Développement et biodiversité durables : une approche par les droits de propriété

Dossier : La biodiversitéMagazine N°616 Juin/Juillet 2006
Par Michel TROMMETTER

La bio­di­ver­sité est un bien pub­lic glob­al qui est le résul­tat d’in­ter­ac­tions dynamiques entre des écosys­tèmes, ces écosys­tèmes étant eux-mêmes le résul­tat d’in­ter­ac­tions dynamiques local­isées entre des plantes, des ani­maux, des micro-organ­ismes et des hommes. Cer­tains de ces élé­ments (plantes, ani­maux, arbres) peu­vent être indi­vidu­elle­ment pri­vatisés par l’homme. Les activ­ités anthropiques, asso­ciées à l’évo­lu­tion naturelle des écosys­tèmes et des espèces, con­duisent à des mod­i­fi­ca­tions dans les équili­bres dynamiques des écosys­tèmes locaux et à des exter­nal­ités sur la biodiversité.

Conservation du potentiel évolutif

En réponse à l’éro­sion de la bio­di­ver­sité, le biol­o­giste de la con­ser­va­tion pro­pose le “main­tien d’un poten­tiel évo­lu­tif” min­i­mum, là où l’é­con­o­miste voudrait lim­iter les “irréversibil­ités”. Selon l’OCDE (2005), il faut : “Iden­ti­fi­er les caus­es sous-jacentes de la perte de la bio­di­ver­sité dans la mesure où l’ob­jec­tif de l’ac­tion publique ne con­siste pas à inter­dire pure­ment et sim­ple­ment toute dis­pari­tion — il s’ag­it d’as­sur­er une util­i­sa­tion durable et un degré de con­ser­va­tion qui prof­i­tent à tous. “Dans ce con­texte, l’e­spèce, même si elle reste un élé­ment impor­tant pour la ges­tion de la bio­di­ver­sité, n’est plus néces­saire­ment au cen­tre de l’analyse. En effet, des espèces, même emblé­ma­tiques, peu­vent dis­paraître sans nuire au poten­tiel évo­lu­tif de la bio­di­ver­sité, il fau­dra alors trou­ver d’autres motifs pour les préserv­er (pat­ri­mo­ni­aux, économiques, soci­aux…). Par con­tre, la lim­i­ta­tion du poten­tiel d’évo­lu­tion aug­mente les risques de dys­fonc­tion­nements des écosys­tèmes donc les risques à long terme pour la bio­di­ver­sité. Les enjeux sont de main­tenir une capac­ité d’adap­ta­tion à des mod­i­fi­ca­tions d’é­tats du monde (réchauf­fe­ment cli­ma­tique) qui per­me­tte un développe­ment et une bio­di­ver­sité durables.

Dans une sit­u­a­tion don­née, il s’ag­it de com­par­er l’ef­fi­cac­ité économique, sociale et écologique de chaque option. Pour com­pren­dre la mise en œuvre de ces dif­férentes options de con­ser­va­tion, nous pro­posons d’é­tudi­er les droits de pro­priété qui vont inter­venir dans la ges­tion de la bio­di­ver­sité. D’une part en étu­di­ant les droits de pro­priété sur le fonci­er et sur les ressources naturelles, liés prin­ci­pale­ment à des activ­ités d’ex­trac­tion des ressources naturelles et d’autre part en analysant les droits de pro­priété sur les inno­va­tions issues des ressources géné­tiques en agri­cul­ture ou en pharmacie.

Droits sur les ressources naturelles

L’ab­sence de pro­priété avec accès et usages libres cor­re­spond à la “tragédie des com­mu­naux” et aboutit à la sur­ex­ploita­tion des ressources. Pour y remédi­er, les options de droits sont divers­es et peu­vent avoir des con­séquences vari­ables sur la ges­tion des ressources :

• absence de pro­priété avec des droits d’ac­cès et d’usage gérés par des droits col­lec­tifs local­isés non recon­nus par l’État ;
 pro­priété de l’État ;
 pro­priété com­mu­nale ou col­lec­tive recon­nue par l’État ;
 pro­priété privée…

On peut avoir super­po­si­tion de droits, par exem­ple la coex­is­tence d’un droit de l’É­tat sur les écosys­tèmes avec des droits locaux non recon­nus par l’É­tat qui peu­vent se révéler antag­o­nistes. Dans cette sit­u­a­tion, que l’on soit dans le cadre de la ges­tion des ressources naturelles renou­ve­lables ou non renou­ve­lables, les États doivent pren­dre garde à accorder des con­ces­sions d’ex­ploita­tion à des entre­pris­es privées qui soient com­pat­i­bles avec la ges­tion de ces ressources par les pop­u­la­tions locales. Sinon, il en résulte une perte de légitim­ité des droits locaux par rap­port aux droits de l’É­tat qui peut entraîn­er la sur­ex­ploita­tion des ressources, donc une tragédie des com­mu­naux du fait de l’ac­tion con­jointe des com­pag­nies privées et des pop­u­la­tions locales qui se sen­tent dépos­sédées de leurs droits cou­tu­miers. Dans ce cas, la tragédie des com­mu­naux n’est pas le résul­tat d’une absence de droit, mais le résul­tat d’une super­po­si­tion de droits mal maîtrisée.

Dans ce con­texte de déf­i­ni­tion des droits, l’É­tat peut lim­iter cer­tains usages y com­pris dans le cas de la pro­priété privée : droit de con­stru­ire con­di­tion­né à l’oc­troi du per­mis de con­stru­ire ou inter­dic­tion de chas­s­er les espèces pro­tégées en tous lieux.

Coopération internationale : certification et traçabilité

Si un pays n’a pas les moyens de faire respecter ses droits, donc de lim­iter les exploita­tions illé­gales des ressources, des mesures inter­na­tionales peu­vent être pris­es pour que ce soit le pays impor­ta­teur (l’u­til­isa­teur) qui s’as­sure de la légal­ité des pro­duits qui entrent sur son ter­ri­toire. C’est le cas de la con­ven­tion sur le Com­merce inter­na­tion­al des espèces de faune et de flo­re sauvages men­acées d’ex­tinc­tion (CITES). Le com­merce inter­na­tion­al de cer­taines espèces est inter­dit, il est lim­ité pour d’autres. La bonne ges­tion passe par la traça­bil­ité effi­cace des biens : l’ivoire com­mer­cial­isé provient-il d’un éléphant tué “légale­ment” ou “illé­gale­ment” ?

Au niveau de l’ex­ploita­tion forestière, l’in­tro­duc­tion de cer­ti­fi­ca­tions envi­ron­nemen­tales doit per­me­t­tre une meilleure ges­tion de la forêt et un meilleur partage des avan­tages. La ques­tion de la dura­bil­ité de l’ex­ploita­tion de la forêt pri­maire est donc liée à la traça­bil­ité de la prove­nance du bois et au respect des claus­es des con­trats de con­ces­sion imposés par les ges­tion­naires. La cer­ti­fi­ca­tion et autres out­ils de traça­bil­ité envi­ron­nemen­tale exis­tent égale­ment pour assur­er une ges­tion durable de la pêche, en com­plé­ment d’une régle­men­ta­tion restric­tive et appro­priée, afin que ceux qui réalisent une pêche durable reçoivent des inci­ta­tions claires.

Impacts positifs versus négatifs

L’ex­ploita­tion minière ou pétrolière a un impact sur la bio­di­ver­sité : effets directs destruc­teurs de bio­di­ver­sité liés à la con­struc­tion des infra­struc­tures néces­saires à l’ex­ploita­tion des ressources non renou­ve­lables (extrac­tion et trans­port), et effets indi­rects du fait que les com­mu­nautés locales devront trou­ver de nou­veaux écosys­tèmes pour sat­is­faire leurs besoins, donc mod­i­fi­er l’aire géo­graphique de l’ac­tiv­ité de cueil­lette par exem­ple, en péné­trant plus loin dans la forêt. Mais elle peut, par­al­lèle­ment, avoir un effet posi­tif si les pop­u­la­tions locales trou­vent à cette occa­sion de nou­veaux débouchés pour cer­taines ressources et lim­iter ain­si leur pres­sion sur les écosys­tèmes. Des agro-forestiers, qui grâce au développe­ment d’in­fra­struc­tures de trans­port peu­vent ven­dre ou échang­er leurs pro­duc­tions con­tre du riz, réduiront leurs cul­tures de riz sur brûlis et leur impact sur la biodiversité.

L’ex­trac­tion des plantes et d’an­i­maux d’ex­por­ta­tion source des devis­es n’est pas sans risque : d’une part pour l’en­vi­ron­nement par une sur­ex­ploita­tion de la ressource et d’autre part pour les sociétés locales avec le risque de lim­i­ta­tion des util­i­sa­tions locales de la ressource. Ain­si dans le cas du neem, la ressource n’a pas dis­paru mais elle est moins acces­si­ble aux plus pau­vres, qui lui sub­stituent d’autres ressources et met­tent poten­tielle­ment en dan­ger la via­bil­ité de l’é­cosys­tème. Dans cet exem­ple, une mau­vaise répar­ti­tion de la rente entre extracteurs et pop­u­la­tions locales a des effets négat­ifs sur la ges­tion de la bio­di­ver­sité à long terme.

Ressources génétiques & bioprospection

La Con­ven­tion sur la diver­sité biologique (CDB) recon­naît la sou­veraineté des États sur leurs ressources géné­tiques et par­al­lèle­ment leur respon­s­abil­ité quant à leur ges­tion et leur con­ser­va­tion. Cette sou­veraineté implique pour chaque État de définir l’al­lo­ca­tion ini­tiale des droits (droits d’ac­cès et d’usage) sur ses ressources géné­tiques végé­tales, ani­males et micro­bi­ennes. Ces droits sont accordés soit à un niveau insti­tu­tion­nel (min­istère, agence de l’en­vi­ron­nement), soit aux pop­u­la­tions locales (droit de pro­priété col­lec­tif), soit à des indi­vidus par un droit de pro­priété privée sur les ressources.

Quel que soit le sig­nataire de l’ac­cord de bio­prospec­tion, la qual­ité des ressources géné­tiques est incon­nue a pri­ori ce qui ne per­met pas de définir un prix d’équili­bre sat­is­faisant. Pour arriv­er à une sit­u­a­tion d’échange, il faut dis­soci­er le prix de l’ac­cès à la ressource du prix de l’usage de la ressource qui sera rené­go­cié une fois la fonc­tion de la ressource iden­ti­fiée. Cela néces­site la rédac­tion de con­trats définis­sant les con­di­tions d’ac­cès et d’usage des ressources géné­tiques avec des claus­es séquentielles :
1) le deman­deur paye pour l’ac­cès et
2) en cas de suc­cès (réal­i­sa­tion d’une inno­va­tion) il paye le droit d’usage de la ressource.

Par rap­port aux autres ressources naturelles, la spé­ci­ficité des ressources géné­tiques est d’une part que le trans­fert des droits de pro­priété se fait en l’ab­sence de con­nais­sance de la valeur de cette ressource et d’autre part que l’ac­cès à l’in­no­va­tion issue d’une ressource géné­tique pour son déten­teur ini­tial peut être ren­du dif­fi­cile par la mise en œuvre des droits de pro­priété intellectuelle.

Biodiversité et biotechnologies

Les ressources géné­tiques sont prin­ci­pale­ment util­isées dans trois secteurs d’ac­tiv­ité : l’a­gri­cul­ture, la phar­ma­cie et la cos­mé­tique. Lors de leur inté­gra­tion dans une inno­va­tion, le droit de pro­priété intel­lectuelle accordé va dépen­dre de l’in­no­va­tion réal­isée (sélec­tion végé­tale clas­sique, aug­men­ta­tion de diver­sité géné­tique, décou­verte de principes act­ifs) et de la prove­nance du matériel géné­tique. Pour que le déten­teur ini­tial de la ressource de base, qu’il soit ges­tion­naire local (sig­nataire du con­trat de bio­prospec­tion) ou gérant d’une col­lec­tion de ressources géné­tiques (banque de gènes), soit con­sulté à l’oc­ca­sion de demande de droit de pro­priété intel­lectuelle sur des inno­va­tions issues de cette ressource, il faut que cela ait été stip­ulé dans le con­trat de bio­prospec­tion ou d’ac­cès à la col­lec­tion de ressources génétiques.

Cas des semences agricoles

Pour les appli­ca­tions agri­coles, la pro­tec­tion retenue pour les inno­va­tions est soit le secret, soit le Cer­ti­fi­cat d’ob­ten­tion végé­tale (COV), soit le brevet. Le COV est un sys­tème sui gener­is pro­posé par l’U­nion pour la pro­tec­tion des obten­tions végé­tales (UPOV). Ce sys­tème pro­tège la semence com­mer­cial­isée, en lais­sant un accès libre, gra­tu­it et automa­tique à la diver­sité géné­tique qui la com­pose. Par­al­lèle­ment à la pro­tec­tion par COV pour les semences, la pro­tec­tion par brevet est de plus en plus util­isée pour pro­téger les inter­mé­di­aires de la recherche dans le secteur des semences (séquence de gènes, tech­nolo­gies d’in­ser­tion) voire pour pro­téger les semences elles-mêmes dans le cas des Organ­ismes géné­tique­ment mod­i­fiés (OGM). Des dif­férences majeures exis­tent entre les pays : l’Eu­rope pro­tège par le secret ou un COV la créa­tion var­ié­tale résul­tant de la sélec­tion clas­sique. Le brevet (direc­tive 98–44-CE du Par­lement européen) reste réservé aux var­iétés com­por­tant des gènes externes à la plante, intro­duits par des tech­niques du génie géné­tique (OGM). Les États-Unis pro­tè­gent prin­ci­pale­ment leurs var­iétés par brevet ou par secret, et ce quel que soit le type de sélec­tion utilisé.

La FAO dans son Traité sur les ressources phy­togéné­tiques pour l’al­i­men­ta­tion et l’a­gri­cul­ture recom­mande un accès facil­ité à la diver­sité géné­tique, y com­pris à la diver­sité géné­tique con­tenue dans les OGM, et tend vers un accès libre payant général­isé et lim­ité à une liste d’e­spèces. Pour faciliter cet accès, l’U­nion européenne a créé la licence croisée oblig­a­toire entre le COV et le brevet.

Extension des brevets

Les espèces ne fig­u­rant pas dans la liste de la FAO sont gérées par la CDB, donc par des con­trats en général bilatéraux entre le déten­teur d’une ressource et l’en­tre­prise deman­deuse. Dans les appli­ca­tions indus­trielles autres que les semences, le brevet et le secret sont générale­ment autorisés par l’É­tat. Le pro­prié­taire d’un brevet sur une inno­va­tion con­tenant des ressources géné­tiques peut donc, sous cer­taines con­di­tions, inter­dire l’usage de la ressource géné­tique par d’autres. Ces brevets sont accordés par les offices de brevets et sont depuis quelques années sujets à cau­tion. Les uni­ver­sités améri­caines se sont ren­du compte que, pour réalis­er leurs recherch­es, elles peu­vent dépen­dre de nom­breux brevets dont la négo­ci­a­tion de licences peut con­duire à des coûts de trans­ac­tions qui peu­vent devenir dis­suasifs du fait de l’ex­is­tence de trop ” d’ayants droit ” avec des inven­tions en amont qui peu­vent blo­quer les inno­va­tions ultérieures.

La sit­u­a­tion actuelle, des éten­dues de brevets très larges accordées à des séquences de gènes ou à des facil­ités essen­tielles, con­duit à des lim­i­ta­tions exces­sives des usages qui pour­ront être faits de ces inno­va­tions, y com­pris dans des secteurs où l’en­tre­prise déten­trice du brevet incrim­iné est absente. Dans ce con­texte, il y a des risques pour une uni­ver­sité ou une petite entre­prise d’en­frein­dre des droits dont elle igno­rait l’existence.

Circulation des innovations

La dif­fu­sion des inno­va­tions et des tech­nolo­gies est sou­vent liée à des ques­tions de pro­priété intel­lectuelle et aux risques d’ap­pro­pri­a­tion par des tiers. Dans ce con­texte, l’Or­gan­i­sa­tion mon­di­ale du com­merce (OMC) a piloté les débats qui ont con­duit aux Accords sur les droits de pro­priété intel­lectuelle liés au com­merce (ADPIC). L’ob­jec­tif de ces accords mul­ti­latéraux est d’in­stau­r­er, au niveau mon­di­al, un niveau de droit de pro­priété intel­lectuelle min­i­mal pour assur­er l’inci­ta­tion à l’in­no­va­tion et la cir­cu­la­tion des pro­duits les plus inno­vants, dans un objec­tif de bien-être social mondial.

Au niveau des pays dévelop­pés, où la pro­priété intel­lectuelle est général­isée, la dif­fu­sion des inno­va­tions se fait selon les droits de pro­priété intel­lectuelle en vigueur dans les pays. Ain­si des semences cou­vertes par un COV en Europe peu­vent dépen­dre d’un brevet aux USA et ne seront donc pas com­mer­cial­isées aux USA. De même, pour les médica­ments, l’in­no­va­teur va décider des pays dans lesquels il va com­mer­cialis­er son inno­va­tion selon la dépen­dance qu’il peut avoir vis-à-vis d’autres brevets et de la taille du marché atten­du. Cela sig­ni­fie que dans un pays non revendiqué par un inno­va­teur, les entre­pris­es peu­vent, pour com­mer­cialis­er un pro­duit, utilis­er une inno­va­tion brevetée ailleurs sans pay­er de redevances.

Accès aux innovations

La rela­tion entre pays dévelop­pés et pays en développe­ment (PVD) est plus déli­cate. Dans le cadre des accords ADPIC, les PVD s’en­ga­gent à met­tre en œuvre des droits de pro­priété intel­lectuelle en agri­cul­ture de manière à favoris­er la dif­fu­sion de semences des pays dévelop­pés. Le choix de l’outil de pro­priété intel­lectuelle aura des effets sur l’or­gan­i­sa­tion de la recherche et sur la dif­fu­sion des semences dans les PVD. Si les droits de pro­priété intel­lectuelle retenus sont trop forts par rap­port à leurs capac­ités de recherche, il existe des risques de dépen­dance pour le long terme de l’a­gri­cul­ture aux inno­va­tions réal­isées dans les pays développés.

Or, ces inno­va­tions peu­vent se révéler peu adap­tées aux con­traintes pédo­cli­ma­tiques du Sud ou gour­man­des en intrants coû­teux. La réal­i­sa­tion de ces risques aurait des con­séquences néga­tives sur l’en­vi­ron­nement et la bio­di­ver­sité. Il faut que les droits de pro­priété pren­nent en compte les dif­férences de développe­ment entre les pays afin de favoris­er un développe­ment et une bio­di­ver­sité durables.

L’ac­cès aux médica­ments pour les pays du Sud dépend des droits de pro­priété en vigueur, mais égale­ment du prix auquel les médica­ments seront disponibles. En effet, met­tre en place une pro­priété intel­lectuelle sans garantie d’un prix de vente acces­si­ble aux plus pau­vres est sociale­ment non effi­cace pour un pays. En cas d’en­jeux majeurs, les États peu­vent, comme dans le cas agri­cole, recourir à la licence oblig­a­toire : licences d’É­tat pour des motifs d’in­térêt général (san­té publique). Toute­fois l’u­til­i­sa­tion de cette flex­i­bil­ité a été con­tin­gen­tée lors des négo­ci­a­tions de l’OMC à Doha car son util­i­sa­tion sys­té­ma­tique est poten­tielle­ment néfaste pour la recherche, d’une part si elle réduit le marché acces­si­ble par l’en­tre­prise et d’autre part si elle est inté­grée dans la fonc­tion de R & D des entre­pris­es phar­ma­ceu­tiques (même si la licence oblig­a­toire n’est pas syn­onyme de gratuité).

Marché des ressources génétiques

Le marché des ressources géné­tiques n’est pas un marché mon­di­al en con­cur­rence par­faite, c’est au con­traire un sys­tème basé sur des mécan­ismes d’inci­ta­tion et d’ex­ter­nal­ité en con­cur­rence impar­faite, où seule une ” bonne ” allo­ca­tion ini­tiale des droits peut con­duire à un équili­bre sociale­ment optimal.

Le vol­ume financier et le nom­bre des inter­venants sur ces marchés restent rel­a­tive­ment mod­estes. Certes, il existe des molécules intéres­santes tant pour l’a­groal­i­men­taire que pour la phar­ma­cie, et le partage juste et équitable des avan­tages issus de la bio­di­ver­sité doit être réal­isé entre les indus­triels (prin­ci­pale­ment du Nord) et les pays et pop­u­la­tions locales (prin­ci­pale­ment du Sud). Mais, même dans le cas où ces marchés en con­cur­rence impar­faite exis­tent, ils ne peu­vent pas garan­tir la con­ser­va­tion de la bio­di­ver­sité par une réal­lo­ca­tion des avan­tages au niveau local. En effet, les util­isa­teurs de ressources géné­tiques ne peu­vent pas com­penser suff­isam­ment l’ensem­ble des autres util­isa­teurs de la bio­di­ver­sité qui s’ab­stiendraient de la détruire.

Partage des avantages

Il faut donc étudi­er ces marchés pour qu’ils soient le plus équita­bles pour le déten­teur et l’u­til­isa­teur de la ressource géné­tique tout en étant réal­istes sur leurs impacts réels sur la con­ser­va­tion de la bio­di­ver­sité. Les fonds pour assur­er la con­ser­va­tion des ressources géné­tiques sont impor­tants et néces­saires dès main­tenant, alors que l’échelle de temps pour réalis­er les inno­va­tions biotech­nologiques (donc le verse­ment de roy­al­ties éventuelles) est d’au moins dix ans. Laiss­er croire aux PVD qu’ils pour­raient vivre de leurs rentes en lim­i­tant les autres usages sur la bio­di­ver­sité est con­tre-pro­duc­tif. La val­ori­sa­tion des ressources biologiques et géné­tiques des PVD n’est qu’un moyen par­mi d’autres à met­tre en œuvre pour une ges­tion durable de la bio­di­ver­sité par un partage juste et équitable des avan­tages issus de son util­i­sa­tion : usage direct des ressources naturelles et biologiques, val­ori­sa­tion et développe­ment de nou­veaux secteurs grâce aux trans­ferts de tech­nolo­gie et aux recherch­es coopéra­tives Nord-Sud, qui sont par­ties inté­grantes du partage des avan­tages, un des points majeurs de la CDB et qui est au cœur des dis­cus­sions de la 8e COP1 (mars 2006).

Perspectives…

Les enjeux autour de la pro­priété intel­lectuelle sont tels que les USA aus­si bien que l’U­nion européenne mul­ti­plient les accords bilatéraux avec les PVD en leur pro­posant de met­tre en œuvre une pro­priété intel­lectuelle qui va au-delà des recom­man­da­tions des ADPIC. Les USA voulant impos­er les brevets, là où l’U­nion européenne souhaite impos­er le COV, cela au détri­ment du développe­ment d’un sys­tème sui gener­is adap­té à la sit­u­a­tion des PVD et répon­dant aux objec­tifs de partage équitable du béné­fice des inno­va­tions entre con­som­ma­teurs, pro­duc­teurs et inno­va­teurs. En Amérique latine, les dépôts de brevets étrangers ont crû de manière expo­nen­tielle depuis le milieu des années 1990, alors que les dépôts nationaux sont restés qua­si­ment con­stants. Sommes-nous dans la phase de tran­si­tion c’est-à-dire la phase de dif­fu­sion des inno­va­tions du Nord avant le rebond de l’ac­tiv­ité de R & D dans les pays d’Amérique latine, ou la dépen­dance de la R & D en Amérique latine aux brevets étrangers est-elle irrévocable ?

Les accords sur la pro­priété intel­lectuelle pour­raient être l’oc­ca­sion pour les PVD de définir un sys­tème de pro­priété intel­lectuelle sui gener­is, flex­i­ble et adapt­able, qui per­me­tte à la fois de favoris­er la dif­fu­sion des inno­va­tions du Nord vers le Sud, et de favoris­er la réal­i­sa­tion d’in­no­va­tions au Sud et leur dif­fu­sion vers le Nord, avec un objec­tif de max­imi­sa­tion du bien-être social au Sud (comme au Nord). Pour y par­venir, l’OMC a d’ailleurs admis que les accords ADPIC étaient trop con­traig­nants pour les pays les plus pau­vres qui ont finale­ment jusqu’à 2016 pour les adopter et les met­tre en œuvre.

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1. Con­fer­ence of the Parties.

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