Marie Curie

De la femme asservie à la femme reconnue

Dossier : PolytechniciennesMagazine N°712 Février 2016
Par Claude RIVELINE (56)

« Dieu créa l’homme à son image […] il les créa mâle et femelle ». D’après ce ver­set, l’être à l’image de Dieu n’est donc pas le mâle seul, mais le couple. Len­te­ment, confu­sé­ment, l’humanité com­mence à se rap­pro­cher de ce point de vue.

J’ai publié jadis « Femmes ingé­nieurs, je vous aime1 », et je suis fier de noter que, tel un vin de qua­li­té, ce texte s’est valo­ri­sé avec le temps. Au nom de ma longue pra­tique de la recherche et de l’enseignement dans le domaine de la ges­tion, j’y fai­sais état des avan­tages que trou­vaient les orga­ni­sa­tions à confier des postes d’autorité à des femmes.

À lire les témoi­gnages des poly­tech­ni­ciennes ras­sem­blés dans le pré­sent dos­sier, on ne peut que consta­ter que de plus en plus d’institutions se sont ral­liées à ces appréciations.

REPÈRES

On voit apparaître au sommet des hiérarchies de nombreuses femmes succédant à des dynasties purement masculines. Compte tenu du machisme scandaleux qui a sévi pendant des millénaires sur la Terre entière ou peu s’en faut, ce qui a conduit en somme à gaspiller la moitié des ressources de l’humanité, ce bienfaisant phénomène appelle explication.
Se contenter de dire que c’est l’effet d’une mode des quotas ne fait que repousser le problème, car d’où sort cette mode ? En outre, on est encore loin de la parité, et tout donne à penser que dans les niveaux hiérarchiques modestes le machisme sévit toujours.

La femme asservie

Tota mulier in ute­ro : cette ter­rible for­mule d’Hippocrate recon­naît l’éminente sin­gu­la­ri­té des femmes dans leur rôle de mère, mais se retourne aus­si­tôt pour les y confi­ner et leur inter­dire l’accès à des rôles masculins.

Un cercle vicieux s’installe : on les confine au foyer, on ne les ins­truit que des tâches ména­gères, puis on les écrase de mépris car elles sont ignorantes.

Dans tous les siècles on relève des pro­pos d’éminents pen­seurs sou­te­nant que leur condi­tion bio­lo­gique les rend irré­mé­dia­ble­ment inaptes aux fonc­tions mas­cu­lines, le comble ayant été atteint par le concile de Mâcon (585) qui, dit-on, s’est deman­dé si les femmes avaient une âme.

Des exemples dans tous les siècles

IRRÉMÉDIABLE DIFFÉRENCE

La conséquence de l’embarras des féministes devant leur irrémédiable différence avec les hommes est un effondrement de la fécondité dans les pays les plus développés, au point que le renouvellement des générations n’est plus assuré, et le vieillissement de la population inexorable.
Cela suscite de vives alarmes dans des pays comme l’Allemagne, la Corée du Sud ou le Japon, l’immigration masquant les conséquences démographiques à court terme.
La France est épargnée jusqu’ici, grâce à une politique nataliste du meilleur aloi.

Pour­tant, l’aptitude des femmes à éga­ler les hommes, en dehors de la dif­fé­rence de force phy­sique, était démon­trée par des exemples connus dans tous les siècles : dans l’Égypte pha­rao­nique, la pari­té a été presque par­faite pen­dant des mil­lé­naires, jusqu’à la reine Cléo­pâtre VII, qui a tant fas­ci­né Jules César et Marc Antoine ; le plus grand géné­ral de l’histoire de France fut une demoi­selle, morte à dix-neuf ans, Jeanne d’Arc, et Marie Curie a reçu deux fois le prix Nobel.

Mal­gré cela, les femmes de France n’ont eu le droit de vote qu’en 1944. Mais des réac­tions se sont fait entendre de tout temps.

Les féministes

Les his­to­riens relèvent des pro­tes­ta­tions de femmes récla­mant la levée de leurs contraintes depuis la plus haute anti­qui­té, et bien ailleurs qu’en Égypte.

“ Lentement, l’opinion s’habitue à l’idée que la féminité n’est pas une infirmité, mais un atout ”

Encore aujourd’hui, une large pro­por­tion des femmes sur la pla­nète subissent d’effrayantes vio­lences, éli­mi­na­tion des foe­tus voire des nou­veaux-nés de sexe fémi­nin, muti­la­tions sexuelles, pros­ti­tu­tion et mariages for­cés, exploi­ta­tion éco­no­mique, etc.

Mais ce n’est que depuis le XIXe siècle que les reven­di­ca­tions fémi­nistes ont pesé suf­fi­sam­ment pour obte­nir, à petits pas, des droits de citoyennes auto­nomes libé­rées de la tutelle de leurs pères, de leurs frères et de leurs maris.

Précieuse singularité

Tou­te­fois, si néces­saires et légi­times qu’aient été ces reven­di­ca­tions, elles se sont presque tou­jours bor­nées à récla­mer l’égalité de droits avec les hommes, sans sou­li­gner leurs pré­cieuses sin­gu­la­ri­tés liées à leurs rôles de mères.

Au contraire, et c’est visible dans les témoi­gnages ras­sem­blés ici, la mater­ni­té est pas­sée sous silence ou men­tion­née avec embar­ras, un peu comme si la gros­sesse était une mala­die hon­teuse, l’accouchement une redou­table épreuve et les soins aux enfants un obs­tacle à une belle carrière.

Mais l’apparition de plus en plus de femmes au pou­voir donne à pen­ser que len­te­ment, confu­sé­ment, l’opinion s’habitue à l’idée que la fémi­ni­té n’est aucu­ne­ment une infir­mi­té, mais au contraire un atout.

La femme reconnue

On com­mence à rele­ver des publi­ca­tions qui notent que l’apparition crois­sante de femmes au som­met du pou­voir dans les entre­prises, dans les admi­nis­tra­tions et en poli­tique a des effets béné­fiques, contrai­re­ment aux affir­ma­tions des pen­seurs des siècles passés.

“ Il est clair que les hommes préfèrent le dur, voire qu’ils ont peur du mou ”

Des témoi­gnages, pour le moment assez rares, prêtent aux femmes une plus grande cha­leur dans les rela­tions per­son­nelles, une plus grande patience dans les épi­sodes conflic­tuels, plus de sang-froid quand montent les périls.

Le dur et le mou

J’offre une expli­ca­tion qui repose sur les ver­tus de la mater­ni­té, et qui mobi­lise une dis­tinc­tion que j’ai déve­lop­pée jadis dans La Jaune et la Rouge dans « L’essai sur le dur et le mou2 ».

Marie Curie a reçu deux fois le prix Nobel.

Je cher­chais à dis­tin­guer ce que la science explique et ce qui lui échappe. Elle appré­hende bien le « dur », c’est-à-dire tout ce qui est maî­tri­sé par la Méthode de Des­cartes, à savoir les faits de la nature qui se répètent à l’identique, que l’on peut obser­ver à loi­sir et dont on peut déduire des lois universelles.

La réfrac­tion de la lumière (loi de Des­cartes) en donne un par­fait exemple.

Par contraste, le « mou » réside dans tout ce qui est éphé­mère ou sub­jec­tif, et devant quoi Des­cartes lui-même ne dis­si­mule pas son embar­ras. Il est clair que les hommes pré­fèrent le dur, voire qu’ils ont peur du mou.

Indispensable complément

Or, les femmes vivent, avec l’enfantement, un évé­ne­ment bru­tal, peu pla­ni­fiable, et qui pour­tant crée la vie. Une quin­tes­sence de « mou » au sens ci-des­sus. Même celles qui n’ont pas eu d’enfant ont eu comme modèle leur mère, qui en a eu au moins une.

Le monde d’aujourd’hui, sur­tout au niveau des som­mets du pou­voir, étant de plus en plus agi­té, impré­vi­sible, violent, les hommes ne se sentent plus en confiance, et s’en remettent pru­dem­ment à leurs mères, leurs sœurs et leurs épouses.

Cette évo­lu­tion montre que les femmes ne sont pas seule­ment les égales des hommes, mais leur indis­pen­sable com­plé­ment, ce que sug­gé­rait déjà le ver­set biblique.

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1. Dans « Le sexe des élites », Revue des amis de Sèvres, 1987, p. 91.
2. Juillet-août 1985.

Commentaire

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Mor­dantrépondre
15 février 2016 à 13 h 25 min

Un article bien équi­li­bré
Mer­ci pour cet article que j’ai lu avec beau­coup d’intérêt.

Il est bien balan­cé, et je suis ravi de voir qu’on peut pré­sen­ter le sujet sans tom­ber dans des lieux com­muns ni un extré­misme idéologique.

J’au­rais aimé com­plé­ter par un bloc sur la dua­li­té néces­saire. La pré­cieuse sin­gu­la­ri­té fémi­nine est fon­da­men­tale et un atout, c’est incon­tes­table. Mais fina­le­ment, et par effet miroir, la mas­cu­li­ni­té est éga­le­ment une néces­saire sin­gu­la­ri­té (mal­heu­reu­se­ment trop affir­mée dans l’his­toire). Et au bout du compte, c’est bien leur com­plé­men­ta­ri­té qui consti­tue l’op­ti­mum, et cela appelle à pro­mou­voir la dua­li­té et un juste équi­libre rela­tif entre les deux sensibilités.

Pour autant, il ne s’a­git pas selon moi de viser une pari­té par­faite qui ne serait pas for­cé­ment opti­male : il faut, par une ana­lyse dépas­sion­née, en dehors de tout débat idéo­lo­gique, recon­naître que l’é­ga­li­té louable des chances et des droits n’empêche pas que cer­taines acti­vi­tés font un peu plus appel à des carac­tères plu­tôt natu­rel­le­ment fémi­nins, et d’autres plu­tôt l’in­verse. Cela ne jus­ti­fie pas pour autant que ces acti­vi­tés soient for­te­ment pola­ri­sées en faveur de l’une ou l’autre des sen­si­bi­li­tés, fémi­nine ou mas­cu­line. Tout est à chaque fois affaire de dosage dans cette néces­saire dua­li­té, vec­teur de richesse pour l’humanité.

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