu­men­ter et numé­ri­ser inté­gra­le­ment un tun­nel afin de com­pa­rer à chaque ins­pec­tion l’évolution, la dyna­mique et l’apparition de fis­sures. La super- posi­tion des résul­tats des ins­pec­tions régu­lières, men­suelles ou annuelles, apporte des infor­ma­tions pré­cises afin de per­mettre à un expert d’émettre un diag­nos­tic le plus per­ti­nent pos­sible. Au-delà de la dimen­sion génie civil, la numé­ri­sa­tion des ouvrages per­met éga­le­ment de conce­voir une forme du jumeau numé­rique que les exploi­tants peuvent uti­li­ser pour suivre les sys­tèmes d’incendies, les sys­tèmes élec­triques, les lumières…

Chez SITES, nous avons aus­si recours à l’intelligence arti­fi­cielle pour fia­bi­li­ser et accé­lé­rer les ana­lyses. Le rôle de l’IA n’est pas de rem­pla­cer les experts qui res­tent au cœur du pro­ces­sus du diag­nos­tic, mais d’augmenter leur capa­ci­té en iden­ti­fiant auto­ma­ti­que­ment les zones cri­tiques qui néces­sitent une ins­pec­tion humaine. Sur la par­tie moni­to­ring, le déve­lop­pe­ment des capa­ci­tés de trans­mis­sion de don­nées et le coût plus abor­dable des cap­teurs vont per­mettre d’équiper de plus en plus d’ouvrages. Jusque-là, seuls les grands ouvrages et les infra­struc­tures d’exception, comme le via­duc de Mil­lau, que nous avons d’ailleurs ins­tru­men­té, étaient équipés.

Des solutions comme ScanTubes contribuent à faire rayonner l’excellence française à l’international. Qu’en est-il ?

T.G. : Scan­Tubes est une solu­tion légère com­plète pour réa­li­ser un jumeau numé­rique de très haute défi­ni­tion d’un tun­nel ou, plus lar­ge­ment, d’une infra­struc­ture linéaire sou­ter­raine (tun­nel fer­ro­viaire, rou­tier, mari­time ou flu­vial mine, car­rière, sto­ckage, conduite, tuyau­te­ries, des­cen­de­ries…). La solu­tion repose sur un sys­tème de rele­vé d’images, en lumière visible et infra­rouge, à grand ren­de­ment et haute réso­lu­tion, sans moyens lourds à mobi­li­ser (train ou véhi­cule spé­cial…). Les don­nées acquises sont trans­mises aux équipes tech­niques de SITES qui vont alors opé­rer les trai­te­ments pour consti­tuer les don­nées de BIM et per­mettre l’expertise struc­tu­relle mais aus­si mul­ti-métiers à dis­tance. Cela per­met d’inspecter des tun­nels à l’étranger tout en res­tant en France. C’est, par exemple, le cas avec la Chine où nous avons for­mé des opé­ra­teurs locaux à notre sys­tème de numérisation.

Ils sont ain­si auto­nomes sur leurs ins­pec­tions, plus flexibles et réac­tifs. Ensuite, ils nous envoient les don­nées et nous recons­trui­sons la 3D. Nous exper­ti­sons, à dis­tance, les numé­ri­sa­tions réa­li­sées ou lais­sons faire les équipes locales. Grâce à la flexi­bi­li­té que nous offre la solu­tion Scan­Tubes, nous pou­vons nous adap­ter aux besoins des exploi­tants quant à la fré­quence des ins­pec­tions des tun­nels et à leur poli­tique interne de sur­veillance. Enfin, der­nier impact et pas des moindres : nous évi­tons des dépla­ce­ments régu­liers entre la France et la Chine et rédui­sons, de fait, notre impact carbone.

Votre activité est fortement soumise à la question du dérèglement climatique. Comment faites-vous face à cet enjeu ?

T.G : Les infra­struc­tures sont direc­te­ment expo­sées aux méfaits du réchauf­fe­ment cli­ma­tique. Les évé­ne­ments cli­ma­tiques extrêmes ont, en effet, un double impact sur les ouvrages : d’abord, au niveau des infra­struc­tures (béton, métal…) et puis, sur l’environnement natu­rel sur lequel ils reposent (le fond d’une rivière, les berges d’une val­lée…). L’enjeu est donc de pou­voir suivre ces impacts, les éva­luer et les mesu­rer, mais aus­si de s’inscrire dans une démarche d’anticipation pour conseiller la maî­trise d’ouvrage. Cet enjeu est au cœur de notre mis­sion ori­gi­nelle : faire durer demain. En effet, construire un nou­vel ouvrage implique un bilan car­bone consi­dé­rable, alors que le main­te­nir et l’entretenir per­mettent de contri­buer à une démarche ver­tueuse de déve­lop­pe­ment durable en évi­tant la des­truc­tion et la recons­truc­tion. Dans ce contexte, où nos ouvrages n’ont jamais autant souf­fert du fait du réchauf­fe­ment cli­ma­tique, notre mis­sion n’a jamais eu autant de sens !

Quels sont les autres sujets qui vous mobilisent ?

HL & TG : Nous avons bou­clé une sous­crip­tion de FCPE qui a été sur-sous­crite ce qui nous per­met de ren­for­cer notre action­na­riat sala­rié et notre indé­pen­dance qui sont un gage de qua­li­té de nos ser­vices, mais aus­si de la lon­gé­vi­té et de la péren­ni­té de notre entre­prise. Enfin, aujourd’hui, notre ambi­tion est de pas­ser de lea­der fran­çais à lea­der euro­péen indé­pen­dant et d’accélérer notre crois­sance et notre déve­lop­pe­ment dans le monde.

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