Création de valeur, les leçons du Private Equity

Dossier : Gestion d'actifMagazine N°634 Avril 2008
Par Jean-Marc Le ROUX (81)
Par Philippe BIENVENU (02)

Les résul­tats par­lent d’eux-mêmes : le meilleur quar­tile des fonds améri­cains a pro­duit entre 1969 et 2006 des taux de retour sur investisse­ment moyen de 36 %, bonnes et mau­vais­es années con­fon­dues. Soit 10 points de plus que les entre­pris­es améri­caines en haut du classe­ment de Stan­darts & Poors. Les meilleurs fonds de Pri­vate Equi­ty suiv­ent avec dis­ci­pline quelques règles sim­ples dont pour­raient s’in­spir­er tous les dirigeants cher­chant à amélior­er les per­for­mances de leur entre­prise. Cer­taines sont bien con­nues. D’autres peu­vent sem­bler évi­dentes. Mais il est sur­prenant de con­stater com­bi­en peu les utilisent réellement. 

Viser le ” plein potentiel ”

Pour une entre­prise, il est plus facile de faire les choses bien que les faire le mieux pos­si­ble. Cer­taines leçons du Pri­vate Equi­ty peu­vent réveiller les entre­pris­es sat­is­faites de leur sous-per­for­mance. Les meilleures sociétés de cap­i­tal investisse­ment pro­duisent des ren­de­ments élevés prin­ci­pale­ment en créant de la valeur opéra­tionnelle dans les entre­pris­es de leur porte­feuille. En analysant la demande, les clients, la con­cur­rence, les ten­dances de marché, elles com­pren­nent les véri­ta­bles mécan­ismes per­me­t­tant à l’en­tre­prise de gag­n­er de l’argent. 

Les meilleurs investis­seurs focalisent l’entreprise sur un petit nom­bre d’initiatives critiques 

Après avoir acquis Sealy Corp, leader mon­di­al du mate­las et de la literie, Bain Cap­i­tal et Charles­bank Cap­i­tal Part­ners ont exam­iné l’en­tre­prise sous toutes ses cou­tures. Ils ont com­pris que la rentabil­ité n’é­tait pas vrai­ment liée à la com­plex­ité de l’of­fre, mais plutôt à la dif­féren­ci­a­tion des pro­duits. Ils ont aban­don­né les pro­jets de développe­ment de l’of­fre moyenne gamme. En revanche, ils ont re-designé leur ligne de mate­las, aban­don­nant la tech­nolo­gie dou­ble face pour une tech­nolo­gie no flip, plus con­fort­able et moins chère à pro­duire. Ils se sont ensuite recen­trés sur le haut de gamme. Au total, cette seule ini­tia­tive a per­mis d’amélior­er le résul­tat d’ex­ploita­tion de 22 %. 

Préparer le plan de changement

Les cham­pi­ons du Pri­vate Equi­ty éla­borent soigneuse­ment le plan de change­ment (blue­print). Ce plan de change­ment n’est pas un plan d’af­faire (busi­ness plan) mais plutôt une tra­duc­tion des ini­tia­tives cri­tiques en actions con­crètes, traduites en moyen et en objec­tifs, inscrites dans un cal­en­dri­er ambitieux. New­bridge Cap­i­tal a util­isé cette approche avec la Korea First Bank pour trans­former la vieille insti­tu­tion finan­cière qui pre­nait l’eau en banque de classe mon­di­ale. L’é­tape déci­sive a été la con­ver­sion de la lourde struc­ture de suc­cur­sales insti­tu­tion­nelles en un réseau per­for­mant d’a­gences ban­caires de détail. Le plan a détail­lé toutes les étapes de la restruc­tura­tion et de la con­ver­sion. New­bridge a fer­mé des sites et a redé­ployé les équipes du back-office sur le front com­mer­cial. Résul­tat : une spec­tac­u­laire aug­men­ta­tion de 50 mil­lions de dol­lars de béné­fice en moins d’un an. 

Dynamiser la performance

Les meilleures équipes de Pri­vate Equi­ty redéfinis­sent l’or­gan­i­sa­tion pour servir le plan de change­ment. Elles met­tent en place un petit nom­bre d’indi­ca­teurs de per­for­mance opéra­tionnelle (et pas seule­ment finan­cière) afin de suiv­re les pro­grès des plans d’ac­tion. C’est ain­si que CVC et CCMP Cap­i­tal ont redy­namisé Sin­ga­pore Yel­low Pages (SYP). Fort de sa dom­i­na­tion (87 % du marché), l’édi­teur des pages jaunes s’é­tait endor­mi sur ses lau­ri­ers. La perte de 40 % de son chiffre d’af­faires, la défec­tion con­tin­ue des annon­ceurs avaient paralysé des troupes démoral­isées. Con­join­te­ment à la trans­for­ma­tion de l’or­gan­i­sa­tion des ventes, SYP a mis en place et suivi des indi­ca­teurs de mesure de la per­for­mance com­mer­ciale (taux de réten­tion des clients, ventes croisées par client, recrute­ment de nou­veaux clients). Par­al­lèle­ment, SYP a intro­duit un nou­veau sys­tème de rémunéra­tion beau­coup plus vari­able favorisant les meilleurs com­mer­ci­aux. En moins d’un an, CVC et CCMP Cap­i­tal ont reven­du SYP en ayant réal­isé un gain en cap­i­tal de 2,6 fois la mise initiale. 

Exploiter les talents

Les meilleurs investis­seurs instituent des sys­tèmes de rémunéra­tion qui alig­nent les intérêts des cadres avec les leurs et les encour­a­gent à agir en action­naires respon­s­ables. Ils recru­tent des admin­is­tra­teurs act­ifs et impliqués pour les Con­seils de sur­veil­lance de leurs par­tic­i­pa­tions. Ils copi­ent ain­si les meilleures entre­pris­es : Nestlé, par exem­ple, a intro­duit des primes liées à des objec­tifs claire­ment défi­nis et a aug­men­té la part vari­able dans les rémunéra­tions ; 1400 salariés ont été asso­ciés à des pro­grammes d’in­téresse­ment, ce qui a per­mis l’en­trée dans le cap­i­tal des man­agers clés. Depuis 1996, ces out­ils ont per­mis d’aug­menter les béné­fices redis­tribués aux action­naires de 15 % par an, soit deux fois plus que la norme du secteur. 

Faire travailler le capital

L’en­det­te­ment est une ressource que les meilleurs investis­seurs utilisent avec une grande rigueur pour opti­miser l’ef­fi­cac­ité du cap­i­tal sans pour autant sevr­er les sociétés de leurs ressources ; c’est un out­il que les dirigeants et les admin­is­tra­teurs pour­raient utilis­er plus sys­té­ma­tique­ment. En effet, la rareté du cap­i­tal com­binée à la dis­ci­pline imposée par la dette force les dirigeants et les cadres à gér­er agres­sive­ment leur fond de roule­ment, à hiérar­chis­er et sélec­tion­ner les investisse­ments qui créent réelle­ment de la valeur économique, à mieux gér­er les ressources de leur bilan. 

DLJ Mer­chant Bank­ing a acquis Mueller Water Prod­ucts – fab­ri­cant améri­cain de tuyaux et de matériels pour les sys­tèmes d’eau. Dans le mon­tant de la trans­ac­tion, 938 mil­lions de dol­lars payés à Tyco Inter­na­tion­al, les fonds pro­pres ne représen­taient que 231 mil­lions. La fer­me­ture de fonderies obsolètes et la sim­pli­fi­ca­tion des méth­odes de pro­duc­tion ont per­mis de dégager de la tré­sorerie qui a ensuite été util­isée pour financer la crois­sance dans le coeur de méti­er et établir une présence en Chine. Cinq ans plus tard, Wal­ter Indus­tries a racheté Mueller pour 1,9 mil­liard de dol­lars, rap­por­tant à DLJ un retour sur cap­i­taux pro­pres de 4,6.

Développer une culture du résultat

Cette leçon con­siste à créer des organ­i­sa­tions qui dévelop­pent des ” mod­èles ” qui répè­tent de façon sys­té­ma­tique et con­tin­ue les for­mules gag­nantes pour l’en­tre­prise. La réus­site de Nike illus­tre par­faite­ment l’ef­fi­cac­ité d’une telle for­mule repro­ductible. Par­tie de la fab­ri­ca­tion de chaus­sures de bas­ket, la mar­que est dev­enue un style de vie. Entre-temps, Nike a investi dans le ten­nis, puis a accéléré le mou­ve­ment avec le base­ball, le foot­ball améri­cain, le vélo, le vol­ley-ball, la marche, le foot­ball, et plus récem­ment le golf. Ces développe­ments ont suivi un mode opéra­toire sim­i­laire : com­mencer par pro­duire des chaus­sures, évoluer vers le tex­tile, ter­min­er par l’équipement (dans le cas du golf : acces­soires — sacs, lunettes, gants — dès 1996, balles en 1999, clubs), faire pro­mou­voir ces pro­duits par les cham­pi­ons emblé­ma­tiques de chaque sport. Cette expan­sion de Nike dans l’ensem­ble des caté­gories est favorisée par une trans­for­ma­tion des for­mats et les mod­èles de dis­tri­b­u­tion et des parte­nar­i­ats mon­di­aux avec les four­nisseurs. Aujour­d’hui, la mar­que au ” swoosh ” est dev­enue aujour­d’hui presque omniprésente. Nul ne peut ignor­er com­ment les meilleurs investis­seurs du Pri­vate Equi­ty sont en train de trans­former l’en­vi­ron­nement économique. Cette créa­tion de valeur ne se lim­ite pas unique­ment aux gains en cap­i­tal pour l’in­vestis­seur. Les recherch­es de Bain & Com­pa­ny, Inc. ont démon­tré que les entre­pris­es qui sont passées par une phase de LBO en ressor­tent en moyenne plus fortes et plus per­for­mantes que la moyenne de leurs con­cur­rents. De même, notre expéri­ence nous prou­ve tous les jours que même les meilleures entre­pris­es sont sou­vent loin de leur ” plein poten­tiel “, quel que soit le secteur d’ac­tiv­ité. Nom­bre d’en­tre­pris­es peu­vent donc prob­a­ble­ment béné­fici­er de ces règles sim­ples que les meilleurs investis­seurs appliquent de façon sys­té­ma­tique à cha­cune de leurs opérations.

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