Voiture accidentée

De la numérisation de l’assurance à l’assurance connectée

Dossier : L'internet des objetsMagazine N°723 Mars 2017
Par Godefroy BEAUVALLET (91)
Par Julien FURSAT

La numé­ri­sa­tion de l’as­su­rance s’est déve­lop­pée len­te­ment, les occa­sions d’é­changes étant rares. L’as­su­rance connec­tée arrive et risque de bou­le­ver­ser les habi­tudes et les acteurs. Il s’a­git alors de payer pour un ser­vice et non plus pour la pos­ses­sion d’un objet, tout en contrô­lant les don­nées de l’as­su­ré pour ajus­ter la tarification. 

Payer son assu­rance auto­mo­bile en fonc­tion de la qua­li­té de sa conduite ; évi­ter un cam­brio­lage grâce à un robot ména­ger simu­lant un chien de garde ; obte­nir un avis d’expert sur un acci­dent indus­triel via une vidéo prise par un drone… : autant de pro­messes de l’assurance connec­tée dont on parle depuis plus d’une décen­nie, et qui com­mencent tout juste à deve­nir réalité. 

« Les utilisateurs de BlaBlaCar ou d’Autolib’ veulent pouvoir assurer un trajet, et non une voiture »

Dans la méta­mor­phose numé­rique en cours, l’assurance a jusqu’ici fait figure de para­doxe : si l’on assiste à un lent trans­fert vers le direct (télé­phone, Inter­net), on constate plus de conti­nui­té que de rup­ture dans l’achat de polices d’assurance.

Les décla­ra­tions de sinistre en ligne sont elles aus­si encore bal­bu­tiantes. Il est vrai qu’avec un contact lié à un sinistre tous les quatre à dix ans, sui­vant les caté­go­ries, on a aujourd’hui plus de chances de chan­ger de smart­phone dans l’année que d’utiliser une « app » assurantielle. 

REPÈRES

D’après une étude publiée par le cabinet Deloitte en fin d’année 2016, le marché européen de l’assurance auto connectée pourrait atteindre 17 % d’ici 2020. En France, les offres télématiques pourraient atteindre 12 % du marché de l’assurance auto. Sans surprise, dans chaque pays étudié, la principale source d’inquiétude des consommateurs concerne les utilisations qui pourraient être faites de leurs données.
En effet, ces évolutions peuvent se révéler fort peu respectueuses de la vie privée. Les algorithmes de deep learning qui font l’économie d’une modélisation explicite de la causalité pour fournir un tarif pourraient aussi se révéler discriminatoires dans les faits, et se voir remis en cause par les pouvoirs publics.

UNE BASCULE DU MARCHÉ VERS LE NUMÉRIQUE PLUS LENTE QUE PRÉVU

Pour­quoi cette len­teur ? Si l’on se res­treint à ce que les assu­reurs appellent les affaires nou­velles – les nou­veaux contrats –, un quart du volume est réa­li­sé en ligne, et une part bien plus impor­tante passe par le numé­rique à un moment du pro­ces­sus d’achat (c’est la notion de vente mul­ti canal). La len­teur de la bas­cule vers le numé­rique s’explique donc avant tout par la rare­té de l’acte d’achat (jusqu’à la récente loi Hamon en tout cas). 

ATTENTION AUX GAINS DÉLOCALISABLES

Si les clients peuvent bénéficier d’une part des gains induits par cette deuxième numérisation, il ne faut pas sous-estimer le risque de sortie du territoire national d’une énorme partie de la valeur ajoutée jusqu’ici « fixée » en France par les mécanismes assurantiels : le Booking.com des plombiers n’a pas plus de raison d’être en France – ni d’y payer des impôts – que celui des hôteliers…

La « bas­cule » du mar­ché vers le numé­rique demeure la han­tise des assu­reurs : celle-ci s’est déjà opé­rée en Grande-Bre­tagne, au détri­ment des cour­tiers, ou plus récem­ment en Espagne à l’occasion de la crise éco­no­mique de 2008–2013.

C’est pour­quoi, ils observent de près la seconde vague de numé­ri­sa­tion en cours, celle de la connexion ubi­qui­taire qui induit l’évolution vers l’assurance à l’usage. Les uti­li­sa­teurs de Bla­Bla­Car ou d’Autolib’ veulent pou­voir assu­rer un tra­jet, et non une voiture. 

Des par­cours clients « en 1 clic » ouvrent le mar­ché à de nou­veaux acteurs qui rêvent de relé­guer l’assureur à un rôle de four­nis­seur de ser­vices d’assurance en marque blanche, sans rela­tion directe avec ses clients. 

GESTION DE SINISTRE : DU SELF-SERVICE À LA PLATEFORMISATION

Avec l’assurance connec­tée, l’expertise évo­lue : AXA France a ain­si mis en place un dis­po­si­tif d’expertise vidéo via smart­phone, qui per­met d’expertiser un sinistre à distance. 


Grâce à la numé­ri­sa­tion, les assu­reurs peuvent gérer le sinistre de bout en bout, tout en maî­tri­sant mieux leurs coûts. © BENJAMIN NOLTE / FOTOLIA.COM

En assu­rance san­té éga­le­ment, l’accès à l’expertise se renou­velle : AXA a lan­cé il y a quelques mois un ser­vice de télé­con­sul­ta­tion médi­cale acces­sible 24 heures sur 24, 7 jours sur 7… 

De même, les assu­reurs se conten­taient jusqu’ici de rem­bour­ser (sur fac­tures). Grâce à la numé­ri­sa­tion, ils peuvent gérer le sinistre de bout en bout, tout en maî­tri­sant mieux leurs coûts. 

Grâce à un ser­vice comme Pick’up & Deli­ve­ry, par exemple, AXA vient cher­cher votre voi­ture chez vous, vous prête un véhi­cule de rem­pla­ce­ment, et vous rap­porte votre voi­ture une fois réparée. 

Un autre cas d’usage serait, suite à une inon­da­tion par exemple, que l’ensemble de l’électroménager irré­pa­rable, ayant été pré­dé­cla­ré lors de l’achat auprès de l’assureur, soit immé­dia­te­ment com­man­dé à l’identique chez un par­te­naire et livré à domi­cile, dans les heures sui­vant le sinistre. 

La connexion per­ma­nente per­met aus­si de sub­sti­tuer à la logique de l’orientation au sein d’un réseau pré­dé­fi­ni une logique de pla­te­forme de crowd­sour­cing (per­met­tant la mise en rela­tion directe et la mise en concur­rence de tous les gara­gistes sou­hai­tant y adhé­rer), en lais­sant les clients éva­luer leur qua­li­té, comme le fait aujourd’hui Uber. 

Hitch, aux États-Unis, a renou­ve­lé l’offre en matière d’assistance rou­tière via ce type de mécanisme. 

VERS UNE TARIFICATION AU SERVICE

La connexion ubi­qui­taire bou­le­verse l’actuariat, le fai­sant pas­ser d’un monde où les don­nées étaient rares et la seg­men­ta­tion de la clien­tèle en por­te­feuille inévi­ta­ble­ment limi­tée par des fac­teurs exo­gènes ou incon­nus, à un monde où le raf­fi­ne­ment tari­faire ne connaît plus de limite. 

« Un service vidéo via smartphone permet d’expertiser un sinistre à distance »

Les méthodes actua­rielles tra­di­tion­nelles évo­luent donc vers la data science et le machine lear­ning, ouvrant la voie à la contex­tua­li­sa­tion et la pré­dic­tion des risques et de leur tarification. 

Cette tech­ni­ci­té crois­sante sus­cite une concur­rence avec les autres déten­teurs de don­nées, notam­ment finan­cières (banques) ou de la vie quo­ti­dienne (opé­ra­teurs télé­pho­niques, four­nis­seurs d’électricité…), mais aus­si et de plus en plus les GAFA – Google détient pro­ba­ble­ment 70 à 80 % des don­nées néces­saires pour tari­fer de l’assurance dom­mage (et beau­coup d’autres per­met­tant une seg­men­ta­tion très fine et une très grande per­ti­nence commerciale). 

L’ASSURANCE COMME OPTION D’ACHAT

L’ensemble du e‑commerce inclut à présent l’assurance comme une option d’achat. Le secteur du voyage a été pionnier, et les constructeurs d’automobiles de leur côté ne vendent plus de voiture sans proposer des options d’assurance dommage. L’électroménager « BBB » suit, et de plus en plus d’achats comportent une part assurantielle : séjours au ski (assurance neige), spectacles (assurance annulation), etc.

La dis­po­ni­bi­li­té de nou­velles sources de don­nées per­met de tari­fer l’usage et non le bien en lui-même (assu­rance au kilo­mètre, à la jour­née…) et de ten­ter d’influer sur le com­por­te­ment de l’assuré : c’est le pas­sage du as you [drive/live] au how you. À plus long terme, le rejet des formes d’autorité cen­tra­li­sée par une par­tie crois­sante des consom­ma­teurs est déjà exploi­té par plu­sieurs start-ups comme Friend­su­rance, et anti­ci­pé par les assureurs. 

Ain­si, AXA a récem­ment inves­ti dans la socié­té Blocks­tream afin d’explorer le poten­tiel du « réseau tran­sac­tion­nel ouvert » que consti­tue la blockchain. 

Cepen­dant, l’évolution très (trop ?) rapide des sources de don­nées ne per­met pas encore de créer de modèles suf­fi­sam­ment déter­mi­nistes : le pay-how-you-drive est encore sou­vent fon­dé sur des cri­tères dont l’impact réel sur le risque n’est que par­tiel­le­ment connu. 

C’est pour­quoi cer­tains estiment que la sophis­ti­ca­tion tari­faire n’est qu’une manière de gagner du temps avant de trou­ver les vrais relais pour le sec­teur : l’assureur comme un (pres­ta­taire de) service(s).

DISTRIBUTION : DES AGENTS HEUREUX AUX API AGISSANTES

La clar­té dans la pro­messe (condi­tions de cou­ver­ture, fran­chise de rem­bour­se­ment, etc.) n’est pas tou­jours le fort des assureurs. 

ACCOMPAGNEMENT VIRTUEL

Certaines API, comme AXA WayGuard, proposent l’accompagnement virtuel pendant un trajet jugé inquiétant d’une personne qui le souhaite par un ami qui la suit sur une carte à distance et peut entrer en contact avec elle à tout moment.

Des start-ups comme Fluo ont même construit leur modèle d’affaires sur ce point : faci­li­ter, à un ins­tant don­né et dans des condi­tions aisé­ment recon­nais­sables (« au comp­toir de loca­tion de voi­ture », « au moment d’acheter son for­fait remon­tées méca­niques en sta­tion de ski », etc.), la véri­fi­ca­tion de cou­ver­ture et l’achat de compléments. 

Les assu­reurs s’efforcent eux aus­si de construire une rela­tion plus forte et plus quo­ti­dienne avec les assu­rés. Ils incluent sur leurs pla­te­formes de plus en plus de ser­vices API-sés en pro­ve­nance d’autres prestataires. 

Mais une ten­dance « B2B2C » devrait s’affirmer où les com­pa­gnies d’assurances four­ni­raient les élé­ments per­met­tant de doter très sim­ple­ment tout site d’e‑commerce d’une com­po­sante assu­ran­tielle. Un assu­ré pour­rait véri­fier sa cou­ver­ture via une API, ne se ver­rait alors pas pro­po­ser d’assurance redon­dante avec celles dont il dis­pose déjà, et pour­rait com­plé­ter d’un clic sa cou­ver­ture auprès de son assureur. 

Ecran de fluo.com
Des start-ups comme Fluo ont construit leur modèle d’affaires sur ce point : faci­li­ter, à un ins­tant don­né, la véri­fi­ca­tion de cou­ver­ture et l’achat de compléments.
© STYLE-PHOTOGRAPHY / FLUO.COM

NOUVEAUX SERVICES EN LIGNE : PRÉDICTION, PRÉVENTION ET PRESCRIPTION

Les assu­reurs enri­chissent aus­si leur offre avec des ser­vices moné­ti­sables avant qu’un sinistre ne sur­vienne : pré­ven­tion, main­te­nance, conseils, etc. Le pro­blème, c’est que la valeur per­çue d’un tel ser­vice est faible, du fait de la rare­té des sinistres et de notre biais d’optimisme.

« Google détient probablement 70 à 80 % des données nécessaires pour tarifer l’assurance dommage »

En assu­rance auto (Connec­ted Car), le coût moyen du risque par kilo­mètre par­cou­ru est de l’ordre de 20 cen­times… Des ser­vices posi­tion­nés en assis­tance à la conduite doivent donc main­te­nir un coût uni­taire d’interaction très bas. 

Situer les moments clefs où une inter­ac­tion sera suf­fi­sam­ment per­ti­nente pour être ren­table via la dimi­nu­tion du risque est cru­cial, mais repose sur un moni­to­ring per­ma­nent et poten­tiel­le­ment intrusif. 

Ce pro­blème de per­ti­nence est iden­tique en assu­rance habi­ta­tion (Connec­ted Home). En assu­rance san­té (Connec­ted Health), la situa­tion semble plus pro­met­teuse, notam­ment s’agissant du res­pect d’un régime ou de l’observance médicale. 

Les assu­reurs pour­raient dans cette pers­pec­tive évo­luer vers un modèle de « concier­ge­rie connec­tée mul­tiac­cès », pro­po­sant des ser­vices sans cou­ture aux per­sonnes ou aux entre­prises. Ces ser­vices pour­ront être pour par­tie col­la­bo­ra­tifs, qu’il s’agisse de nudge (gami­fi­ca­tion et socia­li­sa­tion de la qua­li­té de conduite auto­mo­bile via un score, par exemple, comme le pro­pose AXA Drive) ou d’entraide.

Là aus­si, une approche de plate-forme peut faci­li­ter la moné­ti­sa­tion : la MAIF a inves­ti 1,7 Me en 2015 dans mes­de­pan­neurs. fr, start-up fran­çaise spé­cia­li­sée dans la mise en rela­tion entre par­ti­cu­liers et pro­fes­sion­nels du dépan­nage à prix fixe.

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