Du spatial à la mobilité, ArianeGroup accompagne la filière hydrogène

Dossier : Vie des entreprisesMagazine N°780 Décembre 2022
Par André-Hubert ROUSSEL (X85)

Ari­ane­Group utilise l’hydrogène liq­uide pour propulser les lanceurs Ari­ane. Alors que l’intérêt pour l’hydrogène s’intensifie notam­ment pour des appli­ca­tions de mobil­ité routière, aéro­nau­tique et mar­itime, le groupe fran­co-alle­mand, fil­iale com­mune d’Airbus et de Safran, met son expéri­ence et son exper­tise au ser­vice des indus­triels et des états con­tribuant ain­si à la sou­veraineté européenne. Expli­ca­tions d’André-Hubert Rous­sel, CEO d’ArianeGroup.

ArianeGroup est un acteur historique de la filière hydrogène. Comment votre expertise en la matière s’est-elle renforcée au cours des dernières décennies ? 

Nous util­isons l’hydrogène comme car­bu­rant pour notre lanceur Ari­ane depuis plus de 40 ans. Ce choix a été motivé par les car­ac­téris­tiques de cette molécule assez unique. Disponible en abon­dance, l’hydrogène est l’élément le plus présent dans l’Univers et sur Terre. Cette molécule est par nature décar­bonée et, quand elle est asso­ciée à l’oxygène, on obtient de l’eau. En ter­mes de per­for­mance, elle est très légère mais trois fois plus énergé­tique que les hydro­car­bu­res, des avan­tages clés dans le domaine de la propulsion. 

L’hydrogène gazeux est très volu­mineux à stock­er et néces­sit­erait de le con­tenir com­pressé à très forte pres­sion, dans des réser­voirs très lourds. C’est pourquoi nous l’utilisons à bord d’Ariane sous sa forme liqué­fiée à ‑252°C. L’hydrogène liq­uide prend en effet 800 fois moins de place que sa forme gazeuse. C’est pour l’ensemble de ces raisons que nous util­isons donc la propul­sion à oxygène et hydrogène liq­uides pour l’étage prin­ci­pal et pour l’étage supérieur de notre fusée. 

Plus particulièrement, quels sont vos expertises et vos principaux savoir-faire dans ce domaine ? 

Au fil des décen­nies, nous avons dévelop­pé un savoir-faire unique en ter­mes de con­cep­tion, de pro­duc­tion, de test et d’exploitation d’un véhicule ali­men­té à l’hydrogène liquide. 

Au sein du groupe, nous comp­tons plus de 1 500 per­son­nes en France et en Alle­magne dédiées à cette activ­ité dont plusieurs anciens élèves diplômés de l’École poly­tech­nique, notam­ment la direc­trice de cette activ­ité, Nadège Vis­sière, qui nous a rejoints récemment.

Nos com­pé­tences cou­vrent tout le cycle de vie du pro­duit : le rav­i­taille­ment, le stock­age, les cir­cuits de dis­tri­b­u­tion, les équipements, la com­bus­tion… aux­quelles s’ajoutent des com­pé­tences trans­vers­es : car­ac­téri­sa­tion des matéri­aux, sécu­rité, essais… 

Autant d’expertises et de savoir-faire que nous pou­vons met­tre à dis­po­si­tion des indus­triels qui, dans ce con­texte de décar­bon­a­tion et de tran­si­tion énergé­tique, sont de plus en plus nom­breux à s’intéresser à cette molécule. 

ArianeGroup dispose également d’un site unique au service des autres industries françaises et européennes. Quelles sont ses caractéristiques et ses leviers de différenciation dans le secteur de l’hydrogène ?

Le site de Ver­non en Nor­mandie est le « vais­seau ami­ral » de notre exper­tise dans ce domaine. C’est le cen­tre où nous avons his­torique­ment dévelop­pé, pro­duit et testé les moteurs de nos fusées. Ver­non rassem­ble ain­si toutes les com­pé­tences autour de l’hydrogène. C’est aus­si le plus grand site d’essai en Europe. D’une sur­face de 130 hectares, Ver­non est un incroy­able site pour tous les indus­triels et les entre­pris­es qui veu­lent expéri­menter l’hydrogène en toute sécu­rité. Ver­non est, en effet, un site SEVESO seuil haut où il est pos­si­ble de men­er des expéri­men­ta­tions dans des con­di­tions de sécu­rité opti­males. Les capac­ités déployées à Ver­non dans le cadre du développe­ment d’Ariane ont été essen­tielle­ment financées par l’État. Il est donc par­faite­ment logique que nous ren­dions le site acces­si­ble à tous les acteurs qui souhait­ent dévelop­per leurs activ­ités liées à l’hydrogène.


Lire aus­si : La longue his­toire des lanceurs Ariane


Quelles sont les principales industries qui vous font confiance ? Pouvez-vous nous donner des exemples ? 

On retrou­ve bien évidem­ment nos action­naires, Air­bus et Safran, qui ont des objec­tifs ambitieux en ter­mes de trans­port aéro­nau­tique durable. Dans ce cadre, nous tra­vail­lons sur plusieurs pro­jets en com­mun. On peut notam­ment citer le pro­gramme Hype­r­i­on, lancé en 2021, qui est une coopéra­tion entre Ari­ane­Group, Air­bus et Safran, et qui est déployé avec le sou­tien de la DGAC afin d’étudier un ensem­ble propul­sif inté­gré pour un avion de ligne à l’hydrogène. En par­al­lèle, plusieurs pro­jets sont menés autour des réser­voirs, de la dis­tri­b­u­tion, des équipements et des essais. Et pour accélér­er le développe­ment de l’avion zéro émis­sion, nous avons signé avec Air­bus et Safran un accord de coopéra­tion. Ces appli­ca­tions de l’hydrogène liq­uide intéressent aus­si les acteurs de la mobil­ité à longue dis­tance et de forte puis­sance, notam­ment dans le mar­itime, le flu­vial, le routi­er, ou le fer­rovi­aire, pour accélér­er leur tran­si­tion énergé­tique en cap­i­tal­isant sur nos 40 ans d’expérience et d’expertise de l’hydrogène.

Comment contribuer au développement de cette filière hydrogène aussi bien en France qu’en Europe ? Quelles sont vos ambitions ? 

Depuis notre créa­tion, notre activ­ité est au ser­vice de la sou­veraineté européenne en matière de lanceurs civils et militaires. 

Aujourd’hui, nous sommes au ser­vice de sa sou­veraineté énergé­tique et de l’atteinte de ses objec­tifs ambitieux en ter­mes de décar­bon­a­tion et de neu­tral­ité carbone. 

Dans cette démarche, notre rôle est de met­tre nos com­pé­tences et nos exper­tis­es au ser­vice de la France et des pays européens, mais aus­si de leurs indus­triels. Au-delà, c’est aus­si une oppor­tu­nité pour Ari­ane­Group de créer un échange d’expertise avec d’autres indus­triels et de les appli­quer à notre cœur de méti­er, le spa­tial, pour réduire nos coûts, allonger la durée de vie de nos produits… 

Sur ces sujets et enjeux, quels sont vos axes de développement ?

Nous cher­chons à dévelop­per l’activité hydrogène autour de dif­férents axes, tels que les infra­struc­tures sols, les équipements et sous-sys­tèmes, ou encore les ser­vices d’essais, et à posi­tion­ner notre site de Ver­non comme un hub européen dédié à l’hydrogène. Dans cette démarche, nous béné­fi­cions du sou­tien de nos action­naires, de la Région Nor­mandie, des agences spa­tiales (CNES, ESA…) et de nom­breux autres acteurs de la fil­ière. Nous sommes aus­si mem­bres de dif­férents écosys­tèmes régionaux, nationaux et européens comme France Hydrogène. Au-delà, cette exper­tise nous per­met de dévelop­per une activ­ité nou­velle et com­plé­men­taire au spa­tial, d’élargir nos com­pé­tences et de pro­pos­er à nos équipes des pro­jets tou­jours plus passionnants.


Focus innovation

par Jean-Christophe Henoux, VP en charge des Pro­grammes Futurs au sein d’ArianeGroup.

En plus de l’hydrogène, l’utilisation du méthane est une alternative pertinente pour le carburant des lanceurs de demain. Qu’en est-il concrètement sur le plan opérationnel ?

Depuis plus de 40 ans, nous avons dévelop­pé un savoir-faire avéré en matière de propul­sion à l’hydrogène liq­uide pour notre lanceur Ari­ane. Aujourd’hui, nous nous intéres­sons aus­si au méthane qui est moins coû­teux, pra­tique et facile à manip­uler avec notam­ment une liqué­fac­tion qui s’opère à – 182°C. Sur le plan opéra­tionnel, le recours au méthane per­met de sim­pli­fi­er l’architecture des moteurs, le stock­age des ergols à bord des fusées, mais aus­si d’éliminer les sys­tèmes de pres­suri­sa­tion com­plex­es et coû­teux à base d’hélium.

En out­re, le méthane est 6 fois plus dense que l’hydrogène. Il prend donc moins de place. 

La propul­sion au méthane per­met donc de fab­ri­quer des fusées com­pactes et réutilisables. 

Nous tra­vail­lons aujourd’hui sur Prométheus, un démon­stra­teur de moteur de nou­velle généra­tion, réu­til­is­able et fonc­tion­nant à l’oxygène et au méthane liq­uides. C’est un moteur fab­riqué en très grande par­tie en impres­sion 3D métallique dont l’objectif est d’avoir un coût de pro­duc­tion très bas. Une ver­sion de ce moteur fonc­tion­nant à l’hydrogène est égale­ment en développe­ment. Ce pro­jet va nous per­me­t­tre de sim­pli­fi­er les moteurs, de réduire les coûts, avec, in fine, la pos­si­bil­ité de choisir entre le méthane, pour des mis­sions où un lanceur réu­til­is­able est per­ti­nent, et l’hydrogène pour des mis­sions plus lour­des, comme l’exploration loin­taine de l’espace, pour lesquelles on a besoin de plus d’énergie sur des lanceurs de type Ari­ane. En par­al­lèle, nous tra­vail­lons avec les autres acteurs de la fil­ière, et notam­ment le CNES au cen­tre spa­tial guyanais, pour ne plus dépen­dre des éner­gies fos­siles pour la pro­duc­tion de ces carburants.

En termes d’innovation, quels sont les autres sujets qui vous mobilisent ?

Nous explorons plusieurs pistes : 

  • L’impression 3D : le moteur de Prometheus est imprimé à 70 % en 3D (ALM – Addi­tive Lay­er Man­u­fac­tur­ing). L’objectif est d’atteindre 100 % sur le moyen terme ;
  • L’intelligence arti­fi­cielle (IA) : Prometheus embar­que de l’intelligence grâce à un cal­cu­la­teur dans le moteur, une tech­nique usuelle dans l’aéronautique, mais une pre­mière dans le spa­tial. Cela nous ouvre de nou­velles per­spec­tives en matière d’innovation et de main­te­nance prédictive ;
  • Les com­pos­ites : nous dévelop­pons des réser­voirs cryo­géniques en com­pos­ite pour stock­er de l’hydrogène et de l’oxygène liq­uides, pour économiser de la masse sur le lanceur. Actuelle­ment, nous ne savons pas encore stock­er de l’hydrogène dans des réser­voirs en com­pos­ite sans perte à cause de la volatil­ité de l’hydrogène. Un démon­stra­teur est en cours en Alle­magne pour maîtris­er cette tech­nolo­gie d’ici 2025 et l’embarquer dès 2030 dans un nou­v­el étage supérieur d’Ariane appelé Icarus (Inno­v­a­tive Car­bon ARi­ane Upper Stage) ;
  • Des étages de fusées réu­til­is­ables pour réduire les coûts, c’est l’objet du pro­gramme de démon­stra­tion Themis que l’ESA a con­fié à ArianeGroup.

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