Hillary Hahn

Dématérialisation

Dossier : Arts, lettres et sciencesMagazine N°766 Juin 2021
Par Jean SALMONA (56)

J’aime le par­fum qui revient, l’étoile qui reparaît, le regret qui recom­mence, j’aime tous les servi­teurs de la fidélité.
Anne Bar­ratin, De Vous à Moi, 1892

Le pas­sage du « microsil­lon vinyle » au CD, dans les années 80, a con­sisté d’abord en un échan­til­lon­nage du son qui le prive de nom­breux har­moniques et con­fère au CD cette per­fec­tion un peu glacée. Il a aus­si – surtout ? – mar­qué la fin de ces jaque­ttes qui rival­i­saient de recherche pic­turale, et qui ne sont pas pour rien dans la renais­sance récente du goût pour les vinyles. Aujourd’hui, un nou­veau pas est franchi avec les stan­dards tels que MP3, les plate­formes de stream­ing du type Deez­er et l’abandon par les ama­teurs de musique de tout sup­port matériel et des platines de lec­ture : je ne pos­sède rien mais j’ai accès à tout. Mais peut-on éprou­ver pour un télécharge­ment en ligne la ten­dresse avec laque­lle on caresse la jaque­tte un peu usée d’un vinyle ou même l’étui d’un CD maintes fois écouté ?

Hilary Hahn – Paris 

Hilary Hahn est très belle. Elle est aus­si l’une des cinq ou six très grands vio­lonistes vivants. Son inter­pré­ta­tion du Con­cer­to de Brahms est inou­bli­able. Elle vient d’enregistrer, avec l’Orchestre Phil­har­monique de Radio France, le 1er Con­cer­to de Prokofiev, le Poème de Chaus­son et deux Séré­nades de Rautavaara. Le 1er Con­cer­to peut être con­sid­éré, avec le 3e Con­cer­to pour piano, comme le som­met absolu de la musique de Prokofiev : mélodies et har­monies exquis­es, con­struc­tion limpi­de que l’on perçoit à la pre­mière audi­tion, orches­tra­tion magis­trale. Le Poème de Chaus­son, rarement enreg­istré, est une pièce tour­men­tée d’un roman­tisme mélan­col­ique et sub­til. Quant aux deux Séré­nades de Rautavaara, elles per­me­t­tent de décou­vrir un com­pos­i­teur con­tem­po­rain de musique résol­u­ment tonale chargée d’émotion.

1 CD DEUTSCHE GRAMMOPHON

Richard Strauss – Ein Heldenleben

Strauss était un assez vilain per­son­nage : relisez ce qu’en dit Klaus Mann qui l’interviewa à Garmisch à la fin de la guerre ou, mieux, sa let­tre igno­ble à Hitler qu’il assure de son anti­sémitisme indé­fectible, après avoir été démis par Goebbels de ses fonc­tions de prési­dent de l’Association des musi­ciens du Reich pour avoir soutenu Ste­fan Zweig. Cela étant, il n’y aura pas eu, Rav­el mis à part, de plus grand orches­tra­teur et Une vie de héros en témoigne plus qu’aucun autre de ses poèmes sym­phoniques. Une musique flam­boy­ante, superbe, pro­pre à déclencher l’enthousiasme (oublions ses références niet­zschéennes). Anto­nio Pap­pano le dirige avec fougue et pré­ci­sion à la tête de l’Orchestre de l’Académie nationale Sainte-Cécile. Sur le même disque, Bur­lesque pour piano et orchestre, pièce bril­lante et par­o­dique, avec Bertrand Chamayou.

1 CD WARNER

Saint-Saëns – Duos pour piano et cordes

Camille Saint-Saëns aura tra­ver­sé qua­tre régimes – monar­chie de Juil­let, Deux­ième République, Sec­ond Empire, Troisième République –, côtoyé Brahms, Liszt, Debussy, Stravin­s­ki, l’École de Vienne, sans se dépar­tir de ses choix styl­is­tiques, ceux du XVIIIe siè­cle. Aucune inno­va­tion har­monique ou ryth­mique, une musique résol­u­ment con­ser­va­trice et académique, mais quelle richesse mélodique ! Sa musique de cham­bre est peu con­nue ; l’Ensemble Le Déluge en présente l’intégrale des duos pour piano et cordes : les deux Sonates pour vio­lon, les trois Sonates pour vio­lon­celle, de mul­ti­ples pièces : Romances, Élé­gies, Berceuse, Chant saphique, Médi­ta­tion, etc., dont le célèbre – et exquis – Prélude de l’oratorio Le Déluge. Mer­veilleuse diver­sité. Par­o­di­ant le mot célèbre de Gide sur Vic­tor Hugo, on pour­rait dire : Saint-Saëns est le plus grand des com­pos­i­teurs français, hélas !

3 CD AD VITAM

La Passion selon Saint Matthieu par Gardiner

Avec la paru­tion de son livre Musique au château du ciel, J.E. Gar­diner s’est con­fir­mé comme le plus éru­dit des spé­cial­istes de Bach. En réédi­tant l’enregistrement légendaire de 1989 de la Pas­sion selon saint Matthieu avec les Eng­lish Baroque Soloists et le Mon­tever­di Choir, et des solistes par­mi lesquels Anne Sofie von Otter et Andreas Schmidt, Archiv mon­tre que celui qui n’était pas encore Sir John avait déjà de la musique de Bach cette vision pro­fondé­ment humaine qui fait des Pas­sions des opéras trag­iques. Oubliez la triste dématéri­al­i­sa­tion qui ferait de la musique une pure algèbre : c’est de la vie et de la mort qu’il s’agit ici.

2 CD Archiv Produktion

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