Démographie et environnement : vers une régulation planétaire ?

Dossier : Croissance et environnementMagazine N°627 Septembre 2007
Par Hervé DOMENACH

Tableau 1 – Effec­tif de la pop­u­la­tion mon­di­ale selon le nom­bre d’années pour attein­dre un accroisse­ment de 1 mil­liard supplémentaire
de 1 à 2 mil­liards : 123 ans de 1804 à 1927
de 2 à 3 mil­liards : 33 ans de 1927 à 1960
de 3 à 4 mil­liards : 14 ans de 1960 à 1974
de 4 à 5 mil­liards : 13 ansde1974 à 1987
de 5 à 6 mil­liards : 12 ans de 1987 à 1999

Tableau 1 – Effec­tif de la pop­u­la­tion mon­di­ale selon le nom­bre d’années pour attein­dre un accroisse­ment de 1 mil­liard supplémentaire
de 1 à 2 mil­liards : 123 ans de 1804 à 1927
de 2 à 3 mil­liards : 33 ans de 1927 à 1960
de 3 à 4 mil­liards : 14 ans de 1960 à 1974
de 4 à 5 mil­liards : 13 ansde1974 à 1987
de 5 à 6 mil­liards : 12 ans de 1987 à 1999
de 6 à 7 mil­liards : 14 ans de 1999 à 2012 (e)
de 7 à 8 mil­liards : 15 ans de 2012 à 2028 (e)
de 8 à 9 mil­liards : 26 ans de 2028 à 2054 (e)
(e) = estimation

Selon un comp­teur sym­bol­ique de la pop­u­la­tion mon­di­ale1, la Terre comp­tait 6 623 611 000 indi­vidus au 21 juin 2007. On estime ain­si que la planète enreg­istre chaque jour 350 000 nais­sances et 160 000 décès, soit presque 200 000 habi­tants sup­plé­men­taires. La lente pro­gres­sion de l’e­spèce humaine n’a eu d’ef­fets majeurs sur l’en­vi­ron­nement que très récem­ment, et le sen­ti­ment que la Terre est prodigue de ses ressources reste encore bien ancré dans la mémoire col­lec­tive, entra­vant en con­séquence la prise de con­science des déséquili­bres démo-envi­ron­nemen­taux présents et à venir.

La pop­u­la­tion mon­di­ale a aug­men­té de 5 mil­liards d’in­di­vidus au cours des deux siè­cles passés et se sta­bilis­era prob­a­ble­ment autour de quelque 9 mil­liards au milieu du siè­cle actuel. Cette accéléra­tion prodigieuse de la crois­sance démo­graphique nour­rit l’idée qu’elle est à la source de tous les prob­lèmes actuels, mais elle n’est que l’un des fac­teurs qui con­traig­nent l’en­vi­ron­nement ter­restre, et pas néces­saire­ment le plus prépondérant.

Une intense métamorphose démographique jusqu’en 2050

Env­i­ron 95 % de l’ac­croisse­ment démo­graphique actuel dans le monde con­cerne les pays non occi­den­taux, et la pro­por­tion de leurs effec­tifs dans la pop­u­la­tion mon­di­ale qui était de 68 % en 1950, atteindrait 87 % en 2050. Si ces esti­ma­tions devaient se con­firmer2, on assis­tera à une for­mi­da­ble redis­tri­b­u­tion de la pop­u­la­tion mon­di­ale : en 2050, l’Inde deviendrait le pays le plus peu­plé (1 530 mil­lions d’habi­tants), devançant la Chine (1 400 mil­lions), et de loin les États-Unis (408 mil­lions) puis le Pak­istan (348 mil­lions), tan­dis que l’Afrique compterait trois fois plus d’habi­tants que l’Eu­rope, alors que la sit­u­a­tion était exacte­ment inverse en 1950. En revanche, quelques pays, occi­den­taux notam­ment, risquent d’af­fron­ter des phénomènes de dépop­u­la­tion : entre autres nom­breux exem­ples, la Russie passerait de 145 mil­lions en 2000 à 101 mil­lions en 2050, si elle main­te­nait sa fécon­dité actuelle de 1,2 enfant par femme.

Une population mondiale vieillissante

En 2005, 28 % des Ter­riens ont moins de 15 ans, con­tre 10 % âgés de 60 ans et plus, tan­dis qu’en 2050 la pro­por­tion des « moins de 15 ans » ne serait plus que de 20 % et celle des « 60 ans et plus » aurait dou­blé, atteignant 22 %. Cette évo­lu­tion spec­tac­u­laire répond à deux facteurs :

la baisse de la fécon­dité partout dans le monde : 2,7 enfants par femme en moyenne aujour­d’hui, qui tendrait vers 2,1 enfants en 2050, soit pré­cisé­ment le seuil de renou­velle­ment démo­graphique. Mais les femmes mali­ennes et nigéri­ennes font encore plus de 7 enfants en moyenne3… ;
 l’e­spérance de vie à la nais­sance, en moyenne actuelle­ment de 65 ans, aug­mente con­tin­uelle­ment et serait au-delà de 70 ans en 2050. Mais la dis­per­sion actuelle reste con­sid­érable : 82 ans au Japon con­tre seule­ment 37 ans en Zambie.

On estime à 700 mil­lions env­i­ron le nom­bre de per­son­nes âgées de « 60 ans et plus » en 2005, elles seront trois fois plus nom­breuses en 2050, atteignant prob­a­ble­ment les 2 mil­liards, tan­dis que les effec­tifs de plus de 80 ans passeront de 85 à 400 mil­lions environ.

Dans cer­tains pays, le renou­velle­ment des généra­tions ne sera plus assuré : nom­bre de pays européens notam­ment devront inté­gr­er des immi­grants, tan­dis que dans le con­ti­nent africain, la pop­u­la­tion en âge d’ac­tiv­ité se situerait entre 65 et 70 % de sa pop­u­la­tion totale, ce qui pour­rait lui don­ner un atout socio-économique con­sid­érable face aux autres régions du monde. Le pas­sage d’un monde plutôt jeune à un monde plutôt vieux aura des réper­cus­sions majeures sur nos modes de vie, nos habi­tudes de con­som­ma­tion et de con­fort, dans un con­texte de prise de con­science des lim­ites de nos ressources.

Effec­tif (en mil­lions) de pop­u­la­tion selon les grandes régions du monde (1950–2050)
Grandes régions 1950 1970 1995 2025 2050
Afrique 224 364 719 1349 1969
Amérique du Nord 166 226 297 386 457
Amérique latine 165 283 477 702 805
Asie 1402 2147 3438 4759 5325
Europe 549 656 728 716 660
Océanie 13 19 28 41 46
Monde 2519 3697 5687 7953 9262

Source : Word Data sheet, Pop­u­la­tion ref­er­ence Bureau, 2005.

2005 2050
0–14 15–59 60+ 80+ 0–14 15–59 60+ 80+

Total Monde

Régions plus développées

Régions moins développées

Afrique

Asie

Europe

Am. latine et Caraïbes

Amérique du Nord

Océanie

28,3 61,4 10,3 1,3

17,0 62,9 20,1 3,7

30,9 61,0 8,1 0,8

41,4 53,4 5,2 0,4

28,0 62,7 9,2 1,0

15,9 63,5 20,6 3,5

29,8 61,2 9,0 1,2

20,5 62,7 16,7 3,5

24,9 61,0 14,1 2,6

19,8 58,3 21,8 4,4

15,2 52,2 32,6 9,4

20,6 59,3 20,1 3,6

28,0 61,7 10,4 1,1

18,0 58,3 23,7 4,5

14,6 50,9 34,5 9,6

18,0 57,8 27,3 7,8

17,1 55,6 27,3 7,8

18,4 56,9 24,8 6,8

Source : World pop­u­la­tion prospects, the 2006 revi­sion, High­lights, FNUAP, ONU, New York.

Le processus irréversible d’urbanisation

Le FNUAP4 a pub­lié en juin 2007 son rap­port annuel sur l’é­tat de la pop­u­la­tion urbaine dans le monde : avec 1 mil­lion de citadins sup­plé­men­taires chaque semaine, ce sont surtout les villes de 500 000 habi­tants en moyenne dans les pays en développe­ment qui aug­menteront con­sid­érable­ment, tan­dis que la pop­u­la­tion des mégapoles con­naî­trait prob­a­ble­ment une pour­suite de crois­sance lente (Tokyo est actuelle­ment l’ag­gloméra­tion la plus impor­tante avec 33 mil­lions d’habi­tants). En 2030 env­i­ron, la pop­u­la­tion urbaine dépasserait les 5 mil­liards et tendrait vers plus de 6 mil­liards en 2050, tan­dis que par­al­lèlle­ment le rap­port estime la pop­u­la­tion actuelle des « taud­is » du monde à 1 mil­liard, effec­tif impos­si­ble à projeter.

Des doctrines à l’expression scientifique5

C’est avec les mer­can­tilistes, qu’est abor­dée la rela­tion pop­u­la­tion-ressources : l’Essai sur le principe de pop­u­la­tion de Malthus (1798) ose l’idée de sur­pop­u­la­tion, affir­mant que « La pop­u­la­tion tend con­stam­ment à s’ac­croître au-delà des moyens de sub­sis­tance et qu’elle est arrêtée par cet obsta­cle. » Au XXe siè­cle, le débat se con­cen­tre sur la rela­tion pop­u­la­tion-développe­ment, traitée essen­tielle­ment selon le dis­crim­i­nant économique, jusqu’à l’in­tro­duc­tion con­tem­po­raine du con­cept de développe­ment humain puis de développe­ment durable, per­me­t­tant enfin à l’en­vi­ron­nement de trou­ver sa place dans cette équation.

En car­i­cat­u­rant, deux ten­dances se sont affron­tées : pour l’une, la crois­sance démo­graphique est la source de tous les drames humains (guer­res, épidémies, famines, infan­ti­cide, pau­vreté, etc., et aujour­d’hui dégra­da­tion de l’en­vi­ron­nement) ; pour l’autre, elle n’est que l’un des fac­teurs d’une équa­tion plané­taire complexe.

Quarti­er de Shin­juku, Tokyo, Japon (35°42′ N – 139°46′ E)

À l’origine vil­lage de pêcheurs bâti au milieu des marécages, Edo devient Tokyo, « la cap­i­tale de l’Est », en 1868. Ne ces­sant de s’agrandir sous l’impulsion de ses com­merçants, la ville, dévastée par un trem­ble­ment de terre en 1923 et par les bom­barde­ments en 1945, renaît par deux fois de ses cen­dres. Aujourd’hui, la méga­lo­pole de Tokyo, qui s’étend sur 70 km et compte 35 mil­lions d’habitants (con­tre 6,4 en 1950), est dev­enue la plus vaste zone urbaine du monde. Con­stru­ite sans sché­ma glob­al d’urbanisation, elle dis­pose de plusieurs cen­tres qui satel­lisent les dif­férents quartiers. Shin­juku, quarti­er des affaires, est dom­iné par un ensem­ble impres­sion­nant de bâti­ments admin­is­trat­ifs, par­mi lesquels l’hôtel de ville, struc­ture de 243 mètres de haut inspirée de la cathé­drale Notre-Dame de Paris. En 1950, seules New York et Lon­dres, avec plus de 8 mil­lions d’habitants, étaient con­sid­érées comme des méga­lopoles. En 1995, 23 aggloméra­tions de la planète étaient con­cernées, et elles seront 36 en 2015.

La démographie est le produit de l’histoire sociale

Lors de la pre­mière con­férence sur l’en­vi­ron­nement (Stock­holm, 1972), Ehrlich avec son livre La Bombe P6, dif­fuse le con­cept de capac­ité de charge7, et les organ­i­sa­tions inter­na­tionales pren­nent con­science des lim­ites physiques et biologiques de la Terre. Cer­tains agronomes et biol­o­gistes pensent alors qu’est déjà atteint le seuil de l’ir­réversibil­ité : effet de serre, amenuise­ment de la bio­di­ver­sité, éro­sion des ter­res cul­tivables, raré­fac­tion de l’eau. Pour les néo­ma­lthusiens, un seul remède : il faut invers­er la ten­dance à la pro­liféra­tion des hommes : le biol­o­giste J. Dorst8 par­le d’une véri­ta­ble pul­lu­la­tion, l’é­col­o­giste F. Ramade assure que la plu­part des maux de l’hu­man­ité provi­en­nent de sa repro­duc­tion anar­chique. Plus nuancé, l’ap­pel d’Hei­del­berg9 présen­tait la sur­pop­u­la­tion comme un mal à soign­er d’urgence.

Mais par­al­lèlle­ment les anti­malthusiens, avec Proud­hon, Marx, Engels, avaient réfuté vigoureuse­ment l’ar­gu­ment sur la sur­pop­u­la­tion : « chaque mode de pro­duc­tion, chaque sys­tème social pos­sède ses pro­pres lois de pop­u­la­tion », et Meil­las­soux por­tait cette con­clu­sion : « La démo­gra­phie ne com­mande pas l’his­toire, elle en est d’abord le pro­duit », l’homme étant un être social avant tout, doté d’une capac­ité intrin­sèque d’adap­ta­tion et d’in­no­va­tion. Allant à l’en­con­tre des poli­tiques de lim­i­ta­tion des nais­sances, J. Simon10 pose comme principe, que plus la pop­u­la­tion croît, plus sa capac­ité d’in­no­va­tion tech­nologique accélère le proces­sus d’adap­ta­tion. Axée sur le développe­ment agri­cole, la thèse de E. Boserup11 met en avant l’idée que l’homme s’adapte et pro­gresse tech­nologique­ment en fonc­tion du risque attaché à sa survie : la raré­fac­tion de la terre provoque l’in­ten­si­fi­ca­tion agri­cole, la recherche de sys­tèmes de pro­duc­tion plus effi­caces, un usage moins dégradant des ressources naturelles, une ges­tion plus rationnelle de l’eau.

Surpopulation et développement durable

Aucune de ces thès­es ne résiste à l’ex­a­m­en des faits con­tem­po­rains : la sur­pop­u­la­tion est rel­a­tive selon les ter­ri­toires et les muta­tions écologiques restent peu prévis­i­bles, ce qui a con­duit cer­tains auteurs à rel­a­tivis­er le risque envi­ron­nemen­tal12, tan­dis qu’un courant mon­di­al­iste mod­éré pre­nait acte de ce que la pres­sion démo­graphique n’est plus la cause directe des prob­lèmes d’en­vi­ron­nement. Le FNUAP illus­tre bien ces idées, en annonçant un posi­tion­nement néo­ma­lthusien13 : « Par ses activ­ités, l’homme soumet la nature à des con­traintes qui se traduisent par une ponc­tion de plus en plus lourde sur les ressources naturelles essen­tielles à toute vie : l’eau et la terre… Dans les pays en développe­ment, un ralen­tisse­ment de la crois­sance et une répar­ti­tion plus équili­brée de la pop­u­la­tion per­me­t­traient d’at­ténuer les pres­sions économiques qui s’ex­er­cent sur les ter­res agri­coles, les sources d’én­ergie, les bassins ver­sants, les forêts… » puis, en soulig­nant l’im­por­tance d’autres fac­teurs : pau­vreté, con­cen­tra­tion de la pop­u­la­tion, état de dépen­dance et dette extérieure, épuise­ment des ressources naturelles par les indus­tries extrac­tives et l’a­gro-indus­trie exportative.

Le développe­ment durable est doré­na­vant au cœur du débat : la pré­car­ité de l’en­vi­ron­nement14 impose de trou­ver des répons­es aux muta­tions provo­quées par les activ­ités humaines. Ain­si, le rap­port Brunt­land15 con­state que la pau­vreté est à la fois effet et cause des prob­lèmes d’en­vi­ron­nement. Tabutin et Thilt­ges16 rel­e­vaient dans le rap­port de la Com­mis­sion Sud en 1990, cette phrase qui en dit long sur le change­ment d’at­ti­tude des grandes agences inter­na­tionales : « La pres­sion démo­graphique n’est qu’un des sept fac­teurs por­tant atteinte à l’en­vi­ron­nement, les autres étant les régimes fonciers, le type de développe­ment agri­cole, la pres­sion économique du Nord, l’im­pératif d’in­dus­tri­al­i­sa­tion et de crois­sance, l’adop­tion d’habi­tudes de con­som­ma­tion néces­si­tant tou­jours plus d’én­ergie, et enfin l’ex­ode des pop­u­la­tions rurales vers le Nord. »

L’introuvable optimum de population pour la planète Terre

Un exploitant agri­cole occi­den­tal doté de toute la tech­nolo­gie, peut cul­tiv­er seul jusqu’à 250 hectares et habiter en ville, sym­bol­isant ain­si la déstruc­tura­tion des sociosys­tèmes ruraux.

À l’autre extrême, la den­sité de pop­u­la­tion du Bangladesh est de 1 000 habi­tants par km2, pour une moyenne mon­di­ale de 48 hbts/km2, tan­dis que la ville du Caire compte approx­i­ma­tive­ment 14 mil­lions d’habi­tants la nuit, mais 17 mil­lions pen­dant la journée, la con­cen­tra­tion pou­vant attein­dre jusqu’à 100 000 per­son­nes par km2 dans cer­tains quartiers, l’ex­ode rur­al amenant chaque année quelques 200 000 habi­tants sup­plé­men­taires en ville en quête de tra­vail, de loge­ment, d’ac­cès aux soins et à l’é­d­u­ca­tion… que les milieux ruraux sat­is­font peu.

L’approche théorique

De nom­breux travaux util­isant des algo­rithmes à esti­ma­tion de dis­tri­b­u­tion ont ten­té de résoudre cette ques­tion de l’op­ti­mum de pop­u­la­tion, qui se con­fronte immé­di­ate­ment à celle de l’op­ti­mum de con­som­ma­tion, dépen­dant à son tour des fac­teurs de pro­duc­tion et des pra­tiques socio­cul­turelles. Il existe des mil­liers de mod­èles qui éval­u­ent la capac­ité de charge anthropique de la Terre entre 10 et 25 mil­liards d’in­di­vidus pour la plu­part, selon des stocks de don­nées (datas ware­hous­es) qui atteignent plusieurs mil­liers de gigaoctets… Dès lors, com­ment percevoir une cor­réla­tion ana­ly­tique intéres­sante ? L’am­pli­tude des résul­tats obtenus à par­tir de ce que les Anglo-Sax­ons dénom­ment le dat­a­min­ing, c’est-à-dire l’art de dénich­er des ten­dances à tra­vers des bases de don­nées « dis­tribuées », mon­tre qu’un con­sen­sus autour d’un opti­mum de pop­u­la­tion est de plus en plus improbable.

Il existe néan­moins des out­ils sus­cep­ti­bles d’ap­porter des élé­ments a pos­te­ri­ori, telle l’équa­tion de Com­mon­er17 : l’im­pact de la pop­u­la­tion sur l’en­vi­ron­nement (I) y est déter­miné par trois fac­teurs : la taille de la pop­u­la­tion ℗, la con­som­ma­tion de biens par tête (A) et la tech­nolo­gie (T). Ce dernier fac­teur résume plus pré­cisé­ment la quan­tité de ressources util­isée et de dégra­da­tion générée par la pro­duc­tion et la con­som­ma­tion par unité de biens et services.

Soit : I = P x A x T

Cette for­mule per­met d’es­timer l’évo­lu­tion de l’im­pact relatif de la crois­sance de la pop­u­la­tion. Par exem­ple, aux USA entre 1960 et 1985, la pop­u­la­tion a aug­men­té de 1,3 % et la con­som­ma­tion d’én­ergie de 2,8 % par an ; en sup­posant que les change­ments tech­nologiques soient peu impor­tants, la part de la pop­u­la­tion dans l’aug­men­ta­tion de con­som­ma­tion d’én­ergie serait de 48 %. La réal­ité est plus com­plexe : les trois fac­teurs sont inter­dépen­dants et le risque de dégra­da­tion est dépen­dant du poids des tech­nolo­gies employées. Dans ses travaux, Com­mon­er mon­tre en com­para­nt 65 pays du Sud, que le poids de la tech­nolo­gie util­isée est deux à trois fois supérieur au poids démo­graphique17.

L’improbable régulation démo-environnementale

L’ur­ban­i­sa­tion, les infra­struc­tures et les activ­ités pol­lu­antes met­tent en dan­ger la ges­tion « durable » des usages des ter­ri­toires. Selon les don­nées du WWF18, le bilan glob­al des écosys­tèmes naturels fait état d’une diminu­tion de 35 % env­i­ron des richess­es naturelles de la Terre entre 1970 et 2000, plus d’un mil­liard d’hectares auraient été dégradés en rai­son des engrais chim­iques et des pes­ti­cides, de l’a­gro-pro­duc­tivisme, de la déforestation…

Entre mille exem­ples, la déser­ti­fi­ca­tion achevée du nord-ouest haï­tien pour cause de com­merce inten­sif de char­bon de bois, stig­ma­tise bien les sit­u­a­tions d’ir­réversibil­ité dont l’in­ven­taire devient tou­jours plus com­plexe ; la cul­ture exten­sive du soja trans­génique en Argen­tine et au Brésil, pour nour­rir notam­ment les éle­vages européens de poulets en bat­terie, détru­it à vive allure la forêt et dégrade les sols. Pour ren­dre compte de ce con­stat alarmiste, quelques insti­tu­tions utilisent depuis 1994 le con­cept d’empreinte écologique (EE), qui éval­ue la charge qu’une pop­u­la­tion don­née fait peser sur les écosystèmes.

Le WWF donne quelques exem­ples illus­trat­ifs pour le con­som­ma­teur occi­den­tal : le rem­place­ment de 5 heures de voy­age en avion par le même tra­jet en train, per­me­t­trait de réduire son EE de 1 000 m2, le rem­place­ment de la con­som­ma­tion de viande une fois par semaine par un sub­sti­tut végé­tarien per­me­t­trait de réduire son EE de 1 000 m2 par an.

Deux planètes pour les Européens et cinq pour les Américains

Mais il faut garder à l’e­sprit que cela ne con­cerne que des per­son­nes nanties et con­scientes du prob­lème, soit quelques 2 à 300 mil­lions de per­son­nes en hypothèse haute, à peine 3 à 5 % de la pop­u­la­tion mon­di­ale. La moyenne mon­di­ale de l’empreinte écologique est de 2,2 ha par ter­rien mais un Européen a besoin de 5 ha pour main­tenir son niveau de vie et si tout le monde con­som­mait autant qu’un Européen, il faudrait l’équiv­a­lent de deux planètes sup­plé­men­taires. Un Nord-Améri­cain a besoin de 9,4 ha et si tout le monde con­som­mait comme lui, il faudrait cinq planètes supplémentaires…

Une nécessaire gouvernance mondiale

Même si l’on prend en compte l’évo­lu­tion des tech­nolo­gies et la capac­ité humaine à s’adapter aux sit­u­a­tions de crise, l’en­vi­ron­nement appa­raît désor­mais comme un prob­lème glob­al alors que les échelles déci­sion­naires restent au niveau local ou région­al, ce qui pose la ques­tion des sol­i­dar­ités internationales.

L’émergence de la société civile

Au Som­met mon­di­al sur le développe­ment durable de Johan­nes­burg, en 2002, la con­tes­ta­tion a été jusqu’à con­sid­ér­er le développe­ment durable comme un « mot-clé et un mot d’or­dre de plus » selon les ter­mes d’Am­i­na­ta D. Tra­oré19. Ces réac­tions à un ordre mon­di­al, de plus en plus fondé sur les critères de l’é­conomie ultra­l­ibérale, sont la tra­duc­tion des iné­gal­ités crois­santes : accès aux ressources, risques écologiques, pro­tec­tion épidémi­ologique… Iné­gal­ités de survie aus­si : les deux tiers de l’hu­man­ité ont dix à vingt ans de moins à vivre que le tiers vivant dans le monde nanti.

Si la crois­sance zéro, que seule une gou­ver­nance plané­taire pour­rait réguler, n’est pas encore à l’or­dre du jour, nom­bre d’é­con­o­mistes s’in­téressent doré­na­vant à la ques­tion de la moin­dre crois­sance, aux fins de trou­ver un équili­bre entre un indi­ca­teur économique et un indi­ca­teur de bien-être : PIB ver­sus BIB20. La démo­gra­phie con­tribue à l’émer­gence d’indi­ca­teurs nou­veaux favorisant une mesure du BIB, comme l’indi­ca­teur de frac­ture mon­di­ale qui utilise les niveaux de richesse, l’e­spérance de vie, la mor­tal­ité infan­tile, la den­sité de pop­u­la­tion, etc.

L’excès de richesse comme l’extrême pauvreté menacent l’environnement

La ville de Mex­i­co, Mex­ique (N 19°20’- O 99°08’).

Dépas­sant 17 mil­lions d’habitants à la fin du XXe siè­cle et 20 mil­lions avec sa périphérie, la ville de Mex­i­co se situe au 4e rang mon­di­al des villes plurim­il­lion­naires. Elle est représen­ta­tive du nou­veau gigan­tisme qui mar­que de nom­breuses villes des pays en développe­ment. L’ampleur des prob­lèmes est à l’échelle de leur démesure : loge­ment, accès à l’eau, trans­port, traite­ment des déchets et maîtrise des rejets. L’insuffisance des trans­ports col­lec­tifs et l’usage de plus en plus fréquent de l’automobile sont sources d’une pol­lu­tion con­sid­érable de l’air et de graves prob­lèmes de san­té. Soumise à un smog qua­si per­ma­nent, Mex­i­co est l’une des villes les plus pol­luées du monde avec Changqing, Bangkok, San­ti­a­go du Chili, etc..

Il est prob­a­ble que la planète n’en soit encore qu’aux prémices d’un proces­sus intense de mobil­ité spa­tiale résul­tant des muta­tions envi­ron­nemen­tales. Et si, par exem­ple, la tem­péra­ture moyenne de la planète aug­men­tait, ne serait-ce que d’un degré ou deux, dans les décen­nies à venir ?

La ques­tion est désor­mais posée insti­tu­tion­nelle­ment et il s’ag­it d’an­ticiper les mul­ti­ples con­séquences, et notam­ment ce qu’il adviendrait des pop­u­la­tions con­cernées par la mon­tée des océans (Bangladesh, le lit­toral chi­nois, les îles…), la dis­pari­tion de ter­res arables, la déser­ti­fi­ca­tion et la diminu­tion de la fer­til­ité des sols (L’Afrique, le Moyen-Ori­ent, la Chine, l’Inde, le Pak­istan, mais aus­si l’Es­pagne, la Grèce, le Por­tu­gal… soit une cen­taine de pays dans le monde), les famines liées aux sécher­ess­es, les épidémies.

Le monde con­naî­tra ces cinquante prochaines années les plus impor­tants con­trastes démo­graphiques de son his­toire : douze pays ver­ront leur pop­u­la­tion tripler ; cinquante et un ver­ront chuter la leur, notam­ment en Europe.

Dans un con­texte plané­taire où la richesse des uns, tout autant que l’ex­trême pau­vreté des autres con­stituent de graves men­aces pour l’en­vi­ron­nement, n’ap­pa­rais­sent tou­jours pas claire­ment les poli­tiques à men­er pour sur­mon­ter les antag­o­nismes entre la sat­is­fac­tion des besoins pri­maires des pop­u­la­tions défa­vorisées et la sur­con­som­ma­tion des peu­ples nan­tis, entre les acteurs des pol­lu­tions et ceux qui les subissent. 

1. Cf. www.worldpopclock.com — Nom­bre de pays ne dis­posant pas d’un sys­tème cen­si­taire fiable ou ayant des don­nées trop anci­ennes, on peut con­sid­ér­er que l’in­cer­ti­tude con­cer­nant les effec­tifs de pop­u­la­tion mon­di­ale est de plus ou moins 2 à 3 %. approximativement.
2. Les pro­jec­tions de pop­u­la­tion dépen­dent des hypothès­es for­mulées pour la fécon­dité, la mor­tal­ité, les migra­tions, et néces­si­tent donc des réa­juste­ments per­ma­nents, notam­ment parce que l’on ne dis­pose pas de mod­èle socio-économique per­me­t­tant de ren­dre compte des évo­lu­tions de fécon­dité. Hors événe­ments de rup­ture (guerre, épidémies, cat­a­clysmes…), les évo­lu­tions démo­graphiques sont cepen­dant suff­isam­ment lentes pour offrir une rel­a­tive fia­bil­ité à moyen terme.
3. Cf. « Tous les pays du monde », Pop­u­la­tion et sociétés n° 414, juil­let 2005.
4. FNUAP : Fonds des Nations unies pour la population.
5. Cf. Dom­e­n­ach, H., 2006, « Entre sci­ences et doc­trines : la rela­tion pop­u­la­tion-envi­ron­nement », Nature, Sci­ences Sociétés, vol. 14 : 174–178.
6. Ehrlich, P., 1971. The Pop­u­la­tion Bomb. New York, Bal­lan­tine Press, (pub­lié chez Fayard sous le titre La Bombe P, Paris, 1972).
7. Car­ry­ing capac­i­ty en anglais, soit le nom­bre d’in­di­vidus que peut sup­port­er un territoire.
8. Dorst, J., 1962. Avant que nature meure, Neuchâ­tel, Delachaux et Niestle.
9. L’ap­pel d’Hei­del­berg, signé par plusieurs cen­taines de sci­en­tifiques, dont une bonne cinquan­taine de prix Nobel s’él­e­vait con­tre l’émer­gence d’une idéolo­gie irra­tionnelle qui s’op­pose au pro­grès sci­en­tifique et con­sid­érait l’ur­gence d’une écolo­gie sci­en­tifique qui per­me­t­trait de venir à bout de fléaux tels que la sur­pop­u­la­tion, la faim et les pandémies. Il fut présen­té à la con­férence de Rio en 1992.
10. Simon, J., 1981. The Ulti­mate Ressource, Prince­ton Uni­ver­si­ty Press.
11. Boserup, E., 1970, Évo­lu­tion agraire et pres­sion démo­graphique, Flam­mar­i­on, Paris.
12. Le Bras, H., 1994. Les Lim­ites de la planète : mythes de la nature et de la pop­u­la­tion, Paris, Flammarion.
13. L’é­tat de la pop­u­la­tion mon­di­ale en 1998, rap­port de Nafis Sadik, FNUAP.
14. Les sig­naux écologiques se mul­ti­plient : le GIEC qual­i­fie de « très prob­a­ble » le rôle des activ­ités humaines dans l’aug­men­ta­tion des tem­péra­tures moyennes depuis le milieu du XXe siè­cle et indique que 3,2 mil­liards d’hu­mains pour­raient être sévère­ment touchés par des pénuries d’eau d’i­ci 2080.
15. Paru en 1987, ce rap­port du nom du Pre­mier min­istre norvégien, rap­por­teur du pro­jet de la Com­mis­sion mon­di­ale pour l’en­vi­ron­nement et le développe­ment, avait intro­duit le con­cept de « sus­tain­able devel­op­ment » (traduit par « développe­ment durable »), défi­ni comme « un développe­ment qui répond aux besoins des généra­tions présentes sans com­pro­met­tre la capac­ité des généra­tions futures de répon­dre aux leurs », s’ap­puyant sur trois piliers devenus opéra­tionnels dans nom­bre de grandes entre­pris­es ; social, envi­ron­nemen­tal et économique, aux­quels on ajoute main­tenant un qua­trième pili­er : la gouvernance.
16. Tabutin, D., Thilt­ges, E., 1991. Démo­gra­phie et envi­ron­nement : une syn­thèse des faits, doc­trines et poli­tiques dans les pays du Sud, Lou­vain-la-Neuve, Uni­ver­sité catholique de Lou­vain, Unesco.
17. Com­mon­er, B., 1988. Rapid Pop­u­la­tion Growth and Envi­ron­men­tal Stress in Con­se­quences of Rapid Pop­u­la­tion Growth in Devel­op­ing Coun­tries, U.N. expert group Meet­ing, New York, 231–263.
18. Le World Wide Fund (Fonds mon­di­al pour la nature) a 4,7 mil­lions de mem­bres à tra­vers le monde.
19. Ami­na­ta D. Tra­oré, L’op­pres­sion du développe­ment, Le Monde Diplo­ma­tique, sep­tem­bre 2002, et Viol de l’imag­i­naire, Actes Sud, Fayard, Paris Arles, 2002.
20. Pro­duit intérieur brut ver­sus Bon­heur intérieur brut.

Commentaire

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orni­torépondre
22 janvier 2013 à 18 h 45 min

et ?
Il faut espér­er que la gou­ver­nance mon­di­ale appelée de ces voeux aura à sa dis­po­si­tion plus qu’une bébête équa­tion ana­logue à la déf­i­ni­tion du débit d’eau dans un tuyau (Eq. de Com­mon­er). Sinon, comme le dit l’au­teur, “n’ap­pa­raitront tou­jours pas claire­ment les poli­tiques à men­er pour sur­mon­ter les antagonismes”.

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