Décarboner les villes, nous savons faire !

Les exemples tant français qu’étrangers montrent qu’on sait décarboner les villes, ce qui est indispensable pour qu’elles restent vivables. Il y faut de la volonté politique et de la méthode, et alors l’opération est non seulement accessible même à des collectivités de taille modeste, mais aussi rentable financièrement.
Michael, peux-tu rapidement te présenter ?
En tant que directeur marketing opérationnel de la partie service chez Engie, j’ai supervisé le développement des réseaux de chaleur renouvelable et des réseaux de froid à faible empreinte environnementale, qui constituent « l’ossature » des villes durables. J’ai ainsi modestement, par des études de cas, contribué avec mes équipes à la mise en place de la raison d’être d’Engie, qui est d’accompagner ses clients vers la neutralité carbone (voir l’article « entreprises » dans le dossier sur l’urgence écologique de La J&R n° 800).
Au fur et à mesure que je me forme sur la transition écologique et que je découvre les conséquences du dépassement des limites planétaires définies par le Stockholm Resilience Centre (six limites sur neuf ont déjà été dépassées selon lui), je ressens un besoin vital de contribuer plus activement à la transition écologique. Depuis mon départ d’Engie en 2022, je forme des conseils municipaux à la transition énergétique et j’accompagne plusieurs villes comme assistant à maîtrise d’ouvrage dans leurs projets de décarbonation ; je suis par ailleurs formateur professionnel de la Fresque du climat.
Peux-tu partager avec nous ta perspective sur l’urgence écologique ?
Plus récemment, j’ai commencé à accompagner plusieurs villes sur leurs projets d’adaptation au changement climatique, volet complémentaire à celui de l’atténuation. Dans une France que l’on projette à + 4 °C (voir à ce sujet Le climat futur de la France selon la TRACC, par Météo-France, Drias, traduction pour la France du scénario central du GIEC, retenu par le ministère de l’Écologie), les conditions de vie seront drastiquement différentes.
Comme exposé dans les plans nationaux d’adaptation au changement climatique (PNACC-3), il est urgent de prendre dès à présent des mesures qui se révéleront plus tard indispensables. Si nous attendons davantage, les coûts seront ensuite beaucoup plus élevés, sans compter l’importance d’éviter un coût supplémentaire lié à des investissements dans des infrastructures de longue durée conduisant à de la mal-adaptation (la mal-adaptation est une action qui conduit à augmenter involontairement la vulnérabilité au changement climatique au lieu de la réduire ; par exemple la climatisation, solution immédiate de rafraîchissement, est aussi une source de chaleur supplémentaire dans la ville).
Pourquoi il est important de décarboner les villes ?
Plus de 50 % de la population mondiale vit aujourd’hui dans des villes ; cette proportion devrait atteindre 70 % en 2050 et se stabiliser autour de 75 % à la fin du siècle. Nous sommes devenus une civilisation urbaine et décarboner les villes est donc une condition essentielle pour rester sur une trajectoire de réduction de nos émissions de gaz à effet de serre permettant de garantir l’habitabilité de la planète telle que nous la connaissons.
Tu indiques dans le titre de l’article que « décarboner les villes, nous savons faire » ; est-ce bien vrai ?
Oui, heureusement nous disposons de l’essentiel des technologies permettant de faire et nous avons de bonnes idées des modifications des comportements et des habitudes à mettre en œuvre. Je prends souvent l’exemple de Copenhague, qui approche la neutralité carbone et qui illustre l’utilisation d’un large éventail de technologies, dont certaines sont déjà opérationnelles dans de nombreuses autres villes. Copenhague a aussi été pionnière pour le financement participatif des éoliennes en mer près de ses côtes et pour la mise en place d’un hub de mobilité multimodale largement fondé sur le vélo et les mobilités douces. Ses réseaux de chaleur renouvelable permettent de récupérer la chaleur fatale (chaleur produite en surplus lors de divers processus industriels ou de production d’énergie, qui est généralement rejetée dans l’environnement sans être utilisée) issue d’industries, de centrales d’incinération d’ordures ménagères, de data centers, voire de centres commerciaux.
Si nous savions récupérer toute la chaleur fatale perdue, nous pourrions en théorie chauffer l’ensemble des 450 millions d’Européens. Le stockage thermique (chaleur ou froid), lui, permet de conserver l’énergie à un coût jusqu’à 100 fois inférieur à celui des batteries électriques. Ainsi, il devient possible de déplacer ou réduire les pics de consommation électrique (ce qu’on appelle l’effacement) et de gérer efficacement la courbe de charge électrique, à très faible coût.
Le diagramme ci-dessous montre schématiquement le « smart grid thermique et électrique » (réseau d’énergie intelligent collectant des informations sur l’état du réseau et visant à une adéquation entre production et consommation), axé sur le réseau de chaleur et de froid dit de « quatrième génération », qui fournit chaleur, froid et électricité décarbonés et auquel 98 % des habitants sont raccordés. C’est l’ossature de la ville durable dans les zones denses. En périphérie des zones à forte densité urbaine, il est possible de convertir des réseaux de gaz lorsqu’ils existent en infrastructure verte, en les alimentant en biométhane avec une possible contribution de l’hydrogène vert. On peut s’appuyer sur des solutions décentralisées comme la géothermie de minime importance, le photovoltaïque en autoconsommation collective, le solaire ou encore la biomasse.
Copenhague est un peu loin ; est-ce que des exemples concrets existent également en France ?
Oui, bien entendu, la grande majorité des grandes villes françaises se sont fixé des objectifs pour atteindre la neutralité carbone entre 2030 (Marseille et Lyon par exemple) et 2050 qui est l’objectif national et européen. Aujourd’hui, même les petites villes peuvent s’engager dans cette démarche. J’accompagne ainsi plusieurs communes de 5 000 à 20 000 habitants dans leurs projets visant la décarbonation à l’horizon 2038. Prenons l’exemple de la ville de Montesson dans les Yvelines (16 000 habitants) qui a fait un formidable travail, avec un plan d’action décarbonation opérationnel chiffrant année par année les actions et investissements nécessaires d’ici à 2038 pour diviser par quatre ses émissions sur son périmètre propre.
La trajectoire envisagée de décarbonation des activités de la mairie de Montesson consiste à réduire les émissions de gaz à effet de serre au rythme de 4 à 5 % par an jusqu’en 2038. Le montant du budget annuel envisagé pour réaliser ce plan est de 500 k€ à 1 800 k€ par an, ce qui représente 2 à 6 % du budget total annuel de la mairie. Le budget total est de 16 millions d’euros pour une réduction de 2 400 tonnes de CO₂e (73 % de réduction) d’ici 2038, soit une moyenne de 7 €/kg CO₂e réduit. L’exemple pionnier de Montesson montre que les villes de plus de 10 000 habitants ont les moyens de coconstruire leur propre plan d’action décarbonation opérationnel et de le mettre en œuvre dans la durée – par exemple d’ici 2038 – pour des budgets acceptables.

J’utilise pour les accompagner une méthode sur trois axes : mesurer (effectuer le bilan carbone de ses propres émissions, mettre en place un système centralisé de gestion de celles-ci) ; réduire (toutes mesures de sobriété comportementale et d’efficacité énergétique, comme le relamping de l’éclairage public ou l’isolation des bâtiments) ; et verdir (prioriser la production de chaleur via un réseau de chaleur renouvelable lorsque cela est économiquement possible ; sinon, envisager la géothermie). Pour remplacer progressivement le gaz fossile, il est également possible de souscrire des contrats d’approvisionnement en électricité verte et en biométhane, avec à terme l’intégration d’une part d’hydrogène vert (H₂). Enfin, lorsque c’est faisable, déployer des panneaux photovoltaïques (PV) sur les toitures municipales (centre technique, crèches, écoles) en privilégiant l’autoconsommation de l’électricité produite.

Quelles sont les conditions économiques et les conséquences financières de ces plans d’action de décarbonation ?
L’expérience montre que décarboner une ville à un horizon de deux à trois mandats est économiquement faisable, car nombre des mesures à prendre auraient de toute façon été mises en œuvre pour des raisons économiques, comme finir le relamping de l’éclairage public, étendre le réseau de chaleur renouvelable lorsqu’il y en a un ou isoler le bâti pour respecter la réglementation (dans le cadre de la loi ELAN, le décret tertiaire du 1er octobre 2019 ainsi que les arrêtés méthode et seuil imposent une réduction des consommations d’énergie finale aux bâtiments à usage tertiaire ; il fixe plusieurs échéances de réduction de consommation, avec pour objectif d’atteindre une baisse de 60 % en 2050).
“Décarboner une ville à un horizon de deux
à trois mandats est économiquement faisable.”
Chambourcy, ville pionnière qui s’est lancée dès 2019 dans cette démarche de décarbonation et s’est fixé aussi l’objectif d’être « neutre en carbone » en 2038, peut témoigner de l’intérêt financier de cette démarche.
En effet les premières mesures prises, allant de la baisse des températures conformément aux préconisations de l’Ademe au remplacement intégral des éclairages intérieurs et de l’éclairage public par des LED, en passant par le remplacement des chaudières à l’état de l’art et le fonctionnement en cascade, ont déjà permis d’obtenir non seulement une baisse de 47 % des émissions propres de gaz à effet de serre, mais aussi une baisse de 35 % de la consommation énergétique entre 2019 et 2023. Sans cette politique de décarbonation, la facture d’électricité et de gaz aurait augmenté de 400 k€, soit de plus de 50 %, ce qui est très significatif pour une petite ville de 6 000 habitants. Soulignons aussi que, dans le même temps, une réduction de la consommation d’eau de 79 % a également été obtenue.
Pourrais-tu nous dire pour terminer quelques mots sur l’adaptation, la seconde jambe d’une démarche de transition énergétique ?
En introduction du plan national d’adaptation au changement climatique 3 (PNACC-3), le ministère indique ce qui suit. « Le respect de l’Accord de Paris reste la cible des objectifs mondiaux de limitation du réchauffement climatique. Toutefois, face au risque de dépassement de ces objectifs, il est nécessaire de se préparer à un réchauffement climatique à + 4 °C à 2100. Ce nouveau plan repose sur la dualité atténuation, qui permet d’agir sur les causes du changement climatique, et adaptation, dont les actions portent sur les effets de celui-ci. Préparer le probable et anticiper le possible. » Il est donc nécessaire pour toutes les collectivités de mettre en place à côté d’un plan d’action décarbonation des mesures d’adaptation (ce que la majorité fait) et si possible un plan d’action adaptation structuré pour se préparer dès à présent à un monde à + 4 °C.
Je voudrais à ce titre donner l’exemple de mon village de naissance, Ramatuelle dans le Var, qui a mis en place un marché global de performance (MGP) permettant de contractualiser les objectifs environnementaux, dont la baisse de 2 °C de la température extérieure mesurée par rapport à l’existant, avec des risques de pénalités pour les prestataires si ces objectifs ne sont pas atteints.
La démarche d’adaptation mise en place à Ramatuelle est exemplaire (qui prévoit par exemple le développement des sols clairs, la végétalisation des surfaces, l’utilisation de l’eau de pluie pour l’arrosage, avec pour conséquence de diminuer de deux degrés la température des îlots de chaleur…). Elle pourrait être reproduite par toutes les villes, quelle que soit leur taille, à l’échelle que ce soit d’une place, d’une partie d’un quartier ou d’un quartier entier. Cela permettrait de traiter efficacement les effets des îlots de chaleur urbains, tout en garantissant des résultats concrets grâce à la mobilisation de l’expertise et de la créativité du secteur privé.
En guise de conclusion ?
Pour revenir au titre, nous avons vu sur des études de cas comme Copenhague, Montesson, Chambourcy, que nous savons traiter l’atténuation non seulement pour des très grandes villes mais aussi pour des villages et de petites villes et qu’il est possible de diviser par quatre les émissions de CO₂ d’ici 2038 par rapport à 2019. La méthode utilisée, « mesurer, réduire, verdir », est transposable à n’importe quelle ville et je suis intimement persuadé que toutes les villes de France pourraient diviser par quatre leurs émissions sous deux ou trois mandats électoraux. Il s’agit d’une question de volonté politique et d’organisation en projet transverse. L’étude de cas du village de Ramatuelle, largement transposable au minimum sur des quartiers, montre que nous savons également nous adapter au changement climatique et obtenir une garantie de baisse de la température extérieure de plusieurs degrés en prévision d’une France à + 4 °C.
Pour compléments ou plus d’informations :
- Michael Schack (X78), schack.michael@outlook.com
- Montesson : Jean-Baptiste Baroni, maire adjoint et VP du MEDEF chargé des enjeux RSE / Foudil Lekhal, directeur de projet chargé du projet de transition écologique de Montesson foudil.lekhal@montesson.fr
- Chambourcy : Romain Le Sage-Giacomini, DST ; r.lesage@chambourcy.fr
- Ramatuelle : Sébastien Crunet, DST ; dst@mairie-ramatuelle.fr





