De la musique et de l’esprit d’équipe

Sandra Romero-Perpère (X96) est praticienne du travail de groupe sur les effets et l’utilité de la musique dans la construction d’une dynamique de groupe. Elle témoigne de l’effet de la musique comme outil de révélation des soft skills qui sommeillent en nous !
La musique a eu une place centrale dans ma vie dès mon plus jeune âge. J’ai démarré le piano à six ans, suis entrée au Conservatoire à rayonnement régional de Boulogne-Billancourt à onze ans et y ai obtenu les félicitations en fin de 2e cycle à 17 ans, en même temps que mon bac. Pendant toute mon adolescence, la musique a été le socle de moments partagés avec mon frère, que ce soit dans des pièces classiques où nous travaillions des duos alto-piano (il était aussi au conservatoire) ou dans des interprétations de chansons des Beatles, la passion de la famille, où mon frère accompagnait mes chants avec sa guitare. J’ai ainsi vécu des grands moments de joie, y compris dans le travail du piano classique, transportée par l’interprétation de ces textes qui m’ont touchée droit au cœur dès mon enfance.
Une vie baignée dans la musique
À l’X, j’ai eu la chance non seulement de pouvoir parfaire ma maîtrise du piano grâce à des cours avec Patrice Holiner, mais aussi de travailler des pièces de musique de chambre avec des camarades : c’est ainsi que nous avons constitué un duo de pianos avec le pianiste Alexandre Bayen (X95), dans L’Embarquement pour Cythère de Poulenc joué à la remise des diplômes des X94 ; puis un trio clarinette-violoncelle-piano avec Julien Puyou (X96, clarinettiste) et Yann Picard (X96, violoncelliste), interprétant une sonate de Brahms pour la remise des diplômes des X95. Avec Julien Puyou et Marc Verdon (X96, haute-contre), nous sommes partis nous produire en concert au Virginia Military Institute. Et j’ai pu jouer en formation de musique de chambre dans plusieurs autres occasions.
Aussi, j’intégrai la chorale de l’X dès sa formation. Je continuais ainsi à goûter au bonheur de partager ma passion avec d’autres mélomanes. Pendant mes années en tant que salariée, je continuais à chanter dans la chorale, à jouer de la musique de chambre avec des amis dès que l’occasion se présentait, ainsi qu’à interpréter des chansons des Beatles à l’occasion des annuelles fêtes de la musique avec le groupe familial créé dans les années 2010. Mais j’ai mis le travail du piano classique un peu de côté, très occupée alors par mes missions de manageure et quelques postes à l’étranger. Forte de mes expériences de pratique de la musique en groupe, j’ai retrouvé dans l’entreprise le goût pour les dynamiques d’équipe.

Au cœur du réacteur des entreprises : les équipes
Manageure dès mon premier poste, j’ai découvert la puissance de l’intelligence collective dans l’entreprise et j’ai pu m’appuyer sur la force des collectifs pour innover ou transformer, comme dans les trois expériences significatives suivantes. Chez Orange Vallée par exemple (entité chargée de l’innovation du groupe Orange), entre 2008 et 2009, nous avons développé avec deux start-up un ordinateur pour les seniors, destiné à accélérer leur adoption d’internet. En binôme avec une autre codirectrice de projet, et nouant des collaborations de confiance et stimulantes avec nos deux start-up partenaires, nous avons pu en quelques mois mettre sur le marché ce produit hautement innovant, fruit de l’union de la puissance d’un groupe comme Orange avec l’agilité et les technologies de pointe de ces deux start-up. Savoir faire fonctionner ces équipes ensemble fut la clé de la réussite dans la mise sur le marché d’une telle innovation.
Entre 2012 et 2014, j’ai mené aussi une profonde transformation personnelle pour faire réussir la transformation de la direction des ventes indirectes d’Orange Business Services en France, dont j’étais la directrice adjointe, m’appuyant sur le codir pour faire évoluer la culture et le management de l’entité et tenir ainsi le pari de l’amélioration de la performance de notre réseau de distribution indirecte. Écoute, empathie, communication non violente, respect de ses besoins, partage du sens, autonomie et exemplarité managériale furent les principaux ingrédients de cette transformation réussie.
« Écoute, empathie, communication non violente, respect de ses besoins, partage du sens, autonomie et exemplarité managériale furent les principaux ingrédients de cette transformation réussie. »
Chez Amazon Web Services entre 2016 et 2019, j’ai constitué une équipe pilote d’ingénieurs de soutien francophones basés à Paris avec les équipes commerciales et chargés de faciliter l’onboarding et l’adoption du cloud par les clients français : en quelques mois, nous avons créé les premiers processus et outils dans le monde pour faire fonctionner le soutien technique dans une autre langue que l’anglais et traiter ainsi les demandes des clients français en français, tout en s’inscrivant dans le cadre du Support Premium d’AWS (constitué de milliers d’ingénieurs répartis sur plusieurs sites sur le globe) et en respectant ses standards de qualité. Nous avons fait preuve d’une grande agilité pour réussir à faire fonctionner ce service, et la cohésion de l’équipe a permis d’apporter beaucoup de valeur aux clients que nous avons alors aidés.
Ces dix-huit ans d’expériences à la tête d’équipes diverses m’ont amenée à me former au coaching individuel, mais surtout d’équipe, afin de focaliser mes efforts sur l’accompagnement à l’épanouissement et la performance collectifs.

La musique comme outil d’intelligence collective
C’est grâce au coaching que j’ai eu une révélation quant au lien entre ma quête du beau et la musique et que j’ai commencé à placer la musique au cœur du fonctionnement d’un collectif. J’ai vu alors ma mission de vie comme au service du beau et la musique en tant que lien universel entre le beau et l’humain. Il m’est apparu que le rapport au son est universel et relève du développement de chaque être humain dès la vie intra-utérine : c’est en effet le son qui est le premier lien avec l’extérieur et avec la mère, à travers notamment la perception des battements de son cœur.
“Placer la musique au cœur du fonctionnement d’un collectif.”
C’est ainsi que se connecter au son, c’est pour moi revenir aux émotions primaires, à ce rapport très intuitif au monde et à l’autre. Et se sentir ainsi relié au grand tout. Au-delà de cette conviction très personnelle, j’ai aussi exploré en 2019, lors d’un stage de musicothérapie, le lien entre le son et la santé mentale. En 2024, j’ai alors conçu un atelier original, Synergisons, où je facilite l’expression des émotions des participants grâce aux sons de divers instruments faciles à s’approprier, que j’apporte, ainsi qu’en permettant le chant pour ceux qui le souhaitent.
L’atelier se déroule en plusieurs temps : une première phase d’écoute mutuelle, grâce à laquelle les participants se découvrent à travers les instruments choisis, qu’ils peuvent faire tourner pour explorer plus largement leurs sons ; puis une phase de démarrage de la synchronisation, où ils créent des connexions entre eux à travers les résonances de leurs instruments, y compris la voix ; puis une phase d’ouverture totale des synergies, où je guide le groupe pour faire émerger les créations musicales qui correspondent aux participants et au groupe. Entre les phases, grâce à une facilitation tirée du Clean Language, je permets aux participants d’exposer leurs ressentis, leurs besoins et leurs souhaits.

Le Clean Language
La modélisation systémique avec le Clean Language (https://cleanlearning.co.uk/ modélisation systémique) est une approche qui vise à explorer et structurer la pensée d’une personne ou d’un groupe en utilisant un questionnement précis et neutre. Elle repose sur l’idée que chaque individu possède une représentation unique du monde et que, en explorant cette représentation sans y ajouter d’interprétation extérieure, on peut clarifier et enrichir sa compréhension d’un système donné. Les questions principales constituant le Clean Language sont : « c’est comme quoi ? », « ça se situe où ? », « est-ce que ça a une taille ou une forme ? », « y a‑t-il autre chose à propos de xx ? ». Elles permettent de faire émerger des métaphores individuelles et collectives. Cette méthode de coaching est destinée à être transmise de façon que le groupe l’adopte et devienne autonome.
Les effets se construisent en trois strates. Tout d’abord, poser des questions Clean protège la personne qui les reçoit de votre mépris, de vos préjugés et fragilités ; cela encourage la curiosité et le non-jugement, et construit ainsi une strate de « sécurité ». Ensuite, en vous protégeant de croire tout ce que vous pensez, cela crée un sentiment d’appartenance, de relation à l’autre : « vous êtes important pour moi », « je tiens à vous ». Cela peut permettre de passer des systèmes traditionnels verticaux à des systèmes négociés entre les membres, en ouvrant le dialogue et la compréhension mutuelle. C’est la strate d’appartenance. Enfin, forts de ce socle, le Clean vous permet de trouver de nouvelles capacités et réveille votre ouverture au changement. Vous pouvez adopter de nouvelles perspectives et modifier vos comportements. C’est la strate de « liberté ».
Référence : From contempt to curiosity, Caitlin Walker, 2014

Synergisons !
Cet atelier permet de booster la communication au sein de l’équipe, de créer des liens plus forts, de partager ses émotions et de vivre un moment de joie ensemble. Les participants témoignent qu’ils se sentent véritablement reliés après cette expérience, sur un autre plan que le mental, notre cerveau cognitif, mais plutôt sur le plan de l’intuition et de l’émotionnel. Ils n’ont plus besoin des mots pour se comprendre, comme en témoigne une participante : « Avoir joué tous ensemble, en rythme, en laissant à l’œuvre l’écoute, la créativité, la liberté et l’expression de chacun, nous a reliés plus que si nous avions eu dix réunions ensemble. La musique aide à regarder les autres autrement et à se regarder autrement. Le rythme nous emporte dans la même direction. »
En présentant mon travail dès que cela m’est possible, j’ai découvert que d’autres professionnels de l’accompagnement utilisaient aussi la musique pour développer la cohésion d’équipe et les soft skills. Je suis ainsi entrée en relation avec Clémence Delorme (Crescendo Training) et Alexandre Amiot (MyFavoriteThings). Résonance avec mon parcours : diplômés de grande école, ayant des parcours dans de grandes entreprises, entrepreneurs, musiciens également, ils proposent depuis une dizaine d’années des ateliers et des coachings individuels et d’équipe intégrant la musique. Ils m’ont dit avoir beaucoup apprécié le format que j’ai créé et m’ont proposé d’intégrer Synergisons à leur offre.
Comme dans toute ma vie, la musique a rendu possibles ces rencontres. Elle nous invite encore et toujours à ouvrir de nouvelles portes de collaboration, auxquelles je n’aurais pas eu accès autrement. La musique, plus encore peut-être que les autres arts, résonne profondément en chacun de nous et nous permet d’accéder à nos émotions, individuellement et collectivement.
