Concilier vie professionnelle et activité humanitaire

Dossier : ExpressionsMagazine N°662 Février 2011
Par Louis-Marie JACQUELIN (04)

En sor­tant de ma 4e année à Stan­ford, juste avant de com­men­cer un CDI, j’ai deux mois à meu­bler, et j’ap­prends qu’un cabi­net de conseil en éner­gie mobi­lise deux mois par an cha­cun de ses consul­tants sur des pro­jets humanitaires.

C’é­tait assez pour aigui­ser ma curio­si­té et com­bler mon emploi du temps. Ces deux mois ont suf­fi pour me convaincre de la valeur du modèle, qui per­met de conci­lier vie pro­fes­sion­nelle et acti­vi­té huma­ni­taire. J’ai donc tout fait pour res­ter chez cet employeur.

Moti­va­tion forte
Je tra­vaille pour que des per­sonnes extrê­me­ment pauvres aient un accès à l’éner­gie chez elles : une lampe, une machine à coudre, de quoi faire leurs devoirs le soir et pro­lon­ger leur tra­vail après le cou­cher du soleil. C’est fou tout ce qu’on peut faire avec de l’élec­tri­ci­té. Chaque fois qu’un foyer peut avoir accès à l’éner­gie, ses reve­nus aug­mentent en moyenne du simple au double. Ces résul­tats direc­te­ment visibles sont pour moi une rai­son for­mi­dable de me lever le matin.

Chaque fois qu’un foyer peut avoir accès à l’éner­gie, ses reve­nus doublent

Cette com­bi­nai­son de deux mondes, entre­prise et ONG, est en fait extrê­me­ment enri­chis­sante, cette richesse se tra­dui­sant direc­te­ment sur les résul­tats de ce cabi­net de conseil : don­ner la moi­tié de ses pro­fits ne semble plus un han­di­cap pour l’en­tre­prise, mais bien un inves­tis­se­ment à fort retour. À titre per­son­nel, ma situa­tion est incroya­ble­ment enri­chis­sante, bien plus même que tout ce que j’a­vais pu m’i­ma­gi­ner sur la vie active avant de commencer.

Donner un sens au travail

Choix d’en­tre­prise
Chez ENEA Consul­ting, cabi­net de conseil spé­cia­li­sé dans la recherche et le mécé­nat en éner­gie durable, les consul­tants consacrent 20 % de leur temps à l’aide au déve­lop­pe­ment, en par­ti­cu­lier auprès des ONG, pour l’ac­cès à l’éner­gie des popu­la­tions les plus pauvres.

Je découvre donc, à hau­teur de 20% de mon acti­vi­té, ce qui se cache der­rière ces mis­sions ONG. Ma pre­mière mis­sion, c’é­tait de com­prendre pour­quoi les entre­prises fran­çaises ne pro­posent pas leurs pro­duits aux pauvres. » Ils n’ont pas d’argent, ça serait ridi­cule. » Et pour­tant. Faute d’ac­cès direct, l’ha­bi­tant moyen d’un bidon­ville de Mum­baï doit payer son eau potable 37 fois plus cher qu’un riche, à un reven­deur sans scru­pule qui appli­que­ra des taux d’usuriers.

Si une entre­prise s’y inté­resse, elle doit avoir les capa­ci­tés d’être com­pé­ti­tive. Pour­tant, peu d’en­tre­prises occi­den­tales, qui sem­ble­raient avoir les capa­ci­tés de le faire, essayent. Face à l’at­trac­ti­vi­té d’un mar­ché poten­tiel de 4 mil­liards de per­sonnes, c’est qu’il doit y avoir des freins puis­sants. Pour com­prendre les­quels, j’ai pu tra­vailler avec CARE, auprès des diri­geants des entre­prises du CAC40, afin de cer­ner les enjeux, les attentes, trou­ver ces freins : pre­mière étape néces­saire pour commencer.

Devoir d’excellence

Les mis­sions effec­tuées auprès d’in­dus­triels nous per­mettent de finan­cer ces actions, pen­dant les­quelles je conti­nue d’être rému­né­ré. C’est un moteur de moti­va­tion puis­sant, puisque, dans mes mis­sions indus­trielles, je me sais res­pon­sable de la via­bi­li­té du modèle. Il est donc d’au­tant plus impor­tant de déli­vrer des ser­vices hors pair à mes clients, le suc­cès du pen­dant indus­triel de mon acti­vi­té per­met­tant seul nos actions huma­ni­taires, qui n’exis­te­raient pas sinon. Ce devoir d’ex­cel­lence exprime le risque que j’ai pris en choi­sis­sant de tra­vailler pour une start-up.

Notre exis­tence repose sur notre capa­ci­té à entraî­ner avec nous la sphère indus­trielle ; c’est mon rôle de mana­ger aujourd’­hui, et je crois vrai­ment que ce déve­lop­pe­ment pas­se­ra par les per­sonnes et les entre­prises qui choi­si­ront de venir nous voir pour essayer, et j’es­père rejoindre, cette dyna­mique. Que des lea­ders de l’éner­gie en France, comme Total, Air Liquide ou GDF-Suez, nous accordent une confiance gran­dis­sante, ren­force notre optimisme.

Stimulation intellectuelle

Réunir des talents
Chaque semaine, sans la moindre cam­pagne, c’est une dizaine de can­di­dats de tous pro­fils qui cherchent à savoir si un poste serait à pour­voir chez ENEA. Une impres­sion­nante réunion de talents s’est ain­si consti­tuée. Au quo­ti­dien, c’est extra­or­di­naire : je n’ai encore jamais vu une ques­tion posée dans l’o­pen space res­ter sans réponses, et mieux encore, sans réponses dis­cu­tées, argu­men­tées, amé­lio­rées, documentées.

Pour nos clients indus­triels, je tra­vaille sur la cap­ture et le sto­ckage du car­bone, la réduc­tion des émis­sions de CO2. Éner­gies renou­ve­lables, effi­ca­ci­té éner­gé­tique, méca­nismes de finan­ce­ment car­bone et même le sto­ckage géo­lo­gique : il s’a­git d’ai­der les entre­prises à réduire leur impact néga­tif sur leur environnement.

Et pour cela, le por­te­feuille de solu­tions sur les­quelles nous avons déve­lop­pé une exper­tise est extrê­me­ment riche. Bio­masse, éner­gie solaire, hydro­élec­tri­ci­té, sto­ckage d’éner­gie, uti­li­sa­tion des pertes ther­miques, valo­ri­sa­tion de déchets, effi­ca­ci­té éner­gé­tique dans les pro­cé­dés indus­triels. Les solu­tions ne sont pas figées : il faut sim­ple­ment trou­ver les capa­ci­tés de sor­tir du cadre, de pen­ser plus large.

Situations nouvelles

Ce posi­tion­ne­ment, entre les indus­tries et les acteurs du déve­lop­pe­ment, nous place quo­ti­dien­ne­ment dans des situa­tions com­plè­te­ment nou­velles. La cap­ture du car­bone ? Oui, c’est pos­sible ; c’est aus­si pos­sible d’en faire un outil de lutte contre la défo­res­ta­tion, à moindre coût que le sto­ckage géo­lo­gique ; ou s’en ser­vir pour sta­bi­li­ser les réseaux, en opti­mi­sant la consom­ma­tion éner­gé­tique de la cap­ture. Ces idées nous viennent sou­vent des ONG, voire des popu­la­tions des pays en déve­lop­pe­ment, qui nous montrent aus­si com­ment les mettre en place. Et elles s’a­vèrent effi­caces. C’est extrê­me­ment satis­fai­sant de voir à quel point nos clients reviennent nous voir pour trou­ver chez nous des solu­tions inno­vantes, de nou­velles méthodes, de nou­veaux modes de pensée.

Nous avons la capa­ci­té d’a­voir des idées nou­velles dans des métiers pour­tant bien connus

Nous cher­chons bien sûr à maxi­mi­ser la per­for­mance envi­ron­ne­men­tale et sociale des pro­jets aux­quels nous avons accès. Ça n’est pas tri­vial : les 80 % du temps que nous pas­sons à tra­vailler avec des indus­triels sont lar­ge­ment suf­fi­sants pour savoir ce que ren­ta­bi­li­té éco­no­mique veut dire, avec toutes les contraintes que cette notion comporte.

Mais nous avons la capa­ci­té de pro­po­ser autre chose, d’a­voir des idées nou­velles dans des métiers pour­tant bien connus, d’être dis­rup­tifs là où des limites com­men­çaient à se faire trop étroites.

Dynamique permanente

C’est la com­bi­nai­son du modèle et des gens qui le com­posent qui donne ce der­nier trait à ENEA : on n’a jamais fini de trou­ver des moyens d’a­voir plus d’im­pact, tant sur l’ac­ti­vi­té des indus­triels, pour amé­lio­rer leur ges­tion de l’éner­gie et leur faire prendre le virage d’un déve­lop­pe­ment durable éco­no­mique et inté­gré, loin du green­wa­shing, que pour accé­lé­rer la lutte pour l’ac­cès à l’énergie.

C’est le fruit du sou­ci de cohé­rence entre nos acti­vi­tés indus­trielles et notre impact dans le monde du déve­lop­pe­ment. Gar­der en tête les valeurs qui font la force de l’en­tre­prise pour toutes les phases de son acti­vi­té per­met de réflé­chir dif­fé­rem­ment ; les solu­tions que nous trou­vons sortent les entre­prises de leur cadre habi­tuel, en cher­chant à créer un « océan bleu » hors de leur envi­ron­ne­ment concur­ren­tiel sou­vent restreint.

Ces valeurs placent aus­si nos clients dans des dyna­miques à long terme, phé­no­mène encore trop rare dans un contexte où la maxi­mi­sa­tion du pro­fit à court terme semble devoir sou­vent prendre le pas sur la péren­ni­té. Un pro­gramme de R&D a été lan­cé pour construire un jeu d’in­di­ca­teurs, encore man­quant aujourd’­hui, per­met­tant de mesu­rer la per­for­mance glo­bale d’un pro­jet : envi­ron­ne­men­tale, sociale et éco­no­mique. Ce sera un levier pour ame­ner de plus en plus d’en­tre­prises à inté­grer des valeurs extra­fi­nan­cières à leurs pro­jets afin de leur don­ner plus de sens. Cer­taines nous rejoignent déjà, voyant là une oppor­tu­ni­té clef de différenciation.

Le pho­to­vol­taïque au Mali
Oli­vier Lacroix (2004) vient de pas­ser trois semaines au Mali, où il a ren­con­tré les dif­fé­rents maillons de la chaîne d’ap­pro­vi­sion­ne­ment en pan­neaux solaires à Bama­ko, jus­qu’aux consom­ma­teurs. L’ob­jec­tif était d’i­den­ti­fier les gou­lots d’é­tran­gle­ment afin de péren­ni­ser l’ac­cès à l’éner­gie en milieu rural dans le pays. La deuxième phase de l’é­tude va main­te­nant consis­ter à construire avec les par­ties pre­nantes des solu­tions pour résoudre les dif­fi­cul­tés iden­ti­fiées, tant sur l’ap­pro­vi­sion­ne­ment amont de la filière que pour faci­li­ter l’u­sage du pro­duit par tous.

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