Droit maritime et océanique : la fin de l’aventure et de la liberté ?

Dossier : Les métiers de la merMagazine N°644 Avril 2009
Par Patrick CHAUMETTE

REPÈRES
La Con­ven­tion sur le droit de la mer des Nations unies, signée à Mon­tego Bay le 10 décem­bre 1982, entrée en vigueur le 16 novem­bre 1994, ren­force la liber­té de la nav­i­ga­tion et la liber­té du com­merce mar­itime. Elle frac­tionne l’espace marin dans un dégradé juridique. 

L’océan n’a pas changé, mais la dimen­sion que nous lui prê­tons s’est forte­ment réduite. L’aug­men­ta­tion sans précé­dent des formes d’usage de l’océan, la fréquen­ta­tion humaine du lit­toral et de la bande côtière, les évo­lu­tions tech­niques ont boulever­sé les équili­bres écologiques et économiques. Le droit s’ef­force d’en­cadr­er les activ­ités anthropiques, dans des com­pro­mis économiques et inter­na­tionaux, sans peut-être réus­sir à sauve­g­arder l’écosystème. 

La mer ” rétrécie ”


Amo­co Cadiz

Au fur et à mesure de l’éloigne­ment de la côte, la sou­veraineté des États riverains laisse place à des com­pé­tences exclu­sives, mais final­isées, dans la Zone économique exclu­sive (ZEE). Nul ne peut s’ap­pro­prier la haute mer, en dépit de l’emprise des États côtiers. L’ex­ten­sion des ZEE au plateau con­ti­nen­tal est en marche. Les grands fonds marins, pat­ri­moine com­mun de l’hu­man­ité, sont admin­istrés par une Autorité inter­na­tionale, mais la Réso­lu­tion 48/263 de l’Assem­blée générale des Nations unies du 17 août 1994 a con­sid­érable­ment mod­i­fié l’équili­bre orig­inel. Les investis­seurs pio­nniers ont été recon­nus ; un code minier a été adop­té par la Haute Autorité en 2000 ; l’in­térêt pour les dépôts métal­lifères ou de sul­fures des sources hydrother­males, l’in­térêt pour la bio­di­ver­sité marine pro­fonde des invertébrés et des bac­téries prend le pas sur la con­sid­éra­tion anci­enne pour les nod­ules polymétalliques.

Les grands fonds marins sont admin­istrés par une autorité internationale

Le lit­toral se den­si­fie, ren­dant plus com­plex­es les exten­sions por­tu­aires, mais exigeant la pro­tec­tion de l’en­vi­ron­nement marin. Le Livre vert mar­itime européen du 7 juin 2006, Vers une poli­tique mar­itime de l’U­nion européenne : une vision européenne des mers et des océans, met­tait l’ac­cent sur la néces­sité de ” max­imiser ” la qual­ité de la vie dans les régions côtières. Le souhait de poli­tiques mar­itimes inté­grées, tant européennes que nationales, exprimé dans le Livre vert européen, puis bleu, dans le rap­port du groupe Poséi­don de décem­bre 2006 Une ambi­tion mar­itime pour la France, sem­ble se heurter à la dure con­ti­nu­ité his­torique, met­tant en lumière des mesures très sec­torisées, très peu globales.

La mer mondialisée

Naufrages
Les naufrages de trans­bor­deurs, Scan­di­navia, Her­ald of Free Entre­prise, ont con­duit à une ” com­mu­nau­tari­sa­tion ” des con­ven­tions inter­na­tionales de l’O­MI, à par­tir de 1993. Les naufrages médi­a­tiques des pétroliers Eri­ka et Pres­tige ont accen­tué la pres­sion européenne sur l’O­MI, mais aus­si par voie de con­séquence sur les États mem­bres. La France a décou­vert, lors du naufrage de l’Eri­ka, en 1999, l’im­pos­si­bil­ité de réduire son admin­is­tra­tion mar­itime, compte tenu de ses com­pé­tences et con­trôles vis-à-vis des navires faisant escale dans nos ports, quel que soit leur lieu d’im­ma­tric­u­la­tion. Il faut con­cili­er les logiques de l’É­tat du pavil­lon et celles de l’É­tat riverain.

Les cadres juridiques nationaux des activ­ités mar­itimes ont été beau­coup plus per­tur­bés par la libre imma­tric­u­la­tion des navires, pro­duit inat­ten­du de la décoloni­sa­tion, que par la con­struc­tion du marché com­mu­nau­taire. Les océans étant devenus paci­fiques, l’im­ma­tric­u­la­tion du navire n’est plus qu’un choix de ges­tion, de man­age­ment, d’im­plan­ta­tion com­mer­ciale et d’im­age de mar­que de l’arme­ment. Les lég­is­la­tions nationales sont mis­es en con­cur­rence notam­ment dans le domaine social. L’ar­tic­u­la­tion des con­trôles publics de l’É­tat du pavil­lon et des con­trôles privés, effec­tués par les sociétés de clas­si­fi­ca­tion, se trou­ble. La marine marchande est ain­si entrée dans un cer­cle vicieux, la pêche ” illé­gale ” a suivi son sil­lage. L’ac­cès aux quo­tas nationaux de pêche a excep­tion­nelle­ment don­né un enjeu à l’im­ma­tric­u­la­tion des navires de pêche, compte tenu de la com­mu­nau­tari­sa­tion des ZEE des États mem­bres et de la Poli­tique com­mune des pêch­es (PCP). Il n’est pas raisonnable d’at­ten­dre du retour de la pira­terie, ou d’at­teintes à la sûreté, la néces­sité d’une pro­tec­tion des navires par les marines nationales, de sorte que l’im­ma­tric­u­la­tion soit à nou­veau un enjeu majeur.

Le développe­ment de con­ven­tions inter­na­tionales dans le cadre de l’Or­gan­i­sa­tion mar­itime inter­na­tionale (OMI) — SOLAS, MARPOL, STCW — ou de l’Or­gan­i­sa­tion inter­na­tionale du tra­vail (OIT) a néces­sité que la logique de l’É­tat du pavil­lon soit com­plétée par celle de l’É­tat du port. Seul le Port state con­trol assure la ” traça­bil­ité ” du navire et de son man­age­ment, la sécu­rité mar­itime et la sûreté por­tu­aire et mar­itime, l’ex­ten­sion des normes inter­na­tionales à la majorité de la flotte mondiale.

Il con­vient d’ar­tic­uler les con­ven­tions inter­na­tionales de l’O­MI et de l’OIT, avec le droit région­al européen et les droits nationaux. Cette évo­lu­tion n’est nulle­ment spé­ci­fique aux activ­ités mar­itimes, mais elle y est plus intense. L’in­er­tie d’É­tats com­plaisants avait déséquili­bré l’ensem­ble de l’en­cadrement juridique des activ­ités en mer. Les défauts de veille à la passerelle, tant des navires marchands que de pêche, démon­trent, à tra­vers des abor­dages en haute mer, la com­plex­ité de l’ar­tic­u­la­tion des com­pé­tences pénales, les risques d’im­punité. Arma­teurs de France recherche les moyens de respon­s­abilis­er les États du pavil­lon. Faut-il préfér­er les pres­sions diplo­ma­tiques aux com­pé­tences des juri­dic­tions inter­na­tionales, Cour inter­na­tionale de jus­tice et Tri­bunal inter­na­tion­al du droit de la mer de Hambourg ?

L’inertie d’États com­plaisants a déséquili­bré l’encadrement juridique des activ­ités en mer

Cette com­plex­ité juridique néces­site des com­pé­tences, à bord comme en mer, dans les admin­is­tra­tions comme les juri­dic­tions, les cab­i­nets d’av­o­cats, comme les entre­pris­es. Les activ­ités mar­itimes ont subi depuis 1950 une très impor­tante divi­sion inter­na­tionale du tra­vail, fort inquié­tante pour les États mar­itimes et côtiers. Les États four­nisseurs de main-d’oeu­vre atten­dent les devis­es de leurs ressor­tis­sants nationaux qui vont en mer, mais ne leur assurent qua­si­ment aucune pro­tec­tion. La pénurie mon­di­ale d’of­ficiers de marine marchande, annon­cée par des études bri­tan­niques dès 1997, est-elle annon­ci­atrice d’une pénurie de com­pé­tences mar­itimes, dans les activ­ités ” ter­ri­ennes “, por­tu­aires, indus­trielles et com­mer­ciales, admin­is­tra­tives et juridictionnelles ?

Pol­lu­tions visibles
La pro­tec­tion de l’en­vi­ron­nement, objec­tif notam­ment dévelop­pé dans le traité d’Am­s­ter­dam de 1997, a amené l’ap­pari­tion de com­pé­tences com­mu­nau­taires pénales, con­cer­nant notam­ment la pol­lu­tion causée par les navires. Même si la pol­lu­tion marine est à 80 % tel­lurique, l’ac­cent est mis sur les pol­lu­tions vis­i­bles, provenant notam­ment des navires et des hydro­car­bu­res. La Cour de jus­tice a qual­i­fié de déchet la car­gai­son d’un pétroli­er cassé en mer et arrivant sur les côtes. Le droit de l’en­vi­ron­nement pour­suit, depuis les déci­sions inter­v­enues aux États-Unis d’Amérique à la suite de naufrage de l’Amo­co Cadiz, le 16 mars 1978, la trans­for­ma­tion du droit mar­itime, ce que beau­coup perçoivent comme une sorte de destruc­tion. La valid­ité même de la Direc­tive 2005/35/CE du Par­lement européen et du Con­seil du 7 sep­tem­bre 2005 rel­a­tive à la pol­lu­tion causée par les navires a été con­testée, en rai­son d’ex­i­gences supérieures à la con­ven­tion MARPOL de l’O­MI : le recours effec­tué au Roy­aume-Uni par les arma­teurs de pétroliers et de car­gos a été rejeté. La Com­mu­nauté européenne n’est pas par­tie à la con­ven­tion MARPOL, qui n’est pas inté­grée au droit com­mu­nau­taire. La High Court of Jus­tice de Lon­dres n’est pas com­pé­tente pour met­tre en ques­tion la valid­ité de la direc­tive com­mu­nau­taire. Sera-ce donc à l’avenir à l’O­MI de s’adapter aux ini­tia­tives européennes ?

L’aventure maritime banalisée ?

Au XXe siè­cle, le par­tic­u­lar­isme du droit mar­itime a été rénové par les con­ven­tions inter­na­tionales, quand ce par­tic­u­lar­isme était en voie de réduc­tion dans les cadres nationaux. Puis la terre s’est pro­tégée des marchan­dis­es dan­gereuses trans­portées en mer : les ” pilleurs d’é­paves ” risquent de ramass­er des déto­na­teurs, des pro­duits chim­iques, des galettes de fuel. L’ac­tion de l’É­tat en mer ren­force sa dimen­sion préven­tive, autant que son ray­on d’ac­tion. La dernière aven­ture en mer reste-t-elle celle des cour­siers du Vendée Globe ?

Le droit de l’environnement pour­suit la trans­for­ma­tion du droit maritime

Les périls de la mer et l’aven­ture mar­itime peu­vent-ils encore jus­ti­fi­er la lim­i­ta­tion de respon­s­abil­ité dont béné­fi­cient les trans­porteurs mar­itimes ? La nav­i­ga­tion mar­itime ain­si que les autres activ­ités humaines en mer, inter­venant dans un milieu spé­ci­fique, peu­vent-elles relever d’un traite­ment spé­ci­fique notam­ment des respon­s­abil­ités ? La lim­i­ta­tion de respon­s­abil­ité cor­re­spondait à une répar­ti­tion des risques entre les acteurs de la fil­ière mar­itime, l’in­for­tune de mer. Elle pou­vait être com­parée au mode de rémunéra­tion à la part de pêche, aux prof­its éventuels, la for­tune de mer. Peut-elle être imposée à des per­son­nes étrangères à ce milieu, ne par­tic­i­pant pas aux fruits de la bonne aven­ture, mais subis­sant leur part néfaste des risques mar­itimes ? Le développe­ment de l’as­sur­ance a civil­isé cette lim­i­ta­tion de respon­s­abil­ité, mais l’as­sur­ance mar­itime présente ses pro­pres lim­ites. L’ap­préhen­sion de la mer par le droit suit l’his­toire des évo­lu­tions tech­niques, la pêche, le trans­port mar­itime, l’ex­ploita­tion des ressources minérales et vivantes, la mer étant un vol­ume et pas seule­ment une sur­face. Il manque une approche syn­thé­tique, qui prenne en compte les spé­ci­ficités du milieu marin, dans le cadre de principes généraux com­muns à toutes les activ­ités humaines. La pro­tec­tion de la mer doit précéder les nou­velles explo­rations des humains.

BIBLIOGRAPHIE

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