Comprendre les maladies psychiatriques grâce à la biologie moléculaire

Dossier : Les NeurosciencesMagazine N°654 Avril 2010
Par Marion LEBOYER
Par Stéphane JAMAIN

Repères

Repères
Les mala­dies psy­chia­triques occupent les pre­miers rangs des causes majeures de han­di­cap. Elles se révèlent d’une réelle gra­vi­té puisque la pre­mière cause de mor­ta­li­té chez les 25–34 ans reste le sui­cide. Au-delà de la souf­france qu’elles causent aux patients et à leur entou­rage fami­lial et pro­fes­sion­nel, elles génèrent des coûts consi­dé­rables. Une étude chiffre le coût annuel direct et indi­rect des mala­dies men­tales à 107 mil­liards d’euros.

Uti­li­ser les outils modernes des neu­ro-sciences comme la bio­lo­gie molé­cu­laire pour mieux com­prendre les méca­nismes étio­lo­giques qui sous-tendent les mala­dies psy­chia­triques telles que l’au­tisme infan­tile, la schi­zo­phré­nie ou le trouble bipo­laire (mala­die mania­co­dé­pres­sive) est un enjeu capi­tal. Le ter­rain géné­tique de ces mala­dies peut être explo­ré grâce aux pro­grès de la bio­lo­gie moléculaire.

Les gènes de l’autisme

Les résul­tats obte­nus au cours de ces der­nières années par les cher­cheurs fran­çais se révèlent cepen­dant à la hau­teur de l’en­jeu. Nous avons iden­ti­fié les pre­mières muta­tions délé­tères de gènes ren­con­trées dans l’au­tisme idiopathique.

Construire des stra­té­gies thé­ra­peu­tiques inno­vantes tant psy­cho­so­ciales que biologiques

Les équipes de l’As­sis­tance publique des hôpi­taux de Paris, de l’Ins­ti­tut Pas­teur et de l’In­serm se sont en effet asso­ciées pour iden­ti­fier des muta­tions dans des gènes codant des pro­téines impli­quées dans la mise en place et le main­tien de synapses, per­met­tant la com­mu­ni­ca­tion entre les neu­rones. Elles démontrent ain­si que cer­taines modi­fi­ca­tions de la connec­ti­vi­té céré­brale contri­bue­raient à l’ap­pa­ri­tion des troubles carac­té­ris­tiques de l’autisme.

Mieux caractériser les maladies

Pour uti­li­ser au mieux ces outils bio­lo­giques, il est tou­te­fois néces­saire de bien carac­té­ri­ser les formes cli­niques des mala­dies. À titre d’exemple, le trouble bipo­laire (ou mala­die mania­co-dépres­sive) entraîne des mani­fes­ta­tions cli­niques très variables. Il convient donc d’en iden­ti­fier les carac­té­ris­tiques cli­niques les plus homo­gènes et les plus génétiques.

Trouble bipo­laire
Il s’a­git d’une mala­die grave tou­chant dans ses formes sévères 1,5 % de la popu­la­tion et encore trop tar­di­ve­ment iden­ti­fiée, puis­qu’il se passe de huit à dix ans entre le début des troubles et le diag­nos­tic. Les patients connaissent des alter­nances de phases dépres­sives et de phases d’ex­ci­ta­tion qui risquent d’en­traî­ner dés­in­ser­tion socio­pro­fes­sion­nelle et risques de suicide.

L’a­na­lyse de l’en­semble du génome de patients déve­lop­pant ce type de trouble nous a per­mis de cibler plu­sieurs régions et plu­sieurs gènes pou­vant jouer un rôle dans cette vulnérabilité.

Ces études se pour­suivent actuel­le­ment pour déter­mi­ner les mar­queurs géné­tiques de carac­tères asso­ciés au trouble bipo­laire : ano­ma­lies de la réponse émo­tion­nelle au stress, pro­ces­sus cog­ni­tifs, per­tur­ba­tions du rythme cir­ca­dien ou du sommeil…

On sait désor­mais que ces carac­tères demeurent anor­maux chez les patients en dehors des épi­sodes dépres­sifs ou maniaques, ain­si que chez leurs appa­ren­tés de pre­mier degré non atteints. Il faut donc en déter­mi­ner les bases bio­lo­giques, déve­lop­per des bio­mar­queurs per­met­tant des approches diag­nos­tiques per­son­na­li­sées et construire des stra­té­gies thé­ra­peu­tiques inno­vantes tant psy­cho­so­ciales que biologiques.

De l’importance des facteurs environnementaux

En paral­lèle, il s’a­vère indis­pen­sable d’a­mé­lio­rer notre connais­sance des fac­teurs envi­ron­ne­men­taux inter­agis­sant avec les fac­teurs géné­tiques. Des équipes de l’Ins­ti­tut de psy­chia­trie de Londres ont ain­si démon­tré que si le risque de déve­lop­per une schi­zo­phré­nie aug­mente avec la prise de can­na­bis, l’im­pact du can­na­bis dépend du ter­rain géné­tique des consommateurs.

Enfin, nous avons réa­li­sé une étude pré­li­mi­naire qui a mon­tré l’exis­tence d’une acti­va­tion de rétro­vi­rus endo­gènes chez des patients schi­zo­phrènes, entraî­nant la pro­duc­tion d’une enve­loppe virale neu­ro­toxique, poten­tiel­le­ment liée à l’ex­pres­sion de la maladie.

L’ac­ti­va­tion de ces rétro­vi­rus pour­rait dépendre de fac­teurs infec­tieux exo­gènes et du ter­rain géné­tique ce qui concorde avec les don­nées récentes de trois études publiées en juillet 2009 dans la revue Nature. Toutes ces études ouvrent une nou­velle voie dans la recherche sur la schizophrénie.

Nou­velles thérapeutiques
Nos recherches ont per­mis d’i­den­ti­fier des muta­tions dans les gènes impli­qués dans la syn­thèse de la méla­to­nine. En pra­tique, ce type d’é­tude devrait conduire à l’i­den­ti­fi­ca­tion de bio­mar­queurs mesu­rant les ano­ma­lies des rythmes cir­ca­diens et à la pres­crip­tion de thé­ra­peu­tiques spé­ci­fiques telles que la réédu­ca­tion des rythmes sociaux.

Pré­dis­po­si­tions
Les études récentes montrent que la sur­ve­nue d’é­pi­sodes dépres­sifs graves chez des enfants ayant subi un trau­ma­tisme majeur au cours de leur enfance dépend de leur ter­rain géné­tique. Autre exemple, dans le cas du trouble bipo­laire à début pré­coce, les stress infan­tiles pré­coces inter­agissent avec le ter­rain géné­tique et modi­fient l’âge de début de la maladie.

Coopération transversale

Ces dif­fé­rents cas illus­trent par­fai­te­ment les stra­té­gies et les outils indis­pen­sables pour faire pro­gres­ser notre com­pré­hen­sion des mala­dies psy­chia­triques. Les pro­grès tech­niques consi­dé­rables réa­li­sés en bio­lo­gie molé­cu­laire – séquen­çage des gènes, iden­ti­fi­ca­tion et étude fonc­tion­nelle de muta­tions, car­to­gra­phie de ces gènes dans le cadre de cri­blage du génome – ne seront plei­ne­ment effi­cients qu’en étroite col­la­bo­ra­tion avec les psychiatres.

Com­prendre les mala­dies du cer­veau sera l’un des grands défis du siècle

Celle-ci doit tout d’a­bord per­mettre le recueil de grands échan­tillons de patients et de familles bien carac­té­ri­sées cli­ni­que­ment. Ce type de coopé­ra­tion est désor­mais pos­sible dans le cadre de la Fon­da­tion Fon­da­Men­tal, qui a ouvert cette année un réseau natio­nal de centres experts, tra­vaillant en lien avec plus de 40 labo­ra­toires de recherche fondamentale.

Ces der­niers offrent des bilans spé­cia­li­sés et sys­té­ma­tiques aux patients et déve­loppent des pro­grammes de recherche trans­la­tion­nels en ren­for­çant les liens entre cli­ni­ciens et cher­cheurs fondamentaux.

Fon­da­Men­tal
Créée en 2007 sous l’é­gide du minis­tère de la Recherche, la Fon­da­tion de coopé­ra­tion scien­ti­fique Fon­da­Men­tal (Fon­da­tion de coopé­ra­tion scien­ti­fique pour le déve­lop­pe­ment des soins et de la recherche en san­té men­tale) fédère – en France et en Europe – des cher­cheurs et des spé­cia­listes recon­nus des mala­dies men­tales. Ils concentrent leurs tra­vaux sur l’au­tisme, la schi­zo­phré­nie et la bipo­la­ri­té, consi­dé­rés comme les affec­tions les plus graves et les plus invalidantes.
Infor­ma­tion et legs sur : www.fondation-fondamental.org

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