Du dégivrage des avions à la forme des glaçons

Dossier : La mécaniqueMagazine N°752 Février 2020
Par Christophe JOSSERAND

La for­ma­tion de givre en hiver pose des pro­blèmes majeurs pour les trans­ports et cer­taines struc­tures. Au LadHyX, labo­ra­toire d’hydrodynamique de l’École poly­tech­nique et du CNRS, des tra­vaux sont menés sur les méca­nismes cou­plant écou­le­ment et soli­di­fi­ca­tion, en col­la­bo­ra­tion avec l’Institut d’Alembert (labo­ra­toire de Sor­bonne Uni­ver­si­té et du CNRS).

Si la com­pré­hen­sion du givrage ne pose pas appa­rem­ment de pro­blèmes phy­siques fon­da­men­taux, le contrôle de son appa­ri­tion et de sa for­ma­tion, de même que sa dyna­mique d’évolution, reste encore mal com­pris. En par­ti­cu­lier, des ques­tions aus­si simples que l’épaisseur de givre for­mé ou les pro­prié­tés d’adhésion des struc­tures de glace créées font inter­ve­nir le cou­plage entre plu­sieurs phases (essen­tiel­le­ment eau liquide et glace, mais quel­que­fois le taux d’humidité) ou les pro­prié­tés des maté­riaux sur les­quels le givre se forme. Les études sur la for­ma­tion du givre et plus géné­ra­le­ment sur le cou­plage entre soli­di­fi­ca­tion et écou­le­ment ont connu un regain d’activité ces der­nières années, moti­vées notam­ment par les enjeux de sécu­ri­té aérienne mais éga­le­ment par ceux liés au chan­ge­ment cli­ma­tique, afin d’avoir une meilleure com­pré­hen­sion des échanges ther­miques près des pôles en particulier.


REPÈRES

Au-delà du ver­glas qui per­turbe la cir­cu­la­tion, le givre peut clouer au sol un avion pour lequel le dégi­vrage sera long, impli­quant sou­vent l’emploi de pro­duits chi­miques coû­teux et pol­luants. En vol, il peut se for­mer sur la car­lingue et affec­ter l’aérodynamique de l’avion ou, plus grave encore, alté­rer les sondes de pres­sion cru­ciales pour le bon fonc­tion­ne­ment de l’avion. Le dépôt de givre sur une éolienne conduit sou­vent à l’arrêt de celle-ci et là éga­le­ment il faut mettre en œuvre des dis­po­si­tifs com­plexes et coû­teux pour y remédier. 

Der­nier exemple, le givre ou le dépôt de neige consti­tue un risque cli­ma­tique impor­tant de per­tur­ba­tion du réseau de trans­port élec­trique. Les méca­nismes phy­siques à l’origine de la for­ma­tion du givre peuvent varier sui­vant les cas et les cir­cons­tances, des gouttes d’eau en sur­fu­sion dans les nuages, qui soli­di­fient au contact de l’avion, à la soli­di­fi­ca­tion lors du contact de l’eau sur une struc­ture très froide ou lorsque l’atmosphère se refroi­dit rapidement.


Séquence d’images mon­trant la soli­di­fi­ca­tion d’une goutte d’eau dépo­sée sur un bloc de métal très froid.
La fluo­res­céine conte­nue dans l’eau per­met de visua­li­ser la glace en rouge, l’eau en vert.

Deux exemples

Pour illus­trer sim­ple­ment cette inter­ac­tion entre hydro­dy­na­mique et soli­di­fi­ca­tion, on peut regar­der com­ment une goutte d’eau dépo­sée sur une sur­face très froide, par exemple un bloc de métal, gèle, condui­sant à la for­ma­tion inat­ten­due d’une pointe de glace au som­met de la goutte ! Au début, on observe un front de soli­di­fi­ca­tion presque plat se pro­pa­ger dans la goutte à par­tir du sub­strat. La vitesse de pro­pa­ga­tion de ce front peut se com­prendre sim­ple­ment : la cha­leur latente relâ­chée lors de la soli­di­fi­ca­tion est absor­bée par le sub­strat par dif­fu­sion au tra­vers de la couche de glace, ce qui conduit à une crois­sance en racine du temps de la couche de glace. Lors de cette crois­sance, c’est la condi­tion de mouillage de l’eau sur la glace qui engendre la for­ma­tion de la pointe de glace à la fin de la soli­di­fi­ca­tion. Ces pointes peuvent même s’observer quel­que­fois sur les gla­çons de nos congélateurs !

Temps hydrodynamiques et thermiques

On peut comme second exemple s’intéresser aux struc­tures de glace qui se forment lorsqu’une goutte d’eau impacte une sur­face très froide (par exemple une aile d’avion au sol ou une pale d’éolienne en hiver). La goutte d’eau s’étale lors de l’impact, alors qu’une mince couche de glace se forme au contact du sub­strat. Ensuite, après un temps de latence, le film d’eau non encore gelé se rétracte sur la couche de glace pour for­mer in fine deux struc­tures dis­tinctes sui­vant, selon le cas étu­dié, la tem­pé­ra­ture de la plaque : à tem­pé­ra­ture moins basse, l’eau res­tante forme une goutte qui en soli­di­fiant forme un dôme et l’allure finale de la goutte gelée res­semble à celle d’un œuf sur le plat. Mais atten­tion ! Ce dôme n’est pas vrai­ment sphé­rique : il pos­sède une pointe à son som­met, rémi­nis­cence de la dyna­mique de soli­di­fi­ca­tion décrite ! 

À tem­pé­ra­ture plus basse en revanche, le film liquide est stop­pé lors de sa rétrac­ta­tion par le gel au centre du film et on observe la for­ma­tion d’un demi-anneau de glace sur la couche fine de glace ini­tiale. Cet exemple illustre ain­si sim­ple­ment com­ment la dif­fé­rence entre les temps hydro­dy­na­miques (rétrac­ta­tion du film liquide) et ther­miques (crois­sance de la couche de glace) peut conduire à des struc­tures gla­cées variées.

Images suc­ces­sives (de gauche à droite) d’une goutte d’eau impac­tant sur une plaque d’aluminium dont la tem­pé­ra­ture est de – 10 °C (frise du haut) et – 30 °C (frise du bas). Le temps indi­qué sur chaque image cor­res­pond au temps après le moment de l’impact.

Pour aller plus loin…

Ces struc­tures une fois for­mées, il reste à savoir si elles sont stables ou, plus pré­ci­sé­ment, si elles res­tent accro­chées à la plaque ou si elles peuvent faci­le­ment s’en déta­cher, évi­tant ain­si l’altération des pro­prié­tés aéro­dy­na­miques du sub­strat par exemple. En effet, une fois gelée, la goutte reste au contact de la plaque, qui est à très basse tem­pé­ra­ture, et la glace conti­nue donc de se refroi­dir, engen­drant sa contrac­tion. Cette contrac­tion n’est pas com­pa­tible avec l’adhésion sur le sub­strat et on peut, sui­vant la tem­pé­ra­ture et la nature du sub­strat, obte­nir la désta­bi­li­sa­tion de la struc­ture de deux manières très dif­fé­rentes. Dans cer­tains cas en effet, plus pré­ci­sé­ment pour cer­tains types de sub­strat, on peut obser­ver à suf­fi­sam­ment basse tem­pé­ra­ture la déla­mi­na­tion de la goutte de glace, c’est-à-dire son décro­chage de la plaque.

Dans d’autres cas, on observe au contraire la for­ma­tion de fis­sures, appa­rais­sant plus ou moins bru­ta­le­ment sui­vant la tem­pé­ra­ture de la plaque. Si la pre­mière situa­tion per­met l’évacuation de la glace de la sur­face, la seconde au contraire laisse la glace accro­chée et d’autant plus dif­fi­cile à enlever !

Techniques de dégivrage

Pour finir, lorsque l’eau coule sur une sur­face très froide, la glace qui se forme est cette fois ali­men­tée conti­nû­ment par le filet d’eau qui va donc geler en s’écoulant. Cette situa­tion peut se retrou­ver pen­dant les phases de dégi­vrage des ailes d’avion par exemple, où un chauf­fage est appli­qué loca­le­ment et entraîne la for­ma­tion de filets liquides qui peuvent éven­tuel­le­ment rege­ler sur les zones plus froides (non chauf­fées) de l’aile. Dans ce cas, les échanges ther­miques entre la paroi et le film liquide conduisent à l’évolution de la couche de glace via la cha­leur relâ­chée par la soli­di­fi­ca­tion, et la for­ma­tion d’une couche limite ther­mique dans le film liquide. Au fur et à mesure que l’eau dévale sur le sub­strat, la couche de glace s’épaissit, don­nant lieu à un filin de glace dont l’épaisseur aug­mente linéai­re­ment le long de la paroi solide.

For­ma­tion de fis­sures dans la glace aux temps longs (de l’ordre de quelques secondes) pour des tem­pé­ra­tures de la plaque de métal suf­fi­sam­ment faibles. On observe deux types de for­ma­tion de fis­sure : par frag­men­ta­tion (en haut), les fis­sures appa­rais­sant par pro­pa­ga­tion rapide à par­tir d’un point par­ti­cu­lier ; par appa­ri­tion suc­ces­sive de lignes de frac­ture (en bas).

Pour conclure

Les géo­mé­tries des struc­tures de glace for­mées lorsqu’un écou­le­ment est au contact d’une sur­face très froide varient donc for­te­ment en fonc­tion des para­mètres à la fois de l’écoulement et du sub­strat. Leur com­pré­hen­sion impose de consi­dé­rer le cou­plage entre ther­mique et méca­nique des fluides et des solides, afin de pou­voir, par exemple, cal­cu­ler leur sta­bi­li­té méca­nique. Au-delà des quelques exemples pré­sen­tés ici, de nom­breuses situa­tions pour­ront être (re)considérées dans le futur, notam­ment en milieu natu­rel : de la for­ma­tion des sta­lag­mites et sta­lac­tites de glace le long des routes de mon­tagne en hiver à la for­ma­tion de cercles de glace dans les coudes des fleuves dans les régions nordiques.

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